Djalil Remki est un jeune et talentueux consultant en prêt-à-porter. Après 15 années dans le management et le développement commercial, dont 8 ans dans le pilotage et le développement de projets internationaux, il décide de rentrer au bercail pour faire bénéficier le pays de son expérience acquise dans de grosses enseignes mondiales de prêt-à-porter à l’instar de Kiabi. À son retour, il a été derrière l’installation dans le pays de grosses franchises du domaine. Plein d’optimisme, il nous parle dans cette interview de sa vision de la future industrie algérienne de textile qu’il qualifie de très prometteuse. Il argumente ses dires par des exemples concrets, tout en donnant des pistes qui lui permettraient de ne pas se perdre en chemin. Appréciez plutôt…
L’Expression: Bonjour Djalil, l’Algérie qui est en train de relancer son industrie textile va organiser au mois d’avril prochain à Oran un Salon international qui va regrouper les spécialistes mondiaux du domaine. Parlez-nous de l’importance de cet évènement?
Djalil Remki: Ce salon représente un réel carrefour international en regroupant les spécialistes mondiaux du domaine. Il permettra aux professionnels des échanges d’expériences et de savoir-faire, mais surtout de lier des contacts pour de futurs partenariats et représentations sur le territoire national. Disant aussi que cette date permettra aux différents acteurs internationaux présents, au Salon international d’avoir une première approche culturelle de l’environnement économique algérien. Il faut dire que le gotha mondial de cette industrie sera représenté à Oran. D’ailleurs, l’invité d’honneur n’est autre que la Turquie, vous m’accordez le fait que outre le tourisme ou l’industrie pétrochimique, on parle là d’un mastodonte de l’industrie du textile, au même titre que la Chine. Celle-ci sera également présente comme ses autres voisins asiatiques qui se sont spécialisés dans ce domaine, à l’instar du Bangladesh et de la Thaïlande. Les pays du Nord-Bassin méditerranéen, eux, présenteront leur politique de distribution du prêt-à-porter qui est un exemple à suivre et dupliqué chez nous du fait de la similitude d’approche de la consommation. Tout ce beau monde apportera et contribuera par son savoir et ses opportunités de partenariats «gagnant-gagnant» et donner une seconde vie à ce secteur en léthargie.
Justement, quel rôle pourra jouer le textile dans l’économie algérienne?
Il faut tout d’abord noter qu’on parle de marché vierge où il y a encore tout à faire. 96% des besoins locaux sont satisfaits par le canal des importations. Le volet industriel est quasi inexistant, et la distribution et la logistique qui vont avec également. Le secteur textile industriel, de transformation et de distribution, représente seulement 4% du PIB national, quand on voit ailleurs des économies à part entière basées sur le textile on prend de suite conscience de l’ampleur de ce secteur dans une économie. On a de quoi créer un marché de travail extraordinaire avec des plans de carrière et des formations au long terme.
Il y a une rude concurrence de la part des produits turcs et chinois. Comment faire pour devenir compétitif?
Certes, c’est un fait et les chiffres le confirment, ceci dit, on peut citer l’exemple de nos voisins tunisiens qui ont su perdurer et exister avec brio dans ce secteur, notamment au sein du marché européen. Ceci est dû essentiellement à la conjoncture du marché du prêt-à-porter qui repose de plus en plus sur l’approvisionnement en flux tendu en termes de réassortiment ce que justement proposent les fournisseurs tunisiens, donc moins de rétention de trésorerie pour les plates-formes d’achat et une logistique souple due à la proximité. Ce que je veux dire par là c’est que le bassin asiatique est certes puissant, mais démontre ses limites dès qu’il est question de rajustement, réassortiment. L’Algérie peut se proposer comme une alternative régionale au marché asiatique. Aussi, certaines grandes firmes de renommée éditent leurs bons de commande à destination de nos voisins marocains qui ont su aussi pérenniser leurs acquis et les développer en termes de transmission de savoir-faire. Il y a aussi l’expérience égyptienne, avec la création de zone franche, où l’intégralité de la matière première est exonérée de taxes douanières à la seule condition que 80% de la production soient destinés à l’export.
Vous parlez là d’expériences de pays qui ont fait du textile une véritable culture. Comment les adapter à notre réalité?
Il faut une réponse globale, nous devons nous donner les moyens de cette politique en créant des filières de formation dans le design, le marketing, les achats et la logistique pour le secteur textile qui est encore une fois une science à part entière, ce qui offrira une force humaine qualifiée. Mais bien avant d’aller chercher l’horizon de l’export, le vrai défi est de subvenir aux besoins du marché local. Il est par exemple inconcevable de voir des tabliers scolaires importés pour la rentrée des classes.
Quelles sont les niches et les innovations sur lesquelles les autorités pourraient miser?
La première niche et première richesse, incontestable est l’humain, que nous devons prendre en charge avec une formation ciblée, basée sur un système modulaire essentiel au monde professionnel. Je veux dire par là, commençons par le commencement. Reproduisons les mêmes ingrédients qui ont fait recette dans les pays où le textile est une culture en les adaptant au marché et à l’humain algérien. Une fois que le basique est acquis, on pourra alors parler d’innovation et puis quand bien même la distance peut être significative avec les pays dont la recherche est à la pointe, il s’avère que nous regorgeons de richesses naturelles qu’il suffira d’exploiter à bon escient. L’innovation, dans notre posture, consiste tout d’abord à une orientation des jeunes investisseurs et les encourager à aller dans se secteur de production, tout en les accompagnant dans l’ouverture de marché, d’étude de coûts et distribution. En cas de réussite, c’est déjà une révolution en soi que de trouver du «made in bladi» sur nos étals et de consommer algérien.
Avez-vous des exemples concrets?
Pour un début, en termes de produit fini, on peut citer la maroquinerie et les chaussures et autre produit dérivé de cette famille de produits. C’est une réelle niche. On peut aussi parler de la niche des produits d’habillement pour bébé, c’est juste extraordinaire le potentiel et la facilité que peut présenter cette niche. On est sur une segmentation où le client (bébé) grandit avec une vitesse de croissance considérable, donc un besoin croissant et où le client (bébé) n’est pas regardant sur la notoriété de la marque vu que ce sont les parents qui font l’acte d’achat, donc pour un début un «made in Algeria» qualitatif passerait fort bien, s’ajoute à cela la poussée démographique et le nombre de bébés par foyer, dont le papa achète, la maman, les oncles et tantes, les grands parents…Habiller les familles algériennes en «made in DZ» est un pari prétentieux. Toutefois, nous avons amplement les moyens de le faire. Nous pouvons produire du coton, nous remplissons pleinement les critères en termes de richesse et de climat. Reste un axe de progrès qui est le savoir-faire qu’il ne faut surtout pas inscrire comme handicap. Disons bienvenue à l’expertise étrangère, monnayant des clauses bien verrouillées de transmission du savoir à défaut d’aller chercher la nomenklatura algérienne qui est hautement qualifiée.