21e salon international du livre d’Alger / Ahmed Lagraa (écrivain): « J’ai refusé de condamner le printemps berbère »

21e salon international du livre d’Alger / Ahmed Lagraa (écrivain): « J’ai refusé de condamner le printemps berbère »

Rencontré au Pavillon central du Salon international du livre d’Alger, l’écrivain Ahmed Lagraa nous a accordé cette interview où il aborde de nombreuses questions inhérentes entre autres à sa passion pour l’écriture.

L’Expression: Comment finit-on par devenir écrivain après une longue carrière de diplomate?

Ahmed Lagraa: En réalité, je n’ai jamais pensé être un jour écrivain. Cela a commencé par un séjour à Béchar, j’avais remarqué avec grand intérêt et une immense joie que des moudjahidine, des authentiques ont été honorés. Mais j’avais remarqué également qu’un autre grand et authentique moudjahid, feu Bélaïd Ahmed, alias si Ferhat, officier de la glorieuse ALN, ex-chef de la Zone 8 de la Wilaya 5 historique, (poste qui avait été occupé par le colonel Lotfi) n’avait pas été retenu parmi ses camarades et néanmoins leur chef. Aucune explication ne m’a été fournie par la kasma des moudjahidine de Béchar à propos de cette omission. J’ai alors décidé de saisir la Wilaya par écrit en précisant qu’il était connu pour avoir été député à l’indépendance pour la Saoura, ensuite Commissaire national du parti à Béchar, puis contrôleur du parti lorsque l’actuel secrétaire national, Saïd Abadou, lui succéda au poste de Commissaire national du parti à Béchar. Monsieur Abdelaziz Bouteflika, l’avait connu lorsqu’il était le responsable du cheminement de l’armement dans le Sud-Ouest, et Si Okbi Abdelghani, officier de l’ALN, ancien chef de la base de Figuig.

C’est donc cet épisode qui a constitué un déclic et vous a poussé à tremper votre plume dans l’encre de l’histoire?

Oui, devant une omission aussi révoltante, j’ai décidé d’écrire dans un premier stade ce que je savais ou vécu durant la lutte de Libération nationale comme contribution et devoir de mémoire dans le domaine. Mes deux ouvrages relatent des évènements vécus durant la lutte libératrice en même temps que j’ai consacré le premier à une figure emblématique du civil le plus important dans la hiérarchie révolutionnaire, en l’occurrence si Abdelkamel, chef de l’Ocfln de Béchar et sa région pour qui malheureusement un ostracisme continue d’envelopper le personnage et dont je fus le secrétaire particulier. Enfin, pour utile information, je suis moudjahid et fils de moudjahid, ce qui est rare d’être l’un et l’autre. Ensuite je voulais faire profiter l’opinion algérienne, et en particulier la jeunesse à travers des évènements vécus complétés par des connaissances historiques, géographiques humaines souvent ignorées du grand public.

Votre dernier livre «Un idéal brisé…» est vraisemblablement inspiré de faits réels. Pouvez-vous nous en dire un peu plus?

Il s’agit d’une véritable et authentique histoire d’une famille émigrée originaire de Biskra, confrontée aux aléas de la vie et dont chaque membre de cette cellule familiale s’est retrouvé avec un destin auquel aucun ne s’attendait. Ensuite, à travers ce fait réel, je voulais informer l’opinion algérienne pour savoir combien la vie au sein de l’émigration n’est pas aussi paradisiaque que l’on puisse l’imaginer.

C’est une histoire destinée également à cette jeunesse «haraga» pour mieux réfléchir avant de faire le premier pas vers l’inconnu.

Dans une partie de vos livres, vous parlez beaucoup de votre région Béchar, parlez-nous un peu de cet intérêt à cette localité du Sud algérien?

D’abord, je suis natif de Béchar. Mon aïeul Ziad est arrivé en 1382 à Arbaouat en plein centre géographique de l’Algérie actuelle. La famille Lagraa a quitté cette région en 1928 à la suite du décès de mon grand-père car ruiné du fait de l’assistance apportée aux différentes résistances, notamment celle du cheikh Bouamama dont mon père porte le prénom. Nous avons été bien accueillis par les Bécharis. L’hospitalité dans cette région est innée. Ensuite, le grand public ignore quelques faits historiques comme l’arrivée des Français un lundi 12 novembre 1903, à Adrar, le 31 mars 1934 et à Tindouf, le 31 juillet 1934. Mais cette arrivée tardive dans cette région par rapport au reste du pays trouve son explication dans la résistance populaire à partir des Hauts-Plateaux, El Bayadh, 535 km que la colonisation a récupérés par centaines de mètres, car c’est la première fois que les Berbères et les tribus arabes s’allièrent pour affronter ensemble la colonisation. Enfin, la colonisation s’est faite comme dans le Far West en Amérique car pour chaque km de gagné, la colonisation posait le rail destiné essentiellement au transport des troupes d’occupation puisque Béchar a été relié au chemin de fer du Nord, (Mohammedia, ex-Perrégaux), le 15 octobre 1905.

Dans le cadre de vos activités de conférencier, vous avez participé à un colloque organisé par le Haut Commissariat à l’amazighité et vous avez parlé du Sahara, ce creuset des civilisations amazighes, pouvez-vous nous évoquer brièvement ce sujet?

C’est votre meilleure question. Puis-je vous féliciter d’avoir pensé à cette question. Il faut préciser qu’il s’agissait d’un colloque international. Nous étions deux de la région: moi de Béchar et le frère Bouri de Kénadza a exposer son thème en anglais. Ceci dit, je fus à un moment donné de l’histoire, l’unique diplomate en poste à l’étranger qui a refusé publiquement de signer une résolution condamnant le printemps berbère parrainée par le parti unique, le FLN. Puis, au cours d’une vente-dédicace au Sila de Merahi Youcef, alors responsable au sein du HCA, mon ouvrage: «La Saoura, Béchar, du tumultueux passé au misérable avenir», l’avait intéressé par son contenu sociologique et m’invita à faire une conférence.

Comme tout le monde le sait, écrire ne va pas sans lire. Quel est votre univers d’écrivains préférés?

Il faut avouer que j’ai un penchant caractérisé pour les ouvrages d’histoire et ceux traitant des aspects sociologiques des sociétés. Je m’intéresse également aux écrivains algériens et magrébins pour une simple curiosité sur les thèmes traités. Enfin, il ne faudrait pas omettre de citer Yasmina Khadra et Malika Mokaddem, originaires de Kénadza à 27 km de Béchar. Je voudrais terminer cet échange de vue par un double remerciement à L’Expression qui a toujours accepté de publier mes contributions sur des sujets divers, ensuite, l’intérêt qui m’est accordé aujourd’hui et l’occasion qui m’est offerte pour une meilleure approche attractive avec le public. Mille mercis.