Après Nezzar et Benmaâlem, le général Benyellès sort son livre: Mémoires de généraux

Après Nezzar et Benmaâlem, le général  Benyellès sort son livre: Mémoires de généraux

La publication de Mémoires a longtemps été l’apanage des hommes politiques. Désormais, les généraux se mettent de la partie, relatent leur vie et livrent leur version des grands moments de l’histoire de l’Algérie indépendante.

Après Khaled Nezzar qui a pondu ses mémoires il y a quelques années en deux tomes, le premier sous l’intitulé«Journal de guerre» et le deuxième «Sur le Front égyptien: la 2e brigade portée algérienne, 1968-1969», ainsi qu’un livre sur l’arrêt du processus électoral «Algérie, arrêt du processus électoral, enjeux et démocratie», feu le général Hocine Benmaâlem lui a emboîté le pas en publiant ses mémoires.

Celui-ci a commencé par éditer un premier volume qui relate son parcours de combattant durant la guerre de libération et le deuxième volume, qui devrait s’intéresser à la période post-indépendance, mais il est décédé avant sa parution. Aujourd’hui, c’est le général à la retraite Rachid Benyellès qui investit la scène. Décidément, publier ses mémoires, qui a longtemps été l’apanage des hommes politiques, tend de plus en plus à devenir une singulière façon de faire leur bilan pour les généraux.

Des irresponsables projetaient d’organiser des manifestations

L’armée, trop longtemps qualifiée de «muette», commence à délier sa langue. Et pour cause, le si discipliné et discret général à la retraite Rachid Benyellès vient de commettre un livre de plus de 400 pages dans lequel il relate son parcours en faisant halte à chacun des grands moments de l’histoire de l’Algérie indépendante, notamment de 1992 à 1999, date de l’arrivée au pouvoir du président Abdelaziz Bouteflika.

Troisième général à se livrer dans un livre avec Khaled Nezzar et Hocine Benmaâlem, Rachid Benyellès ouvre ainsi la voie devant les autres généraux qui seraient tentés de léguer des témoignages aux nouvelles générations sur leurs parcours, mais aussi sur les étapes ayant marqué l’histoire de l’Algérie contemporaine, surtout que dans son livre il lève le voile sur nombre de questions qui se posent et dont les réponses n’ont été jusque-là que d’insistantes rumeurs. Evoquant, entre autres, la succession à Houari Boumediene, il a complètement récusé l’idée fort répandue dans les milieux politiques et journalistiques selon laquelle le choix de Chadli Bendjedid se serait fait selon le mécanisme du plus âgé.

«Lorsque Boumediene est tombé dans le coma, le Conseil de la révolution s’est réuni en session ouverte et c’est ce conseil qui a désigné Chadli Bendjedid comme coordinateur des affaires de défense et de sécurité. Au fil des jours, Chadli Bendjedid s’est distingué par rapport aux autres membres du Conseil de la révolution. Et lorsque le problème de la succession s’est posé, le nom de Chadli Bendjedid qui s’est déjà distingué auparavant est revenu sur le tapis», indique-t-il en affirmant que le Conseil de la révolution n’avait pas d’autres choix.

«Nous n’avions pas le choix. Nous n’avions pas de candidat, ni civil ni militaire. Il n’y avait aucune personnalité qui émergeait du lot», a-t-il précisé. S’agissant des noms de Yahiaoui et de Bouteflika qui, jusqu’à aujourd’hui, continuent à être cités comme étant des successeurs potentiels au président Boumediene en 1979, Rachid Benyellès dit que cette option avait été discutée d’une façon informelle. «Mohamed Salah Yahioui et Abdelaziz Bouteflika n’ont jamais exprimé leur volonté de se porter comme candidats à la présidence», a-t-il affirmé, balayant ainsi le cliché selon lequel ces deux hommes auraient fait des pieds et des mains pour succéder à Boumediene. Sur Octobbre 1988, Rachid Benyellès explique comment, même face à une crise politique majeure et au chaos social qui allaient déboucher sur une guerre civile, la question du pouvoir était la principale préoccupation de certains responsables.

«Le 11 octobre au matin, un calme précaire régnait dans la capitale qui venait de vivre les événements les plus graves de son histoire depuis l’Indépendance… J’étais dans mon bureau lorsque, vers le coup de neuf heures, deux ou trois directeurs généraux d’entreprises relevant de ma tutelle m’appelèrent pour m’apprendre que le wali d’Alger, passant outre l’état de siège interdisant formellement tout rassemblement sur la voie publique, leur avait enjoint de libérer leur personnel afin de participer à une marche de soutien au Président. Cette nouvelle m’avait mis hors de moi, une fois de plus.

Alors que les morts de la veille n’étaient pas encore enterrés, voilà que des irresponsables projetaient d’organiser des manifestations qui, à la moindre étincelle, pouvaient dégénérer et ainsi, mettre le feu aux poudres de nouveau!», écrit-il en soulignant que «Chadli Bendjedid n’avait tiré aucun enseignement des tragiques événements qui avaient secoué le pays durant ces derniers jours» et que «au premier signe d’accalmie, lui et ses proches collaborateurs se remettaient en selle pour continuer leur route comme si de rien n’était». Et de s’interroger: «Qu’avais-je donc encore à faire avec des responsables qui s’accrochaient ainsi au pouvoir?»

Comme il fallait s’y attendre, Rachid Benyellès a défendu mordicus les positions de l’armée durant la décennie noire en récusant ouvertement l’expression «coup d’Etat» que certains milieux «qui-tue-quistes» utilisent pour qualifier l’arrêt du processus électoral.

«Dans les arcanes du pouvoir»

Le général à la retraite évoque également la démission du président Zeroual qui, contrairement à ce qui s’est dit jusque-là, avait démissionné de son propre chef. «Le 11 septembre 1998, alors que le pays était toujours à feu et à sang, Liamine Zeroual, dans une brève intervention télévisée, annonça aux Algériens, stupéfaits, qu’il démissionnait de son poste de président de la République.

Ce fut un véritable coup de tonnerre! Tout le monde était convaincu que les généraux décideurs l’avaient poussé vers la sortie parce qu’il s’était opposé à l’accord conclu entre la Sécurité militaire et l’AIS. La réalité était bien plus prosaïque puisque Liamine Zéroual, tout comme Chadli Bendjedid avant lui, avait démissionné de son propre chef», écrit-il en précisant néanmoins, que la pression exercée par les institutions et l’opinion internationales suite aux massacres collectifs quasi quotidiens, et celle d’une campagne de presse extrêmement violente contre son plus proche collaborateur, Mohamed Betchine, était la goutte qui avait fait déborder le vase.

«Dans les arcanes du pouvoi»r est pour ainsi dire intéressant à la fois par le fait de véhiculer le témoignage d’un des acteurs centraux du système algérien et qui a vécu toutes les étapes traversées par l’Algérie de 1962 à 1999 de l’intérieur, mais aussi par le fait qu’il soit écrit par un général. Malgré le devoir de réserve qu’il est tenu d’observer, Rachid Benyellès par un talent de rédacteur bien rare chez les militaires, a trouvé les bonnes formules pour mettre en scène son parcours d’officier de l’armée et de général en évoquant tous les grands dossiers sur lesquels il a eu à travailler ou à jeter un oeil.

Ecrit d’une façon très sereine et apaisé, «Dans les arcanes du pouvoir», bien qu’il contienne quelques paragraphes plus ou moins «colériques», reste un témoignage riche, inoffensif et d’une puissance pédagogique qui laisse le lecteur admiratif.