La cuisine traditionnelle dans les restaurants de Tizi Ouzou: Le rêve culinaire perdu

La cuisine traditionnelle dans les restaurants de Tizi Ouzou: Le rêve culinaire perdu

Les restaurateurs ont-ils honte de leur patrimoine culinaire?«L’Italien ne viendra pas à Tigzirt pour manger de la pizza, il y en a suffisamment chez lui.»

Véritable phénomène de société, la gastronomie traditionnelle locale est quasi-absente dans les restaurants de Tizi Ouzou. Nous avons fait un tour dans les quatre directions pour dénicher un restaurant qui en fait sa spécialité et le résultat est sans équivoque. Les petits coins qui résistent se comptent sur les doigts d’une seule main.

Cela est constaté au moment où les pouvoirs publics comme les organismes concernés par la préservation du patrimoine local au nom de l’authenticité, multiplient les discours sur la politique de promotion du produit du terroir et son insertion dans la machine du développement économique local.

Le constat est sans équivoque: sur le terrain, c’est le néant. Les restaurants de luxe comme les petits restos et gargotes populaires préfèrent présenter un menu de type oriental et occidental. Aussi, au retour d’une virée à travers les restaurants dans les villes côtières d’abord, puis aux chefs-lieux des communes et enfin dans la ville des Genêts…nous étions toujours sur notre faim.

Nous n’avons hélas! pas retrouvé ces mets riches en diverses plantes. Pourtant, la région fortement boisée et la saison printanière sont là deux atouts qui plaident pour la richesse de la table locale. Ni les poireaux sauvages (tarnast) en macédoine ni les mets riches en plantes sauvages ramenées des bords des rivières. Aucune trace de ces plats en couscous et berkoukès.

L’espoir de retrouver la viande rosâtre d’un hautain et fier poulet de ferme n’est même pas permis au vu de la situation. Au terme d’un long voyage parmi les restaurants, nous nous sommes résignés à un plat de sardines qui n’ont d’ailleurs plus le goût de celles du bon vieux temps de la Méditerranée.

Notre périple même décevant en matière de mets aux goûts ancestraux comme on le voit dans d’autres pays à la tradition touristique, nous a tout de même permis de comprendre les causes essentielles de cette «sécheresse gastronomique».

La cuisine kabyle n’est-elle pas rentable?

Sur le terrain, nous avons abordé le sujet avec les clients de nombreux restaurants et avec les gérants et propriétaires eux-mêmes.

Du côté des clients, le désir de commander local est présent, mais l’offre n’y est pas. «J’aurais aimé manger un couscous aux poireaux. C’est mon rêve», affirme un client attablé autour d’un plat de riz au poulet. Mais alors, si la clientèle en demande, quelles seraient les raisons objectives qui empêchent les restaurateurs de garnir leurs menus de mets locaux? «Je suis sûr que je mettrai la clé sous le paillasson en un mois si je me suffisais de faire du berkoukès.

Les gens aiment ressembler aux Américains et aux Allemands. Venez à la mi-journée, vous verrez les commandes des familles. Que des plats européens», affirme un restaurateur de la ville de Tizi Ouzou.

Connu pour sa cuisine raffinée, la ville d’Azazga a constitué un espoir pour nous de trouver de la cuisine kabyle. La déception était au bout de la RN12.

A force de vouloir plaire, on déplaît

La cuisine était en effet d’un noble raffinement, mais l’authenticité n’y était pas.

«Vous ne trouverez pas des poireaux sauvages ici. Il faut aller dans les prairies verdoyantes, près de la rivière pour en trouver. Puis revenez chez vous pour en faire une bonne macédoine, vous êtes le seul qui me pose la question depuis des années.»

Les restaurants n’en font pas leur spécialité. A Tigzirt, sur le littoral, les restaurants de luxe affichent complet à midi. Ville touristique par excellence et surtout par vocation, nous avons esquissé l’espoir de trouver un lieu qui en fait sa spécialité à proposer aux touristes nationaux et étrangers. Il n’en fut rien. En direction du touriste étranger, les restaurants proposent des plats français, italiens, voire même japonais ou libanais, mais kabyle dans les parages.

«C’est vraiment délicieux et exquis, mais le seul restaurant qui a proposé ce type de plat a fermé après un mois de son ouverture.

La périodicité de cette cuisine traditionnelle n’est, semble-t-il, pas liée au gérant du restaurant, mais c’est aussi une question de rentabilité», explique un propriétaire d’un bar-restaurant. Loin de nous décourager, nous avons tenté un dernier coup à Draâ ben Khedda.

