Dix mois après le lancement du plan national de prise en charge des femmes enceintes : Les services de gynécologie-obstétrique sous haute pression

Dix mois après le lancement du plan national de prise en charge des femmes enceintes : Les services de gynécologie-obstétrique sous haute pression

Dans les structures hospitalières que nous avons visitées, les pavillons dédiés à l’enfantement ne désemplissent pas. Le volume de travail des professionnels des urgences gynéco est dominé essentiellement par l’activité obstétrique et les sages-femmes sont contraintes de faire un travail de série face à la forte affluence.

Qu’en est-il du niveau de prise en charge des accouchements dans les hôpitaux, dix mois après le lancement du nouveau schéma national au profit des parturientes ? Est-on parvenu à mettre fin au “nomadisme” médical imposé aux parturientes en cas de complications ? Qu’en est-il de la qualité des soins ? Ce sont autant de questions que nous avons abordées lors de notre tournée la semaine passée, à travers les urgences gynéco-obstétriques de la capitale, notamment des EPH de Aïn Taya et de Kouba, du CHU Mustapha-Pacha, ou encore de la clinique Brahim-Gharafa (ex-Durondo) de Bab El-Oued. Pour saisir la réalité du terrain, il importe de reprendre la teneur du nouveau circuit de la parturiente qui promet de baliser le parcours médical de la future mère, dès la captation de la gestation jusqu’à “la délivrance”, tout en identifiant le lieu d’accouchement. Ce réseau est basé sur la hiérarchisation des soins, en classant les structures d’accueil en quatre paliers de soins à prodiguer, en fonction de la grossesse normale, à bas risque ou à haut risque. Le premier palier concerne des structures dont le rôle est lié à la captation et l’inscription de la grossesse. Le deuxième palier (structures sans bloc opératoire) assure des accouchements considérés normaux. Le troisième niveau qui concerne les EPH et les EHS (de salle d’accouchement standard, d’un bloc opératoire et d’une unité de néonatologie) prend en charge les grossesses à risque et les césariennes. Le quatrième palier englobe les maternités des services hospitalo-universitaires de gynéco-obstétrique, les CHU (accouchement à haut risque). Les gardes obstétricales ont-elles été renforcées dans les hôpitaux depuis des drames qui ont coûté la vie à des parturientes l’année dernière. Selon le ministère de la Santé, le taux de mortalité maternelle a nettement baissé par rapport aux années 1990 ou 2000, qui étaient autour de 160 et 117 pour 100 000 parturientes. Selon les dernières statistiques, le taux de mortalité maternelle enregistré en 2017, est de 57 pour 100 000 naissances. Les structures hospitalières visitées fonctionnent encore sous haute pression. Les pavillons dédiés à l’enfantement ne désemplissent pas. Ils affichent complet. Le volume de travail des professionnels des urgences gynéco est dominé essentiellement par l’activité obstétrique (accouchements et césariennes). Les sages-femmes sont contraintes de faire un travail de série face à l’affluence. Plus de 100 000 accouchements ont été enregistrés en 2017 dans la capitale, et ce, malgré l’insuffisance de lits obstétriques. Au niveau national, plus de 1 million et soixante mille naissances ont été enregistrées l’année dernière à travers les 48 wilayas. Le poids de la forte demande en accouchements se fait fortement sentir dans l’EPH de Aïn Taya, classé palier 3. Le “surbooking” est impressionnant. Le moindre espace de libre, même un passage ou un couloir d’accès est réquisitionné pour placer un lit obstétrical. Des chambres conçues pour deux lits abritent jusqu’à quatre femmes. Des pièces ont été réaménagées. La salle de colloque où les gynécologues se concertent sur les pathologies lourdes a été réorganisée pour accueillir jusqu’à 8 parturientes. “Notre capacité d’accueil qui est de 66 est passée à 93 lits après les réaménagements. Avec l’ouverture du nouveau pavillon des urgences jeudi dernier, la prise en charge sera mieux organisée”, nous expliquera le professeur Guerroumi Smaïl, chef du service Gynéco-obstétrique, avant de poursuivre : “Des parturientes qui viennent de partout, de Tizi Ouzou, Boumerdès, Bouira, Médéa, Ksar Boukhari, outre les quartiers de la périphérie de l’est d’Alger. Notre service reçoit jusqu’à 38% de femmes enceintes hors du secteur. Plus de 80% de nos activités se limitent à l’obstétrique. Notre hôpital assure à présent entre 8000 et 9000 accouchements par an. La raison est toute simple : on ne renvoie jamais une patiente.” Le nouveau schéma d’accouchement est-il mis en application ? “Le nouveau dispositif y est mis en application progressivement. C’est comme toute nouvelle organisation, cela exige une période d’adaptation. On est sur le terrain, on a commencé à travailler avec ce schéma, mais les gens ne suivent pas, faute d’informations”, ajoutera encore le professeur Guerroumi. Les conditions d’enfantement à l’EPH de Kouba, classé palier 3, ne diffèrent pas beaucoup de celles relevées à l’hôpital de Aïn Taya. L’on a assisté à des scènes symptomatiques qui renseignent sur la galère des parturientes et sur la pression que subisse, au quotidien, le personnel médical.

