Cela s’est passé un 29 octobre 1997, Latifa Benmansour reçoit un prix littéraire

Cela s’est passé un 29 octobre 1997, Latifa Benmansour reçoit un prix littéraire

Écrivain et professeur à la Sorbonne, Latifa Benmansour reçoit le prix « Beur FM Méditerranée » pour son deuxième roman « La prière de la peur », le 29 octobre 1997.

« La prière de la peur », paru en 1997 aux éditions La Différence (France) relate le destin de deux jeunes femmes, cousines qui portent le même prénom : Hanan. La première vivait en France et avait décidé de rentrer définitivement en Algérie. Elle prendra le mauvais avion, le mauvais jour. Celui où des monstres ont décidé de poser une bombe dans l’aéroport d’Alger. Hanan y perdra ses jambes. Et ses jours sont comptés. Mais tant qu’elle est en vie, elle en profite pour collecter la mémoire de sa famille, de sa ville, de l’Algérie, via la parole de son aïeule Lalla Kenza. Il en ressortira un manuscrit riche en contes, chants, citations, musique andalouse… et autres traditions orales.

La seconde Hanan découvrira la première le jour de son enterrement. Le manuscrit tombe entre ses main, et les deux jeunes femmes se confondent pour ne devenir qu’une.

L’un des plus beaux passages du livre, est un hommage aux grands noms de notre histoire, de notre culture et de notre mémoire :

« Lance ton cri terrible, Ô ange de la mort revêtu de tes habits de colère. Fais goûter aux monstres la coupe de l’amertume. Pleure, Shahrazade, sors ton sabre et lache ta cevelure, Kahina, Hurlez Djamila, Maliha et Hassiba.

Vous avez été trahies !

Retournez-vous dans vos caveaux Ibn Msayab, Ibn Sahla, Ibn Triki, Ibn Guenoun

(…)

Audin, Maillot, sanglotez, les loups se permettent de vous piétiner !

Sidi Augustin, Sidi Ephraïm (…) Moulay Idris, Lalla Mimouna, Lalla Setti, Notre Dame d’Afrique et Notre Dame de Santa Cruz !

Manifestez vos preuves, Al Djazaïr, le pays qui vous a élus et recueillis est en danger !

Par le serment de nos femmes, se battant mieux que des hommes,

Tu revivras Algérie.

Par le serment de nos femmes,

C’est sur ta terre que grandiront nos enfants.

Wa Ahram Ansa ! Par le serment des femmes,

Et lorsqu’elles jurent, elles tiennent

De tes cendres, tu renaitras, Algérie » (P. 379-380)

A travers des noms, des rites et un patrimoine, « La prière de la peur » rend un vibrant hommage à ce peuple qui a subit la décennie noire sans jamais fléchir, aux femmes algériennes qui n’ont jamais fléchis sous la menace et qui sont toujours sorties dans la rue pour refuser la barbarie. Des femmes sans armes ni boucliers, juste bardées de patience et d’espoir. L’espoir que rien ne meurt en elles.

« La prière de la peur » est un beau roman, presque construit comme une tragédie ancienne, un peu comme les Mille et une nuits. Il est aussi poignant, à la fois tendre et violent. Et surtout, il résume toutes les interrogations, toutes les peurs et surtout les espoirs de l’auteur. Latifa Benmensour a vécu la guerre d’Algérie, durant laquelle elle a perdu son père. Elle se maria avec un Libanais et a connus douze ans d’une autre guerre. Lorsqu’elle le quitta, c’était pour connaitre une autre guerre dans son propre pays. Puis l’exil après les menaces du FIS. Son combat est toujours porté contre l’intégrisme et l’obscurantisme (notamment à travers ses écrits, comme Frères musulmans, frères féroces. Voyage dans l’enfer du discours islamiste, essai, Ramsay, 2002.), ainsi que pour l’émancipation de la femme. Elle raconte souvent une scène qu’elle a vue, en 1964, alors qu’elle n’avait que 15 ans : « J’ai vu, dans les rues de Tlemcen, en Algérie, un mari tuer sa femme- soi-disant infidèle- à coup de pierres. Les passants regardaient, personnes n’est intervenu. Ce terrible épisode a orienté ma vie ; dès que je baisse la garde, que j’ai envie de laisser tomber, cette femme revient me hanter. Depuis, chaque jour, cette scène est rejouée mille fois et je ne peux pas garder le silence. Il est de mon devoir intime de m’opposer. Je l’ai payé très cher : j’ai été menacée de mort, humiliée, insultée, interdite, diffamée ».

« La prière de la peur »  a été réédité à plusieurs reprises, a obtenu le Prix Beur FM Méditerranée.

Zineb Merzouk