De ce côté-là les mets sont loin de la réalité du terrain. A la mode, le kische libanais. Les jeunes se bousculent dans les restaurants fort nombreux, qui en font leur spécialité.

«L’Italien ne viendra pas à Tigzirt pour manger de la pizza. Il en a suffisamment chez lui. C’est même sa spécialité», c’est un jeune cuisinier qui l’affirme avec conviction dans une pizzeria de Tigzirt. Pour notre ami, les gens sont bourrés du complexe de plaire à l’Autre en le mimant. «Croyez-vous vraiment qu’un touriste européen va venir en Algérie pour manger de la cuisine japonaise?», s’interroge un autre.

Contrairement aux autres régions d’Afrique du Nord, tunisiennes et marocaines surtout, la Kabylie n’a pas l’air d’être fière d’elle-même. Le constat est partagé par beaucoup de jeunes de la région. «J’ai envie d’ouvrir un restaurant juste par militantisme. Je voudrais militer pour que le plat de la région retrouve sa dignité», jure un jeune chômeur. «Les gens aiment à aller faire le barbecue dans la forêt et je pense qu’il serait intéressant de faire une sorte d’auberge en bois où je ne servirai que des plats traditionnels.»

Beaucoup de restaurateurs préconisent en fait une démarche plus réfléchie et scientifique pour la promotion du produit local. Au lieu d’attendre que les restaurateurs, animés surtout par la nécessité de vendre, proposent la cuisine locale, il faut plutôt ouvrir des spécialités dans les centres de formation et les écoles privées.

Avant de penser aux étrangers…

Aujourd’hui, les pouvoirs publics multiplient les initiatives dans l’optique de dynamiser les secteurs de l’artisanat, l’agriculture et tourisme. Faire naître une spécialité locale dans le créneau de la restauration trouve aisément sa place dans cette démarche. C’est même un vecteur important de toute cette politique.

Hélas, les grands établissements hôteliers étatiques et privés ne sont pas encore dotés de ces spécialités locales. «Je crois qu’il faut d’abord former des cuisiniers professionnels, spécialisés dans les mets du terroir. Leur présence dans les établissements hôteliers qui accueillent des touristes étrangers serait une voie royale pour ces spécialités de grand-mère», affirme un cuisinier qualifié en retraite.

«Croyez-moi du temps où je travaillais dans un restaurant en France, les propriétaires qui faisaient la promotion des plats européens qu’ils proposaient me priaient de leur préparer des mets kabyles en fin de travail. Avant que je ne retourne au bled, ils m’ont même proposé d’ouvrir un restaurant spécialisé.

Je ne pouvais pas car venir chercher des herbes comme les poireaux sauvages de chez-nous n’était pas possible», raconte Ali, un cuisinier professionnel de la trempe des cordons bleus. En effet, la cuisine locale ne pourra pas attirer les touristes étrangers si nous n’en consommons pas nous-mêmes.

Faire de la cuisine authentique un label

Au terme d’une course effrénée à la recherche des mets traditionnels, une synthèse des propositions recueillies sur le terrain s’impose. Même si, déçus du point de vue de la dégustation, il n’en demeure pas moins que le butin de notre voyage dans les restaurants est riche en idées.

«Les moyens et la matière existent. L’huile d’olive et ses vertus, à elles seules, peuvent s’avérer un atout par lequel la cuisine locale peut percer parmi les milliers de labels mondialement connus et reconnus.

Des organismes créés à l’effet de ladite promotion culinaire peuvent même assurer l’accompagnement des vertus de l’huile d’olive sur la santé. Consommer bio loin de tous les produits chimico-industriels de la production de masse est également une des caractéristiques de la cuisine locale. Sinon à quoi serviraient les salons et foires sur le produit du terroir et les métiers traditionnels si le résultat est nul sur le terrain?

«Une hirondelle, toute seule, fait le printemps malgré tout!»

Enfin, à la fin de notre tournée, nous nous sommes résolus à manger quand même et quelles que soient les conséquences, un couscous aux fèves vertes en plein centre-ville de Tizi Ouzou.

Un petit restaurant situé au coin d’une ruelle résiste à la vague du néant. Il sert du couscous au lait caillé et toutes sortes de produits laitiers. Mais, fait aussi rare, la boutique sert agréablement le couscous aux fèves vertes en cette saison où ce légume pousse à profusion.