La DG de l’ONIL a accordé 150 tonnes de poudre de lait à la faveur d’un simple chèque de «garantie», à une laiterie privée, au plus fort de la crise sur cette matière première. Pourtant, cette unité avait été interdite d’approvisionnement en poudre de lait et de subventions pour fausses déclarations, sur décision du ministère de l’Agriculture.
Mehdi Mehenni – Alger (Le Soir) – Cette laiterie privée, qui a fait l’objet d’une enquête en 2009 et qui s’est vu retirer l’approvisionnement en poudre de lait pour fausses déclarations concernant la subvention liée à la collecte de la production nationale de lait, a réussi à bénéficier d’un quota de 150 tonnes de poudre à crédit auprès de l’ONIL, à la faveur d’un simple chèque de garantie de plus de 2,7 milliards de centimes, suivi d’un engagement par écrit.
Une procédure, en somme, contraire à la loi et à la réglementation définissant le mode d’approvisionnement en poudre de lait de l’ONIL aux laiteries privées. En effet, la procédure légale veut que la transaction se fasse par le biais d’un chèque bancaire certifié, et non par un simple chèque de garantie, qui est non seulement interdit par la loi mais en plus, peut être non encaissable. Approchés, les différents responsables de l’ONIL, à commencer par son DG, donnent leurs explications sur cette procédure, documents à l’appui dont le Soir d’Algérie détient des copies.
Interrogé d’abord sur la procédure d’approvisionnement des laiteries privées en poudre de lait, le directeur général de l’ONIL, Hafid Djellouli, s’est voulu clair : «Avant de procéder à l’approvisionnement, nous vérifions d’abord si la laiterie est en situation régulière vis-à-vis des impôts, l’écoulement de l’ancien quota de poudre dans la production du lait et sa distribution… Ensuite, nous libérons une affectation de poudre à la faveur d’un chèque bancaire certifié ou un virement.»
Questionné sur la possibilité d’approvisionner un producteur de lait en poudre à la faveur d’un simple chèque de garantie, le DG de l’ONIL a encore une fois été précis : «C’est absolument impossible.
Lorsque l’ONIL se rend au port pour dédouaner la marchandise, elle doit présenter un chèque certifié ; comment voulez-vous donc qu’elle accepte des chèques de garantie de la part des laiteries ? L’ONIL ne paie pas la poudre au prix fort pour la revendre à crédit.» Mais Hafid Djellouli ne s’en est pas longtemps tenu à ses déclarations initiales avant de changer de ton et de langage.
Une fois qu’il a pris connaissance des documents en possession du Soir d’Algérie, prouvant l’approvisionnement par l’ONIL en poudre de cette laiterie à la faveur d’un chèque de garantie suivi d’un engagement par écrit, l’intéressé, visiblement déstabilisé, évoqua le nom de son directeur financier, quitta son bureau avant de revenir en compagnie de celui-ci. Mais il se trouve que l’engagement écrit de la laiterie en question portait la griffe, c’est-à-dire l’avis favorable, de Djellouli en personne.
Ce dernier finira par opter pour d’autres explications : «Il est vrai que cette laiterie a fait l’objet d’une suspension de sa convention liée au dispositif de soutien à la production nationale de lait pour fraude et fausses déclarations, mais depuis janvier 2010, nous avons procédé à sa réactivation, sans pour autant effacer le contentieux qui lui a coûté le retrait de la subvention. Car il y a deux types de subventions et c’est à la faveur de cette dernière que cette laiterie fonctionne aujourd’hui.
Il faut savoir que depuis janvier 2010, cette laiterie ne s’est présentée à l’ONIL qu’après notre convocation au mois d’août dernier. C’est à partir de cette date que nous avons commencé à l’approvisionner en poudre et qu’elle a commencé à produire.» Mais à travers quelle procédure ? Hafid Djellouli s’explique : «Cette laiterie était à l’arrêt depuis 2009, et au moment où nous l’avons partiellement réactivée, son responsable n’avait pas encore reconstitué son dossier financier, notamment la situation de son entreprise avec sa banque.
C’est pour cela, ainsi que pour montrer sa bonne foi, qu’il nous a remis un chèque de garantie sous forme de gage et un engagement de sa part, en attendant que sa situation financière soit rétablie.» Lorsqu’il a été rappelé au DG de l’ONIL que le chèque de garantie est interdit par la loi et contraire à la procédure légale de son office, il a répliqué en précisant que «le chèque de garantie en question n’a pas été suivi par une affectation de poudre», ce qui à ses yeux n’est pas tout à fait contraire à la loi.
Interrogé sur le même sujet, le directeur financier de l’ONIL a reconnu qu’il s’agit d’une procédure nonconforme à la réglementation, en précisant qu’une telle procédure pose problème dans le cas où elle est suivie d’une affectation de poudre.