De l’aveu même du Pr Bendaoud Hafidha, chef de service gynéco-obstétrique, ses équipes de gardes obstétricales sont en rodage quant à la mise en application de la nouvelle organisation : “La mise en application du nouveau schéma exige un peu plus de temps. D’abord, les citoyens ne sont pas informés. Les femmes continuent à venir accoucher sans dossier médical. On prend toutes les malades de n’importe quelle région. Rien que pour l’année dernière, sur les 8000 accouchements enregistrés, plus 1000 de parturientes sont venues d’autres wilayas. Ce qui explique la surcharge du service. Alors que le nouveau guide organise l’accouchement depuis le premier jour de la grossesse en déterminant le lieu de l’enfantement.” Des accompagnateurs des patientes rencontrées dans le hall des urgences gynéco reconnaissent que leurs épouses sont venues accoucher sans aucun dossier médical. “Pour moi, la malade elle-même est le dossier, c’est au médecin de l’ausculter, de lui faire le bilan, avant de la faire monter sur la table d’accouchement”, ironise un époux. Pr Bendaoud expliquera plus loin : “Le dossier médical qui renseigne et sur la parturiente et sur la grossesse constitue une protection de base pour réussir l’accouchement. Malheureusement, le médecin et la sage-femme se retrouvent sans protection face à de nombreux cas sans aucun statut médical.” Le service gynéco de Kouba fonctionne en “surbooking”. Le moindre espace est “squatté” pour aliter une parturiente. “Malgré toutes les critiques, les gens continuent à venir accoucher à Kouba. L’hôpital de Kouba enregistre entre 8000 et 9000 accouchements par an. Ce nombre confirme que les femmes se bousculent au portillon de notre service. À Kouba, nous ne distribuons pas de draps roses, mais on vous garantit d’accoucher en toute sécurité”, soutiendra Pr Bendaoud. Et d’ajouter : “Le point noir à l’hôpital de Kouba demeure l’accueil conjugué à l’incivisme des accompagnateurs des malades. Les agents également se mêlent de tout, à tel point qu’ils déroutent les malades. Il faudra investir dans la formation des agents d’accueil.” Les même scènes de surcharge sont valables pour le service de gynéco du CHU Mustapha classé palier 4. Le service placé sous l’autorité du Pr Addad est censé assurer les accouchements à haut risque, l’hospitalisation GHR (grossesse à haut risque), réanimation médicale du nouveau-né et de l’adulte. Cependant, la réalité bat en brèche les missions conférées au service du Pr Addad. Les femmes continuent à venir nombreuses pour consultation au niveau de ce service universitaire de référence et multidisciplinaire qui enregistre une moyenne de 4000 accouchements par an. “Nous sommes classés au palier 4, donc nous sommes censés recevoir des cas d’extrême urgence, évacués depuis d’autres structures de palier 2 ou de palier 3. Nous sommes en train de mettre en place le nouveau dispositif de nature à sécuriser plus l’enfantement. Mais il faudra être patient. Nous sommes convaincus que cela va venir avec le temps”, précisera Pr Addad. Le classement “aléatoire” des établissements d’accouchement est visible à la clinique Brahim-Gharafa, ex-Durondo, qui est classée au palier 3, alors que les missions qu’on lui a conférées la placent largement en palier 4. Cette clinique relevant du CHU de Bab El-Oued est organisée en sept unités : une unité de néonatalogie, de GHR (grossesse à haut risque), de gynéco, de l’unité des naissances, de bloc opératoire, unité de réanimation pour nouveau-né et adulte, et une autre unité post-partum.

Autrement dit, cette structure située au cœur du quartier populaire de Bab El-Oued dispose d’un plateau technique qui répond à la prise en charge de n’importe quelle situation grave ou de n’importe quelle pathologie. Le chef de service, Pr Madaci Fadhila, avoue pour sa part que “la clinique Durondo reçoit des patientes qui viennent de partout. Le capital relationnel y est pour beaucoup. Il suffit d’avoir une connaissance directe ou indirecte avec la clinique, on y vient. Mais il va falloir lutter contre ça”. Enfin, les jeunes gynécologues et sages-femmes rencontrés lors de notre tournée soutiennent, sous le couvert de l’anonymat, que “l’application de la nouvelle organisation d’accouchement relève pour le moment de l’utopie. Il faudra attendre au minimum 10 années pour combler le déficit organisationnel chronique des hôpitaux”.

Par : Hanafi .H