Djazagro 2018: Délices et discordes de la pomme

Djazagro 2018: Délices et discordes de la pomme

Tomber de rideau sur Djazagro, une manifestation sur l’agroalimentaire qui s’est tenue du 9 au 12 avril 2018 au Palais des expositions d’Alger.

Cet événement qui en est à sa 16e édition, a présenté des produits tels que l’équipement, le processus, les ingrédients, l’emballage, la boulangerie, la pâtisserie, les restaurants, l’équipement d’hôtel, les machines, les produits d’industrie dans l’agriculture et l’industrie forestière. Il est avant tout destiné aux professionnels et aux experts venus nombreux cette fois-ci à la Safex.

S’il présente un caractère quelque peu rébarbatif pour le grand public plutôt intéressé par faire emplettes tant les produits entrent dans son menu de consommation quotidienne, le déplacement vaut le détour car cette foire a pris de l’envergure depuis sa création en 2003, ne serait-ce que par le nombre de producteurs privés nationaux qui ont exposé.

Une belle vitrine vu que la participation étrangère à l’événement vise à investir le marché algérien porteur. Un challenge dans lequel la Pologne s’implique en Algérie depuis 2014 avec 400 000 tonnes de pommes écoulées en 2015, nous dit Mme Agnieszka Dywan, représentante de la Pologne. Cette dernière ne cache pas sa déception depuis que les exportations ont chuté à un niveau zéro avec la restriction de certains produits à l’importation dont la pomme.

Faut-il rappeler qu’à la suite de cette mesure, le prix du kilogramme de la pomme a brusquement grimpé à plus de 400 DA faisant l’objet d’une grosse spéculation. La pomme locale est certes disponible dans les étals de marché à 250 DA mais elle est de bien piètre qualité. La production nationale reste faible et fluctuante avec 404 105 tonnes en 2011 puis chute à 238 242 tonnes en 2016.

C’est une réalité qui n’échappe pas aux Polonais qui veulent la mettre à profit. Leur présence, malgré l’interdiction de l’importation de la pomme, est révélatrice de leur volonté et espoir de reconquérir leur part dans le marché toujours en attente de ce produit favori des 3 millions de diabétiques grâce à ses vertus médicinales du fait entre autre de sa faible teneur en sucre. Soit dit en passant, ce fruit contient des phyto-nutriments et des antioxydants qui peuvent aider à réduire le risque de développer un cancer, l’hypertension, le diabète et les maladies cardiaques. «Nous espérons la levée de l’interdiction», la représentante polonaise nous avoue qu’à défaut d’un lobbying politique, elle compte sur la pression des consommateurs.

Le produit-phare polonais peut cependant se transformer en pomme de discorde. En effet, suite à des désaccords politiques, la Russie qui achetait un million de tonnes de pommes a unilatéralement cessé son importation. Agnieszka Dywan raconte pour l’anecdote la situation critique dans laquelle s’est retrouvée la Pologne : pour contourner cette catastrophe commerciale qui ne dit pas son nom, il a été demandé à chaque Polonais et Polonaise de manger une pomme par jour ! C’est dire tout l’enjeu de ce marché de la pomme pour la Pologne et le marché mondial par extension.

En effet, il faut rappeler lorsque, en février 2017, à l’époque de l’ancien Premier ministre Abdelmadjid Tebboune, le président de la région française Pyrénées-Alpes-Côte-d’Azur, Christian Estrosi, avait suggéré à son gouvernement de faire pression sur l’Algérie pour importer les pommes des Alpes.

La course aux marchés revêt ainsi des contours politiques tant est de plus en plus ardue la tâche d’écouler la production de la pomme. Mais la Pologne (4 millions de tonnes/an) peut tirer profit de son statut de membre de l’Union européenne qui la soutient dans le cadre d’une stratégie globale de prospection de nouveaux marchés en Afrique. L’Union européenne cible désormais le marché algérien, «Portes de l’Afrique», pour son potentiel de consommation des denrées alimentaires, indique-t-on.

Ainsi des exposants européens, spécialisés dans la culture des pommes, ont participé, sous le slogan «Time For Apples From Europe», au salon professionnel de la production agroalimentaire (Djazagro) qui a réuni environ 700 exposants nationaux et étrangers. La Pologne (leader en Europe) produit 4 millions de tonnes de pommes avec 32% des parts du marché européen avant la France (8% des parts). Trouver des débouchés pour ses membres c’est ce à quoi s’est attelée l’Union européenne en direction du marché africain, outre l’Égypte et les pays du Golfe. C’est à une guerre sans merci que se livrent donc les principaux pays producteurs dans le monde car il ne faut pas oublier que les Etats-Unis sont aussi de la partie (plus de 5 millions de tonnes). Mais si l’Oncle Sam inquiète peu ses alliés occidentaux, c’est surtout l’arrivée fracassante de la Chine dans le marché qui sème la panique.

Ainsi ce pays-continent qui produisait 167 000 tonnes en 1961 est passé à plus de 40 millions de tonnes par an ! C’est dire tout l’enjeu face à ce géant qui renverse les positions acquises jusque-là. Les réactions du Vieux continent ne se sont pas fait attendre y compris à l’endroit de notre pays. 

Ce 10 avril, la Commissaire européenne au Commerce, Cecilia Malmström, fait les gorges chaudes accusant l’Algérie de favoriser la Chine au détriment de l’Europe, et de ne pas respecter ses accords commerciaux avec l’Union européenne. «Beaucoup des choses qu’ils font, (Chine, Algérie) ne sont pas en conformité avec nos accords de libre-échange», a-t-elle déclaré devant les commissions des Affaires économiques et des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale française. Mais «business is business», qui de la Chine ou de la Pologne et la France réunies parviendra à conquérir un marché potentiellement important ?

Question prix, notre interlocutrice Agnieszka Dywan nous révèle que le prix/kg usine de la pomme est de 25 centimes à l’export et à 1,50 euro rendu marché à la ménagère. La qualité est mise en avant dans la conquête du consommateur qui se voit proposés parmi les innombrables variétés, la Red Jonaprince, Gala Royal, Najdared, Gloster, Red Delicious, Jonagored, Golden Delicious, Idared… Autant dire qu’aussi bien à l’échelle artisanale (pâtissier, femme au foyer) qu’industrielle, il faudra préférer les délices de la pomme aux discordes qui surviennent quant à sa commercialisation.

Brahim Taouchichet