Ce qui à ses yeux peut générer une perte financière à l’Office, car un chèque courant (de garantie) peut être non-encaissable, alors que le chèque certifié qu’exigent l’ONIL et la loi pour une telle transaction permet automatiquement le blocage, par la banque elle-même, des fonds dégagés pendant 3 ans et 21 jours.
Le directeur central chargé de la collecte de lait cru au niveau de l’ONIL, que Djellouli a fait venir dans son bureau pour expliquer la situation actuelle de la laiterie en question, a affirmé : «Cette laiterie avait déclaré posséder 90 vaches laitières sur lesquelles elle touchait la prime de l’éleveur et autres subventions, mais après enquête, il s’est avéré que les vaches en question ne figuraient pas dans la fiche d’identification du cheptel des services vétérinaires de la wilaya. Suite à quoi, l’enquête a abouti à d’autres détails et la laiterie a fait l’objet de retrait de subventions pour cause de fausses déclarations».
Toutes tentatives d’entrer en contact avec le responsable de cette laiterie sont restées vaines. Hier encore, sa secrétaire a promis de lui transmettre le message, mais sans suite. Les producteurs de lait privés, qui demeurent depuis quelque temps en rupture de stock, n’en reviennent pas ! Eux qui ont payé à l’avance, au mois d’octobre, leurs quotas de poudre de lait sans rien recevoir à ce jour, se demandent comment on peut accorder de la poudre de lait à crédit à une laiterie qui a fait l’objet d’un retrait de subvention pour fausse déclaration.
Interrogé, le président de la Fédération agroalimentaire, Abdelouahab Ziani, dénonce, de son côté, cette procédure tout en affirmant que la laiterie en question n’est plus adhérente à son organisation depuis 2008, soutenant au passage qu’il fallait approvisionner ceux qui paient cash et qui attendent leurs quotas depuis des mois, avant de fournir ceux qui ne respectent pas la procédure de paiement légale. Rencontrés dimanche devant le siège de la direction de l’ONIL, une vingtaine de producteurs de lait privés, fiche d’affectation de poudre à la main, attendaient le DG pour demander des explications.
Il s’agit, selon les fiches d’affectation en question, de quantités de poudre énormes payées au début du mois d’octobre, qu’ils n’ont toujours pas reçues. C’est le cas des laiteries Medjana de Bordj Bou Arréridj à qui l’ONIL doit 24 tonnes, Amira de Biskra, 17 tonnes, Djurdjura de Béjaïa 70 tonnes, Fruits à Lait de Larbaâ 16 tonnes, Mon Lait de Oued Smar 1 000 tonnes, Coprolait de Boumerdès plus de 40 tonnes… Certaines ont même procédé dimanche au paiement du quota de novembre à l’avance, alors qu’elles n’ont toujours pas reçu celui d’octobre. Interrogé sur ces quotas non dégagés, le DG de l’ONIL répond, catégorique : «C’est totalement faux», et ajoute «l’ONIL distribue 350 tonnes de poudre quotidiennement à l’ensemble des producteurs, qu’ils soient privés ou étatiques, et ne doit aucun gramme de poudre aux laiteries qui tiennent ce genre de propos ».
RACHID BENAÏSSA :
«Ça concerne le lait subventionné»
Interrogé hier en marge de la cérémonie d’installation du Comité consultatif africain de lutte contre la désertification, le ministre de l’Agriculture et du Développement rural a refusé que l’on parle de crise ou de pénurie de lait. Comme argument, il dira que sur le marché national, la vente des produits laitiers, comme les fromages et les yaourts, n’a pas du tout été perturbée. «C’est lié à la distribution.
Il y a des dysfonctionnements », a-t-il lancé sans vouloir clarifier ses propos ou donner plus de détails. Rachid Benaïssa s’est contenté de clamer les mesures prises par le gouvernement et qui ont «redynamisé le secteur» et «facilité» les choses à tous les opérateurs.
Ainsi, a-t-il précisé, l’Algérie importe plus de vaches (20 000 en 2010 contre 15 000 en 2009), l’importation du lait en poudre est ouverte à tous les investisseurs qui souhaitent s’y lancer. Tout va bien, pourquoi parler de crise ? «Le problème concerne le lait subventionné », a-t-il enfin lâché, acculé par les journalistes.
Pour le ministre, c’est la mise en place du nouveau cahier des charges qui pose problème car, a-t-il affirmé, certains opérateurs privés ne souhaitent pas s’y conformer. «Ce nouveau dispositif implique de nouvelles habitudes. Il vise à assurer plus de transparence et à rationaliser et professionnaliser le secteur. »
I. B.