Le logement, encore le logement et toujours le logement ! Un problème omniprésent qui revient à chaque annonce d’opération de relogement, que ce soit dans la capitale ou dans d’autres wilayas du pays.
Les autorités ne ratent aucune occasion pour vanter les mérites d’avoir réalisé de milliers de constructions ici et là. Des budgets faramineux sont injectés afin d’éradiquer l’habitat précaire.
Mais à ce jour, des émeutes éclatent encore pour un logement.
Une semaine des plus houleuses est celle que viennent de vivre les éléments de la police antiémeute. Une semaine en larmes et en cris pour les citoyens de la capitale. A Oued Ouchayeh, dans la banlieue d’Alger, les habitants du bidonville situé sur les hauteurs du tunnel ont fermé la route durant la journée d’hier. La raison est toute simple :
«Nous réclamons un logement, c’est notre droit. Nous avons été chassés par le terrorisme durant les années 1990, nous avons adopté la loi pour la réconciliation nationale, l’Etat doit nous rendre la monnaie de notre pièce», a crié un quadragénaire en exhibant sa carte d’identité nationale.
La circulation automobile a été bloquée pendant toute la journée, avant que les éléments des forces antiémeutes n’interviennent pour disperser la foule. Un forcing qui ne s’est pas passé sans incident puisque des émeutes ont éclaté entre les jeunes et la police.
Vers la commune de Baraki, le même scénario a été vécu par les automobilistes qui ont emprunté cette route. Il a fallu près de deux heures pour être sur les lieux de l’émeute.
Des camions de la police sont stationnés et prêts à d’éventuelles interventions. Des dizaines d’éléments de la police munis de boucliers et de casques de sécurité en file indienne et des policiers en civil tentent de pénétrer parmi les émeutiers afin d’en isoler quelques-uns. De l’autre côté, un autre décor saute aux yeux : des jeunes et moins jeunes, pierres, barres de fer et bouteilles en verre à la main menacent. Les dizaines de jeunes regroupés à l’entrée de la cité ont commencé à jeter des pierres et d’autres objets sur les policiers venus contenir la contestation.
Des jets de pierres de part et d’autre partent et des poursuites contre des émeutiers sont effectuées, notamment par des policiers en civil. Mais sans résultat. Au début de l’après- midi, la contestation a baissé d’un cran et ce grâce à la pacification de la police qui n’a pas voulu enflammer la foule. L’absence totale des autorités locales est la cause de ces incidents. «Ni le maire, ni le wali délégué ne sont venus nous voir. C’est de l’exclusion caractérisée que nous ne sommes pas près d’accepter. Nous sommes des Algériens à part entière», a déclaré l’un des membres du comité.
Les citoyens vivent dans des cellules
La cité Diar El Baraka a été construite en 1958 par un algérien allié de la France coloniale, un riche propriétaire terrien, qui n’est autre que M. Bengana qui a quitté le sol algérien en 1962 pour rallier la Suisse où il a élu domicile depuis. Bengana a laissé ses terres et ses constructions aux algériens qui travaillaient chez lui dans le cadre de la loi de l’indigénat.
«Nous habitons cette cité construite sous forme d’écuries depuis l’indépendance. sommes-nous encore sous le règne de la France ou avons-nous eu notre indépendance ?» a interrogé Mohamed, un septuagénaire. Notre interlocuteur renchérit : «nous avons été inscrits dans plusieurs programmes de relogement et ce depuis 1986, date à laquelle nous avons eu des arrêtés de la mairie de Baraki qui offrait des lots de terrain à certains habitants.
En 1987, un projet de construction d’une cité a été initié par les autorités à Haouch El Khorchof non loin d’ici, mais à ce jour nous n’avons rien eu». Djilali, un autre habitant de la cité de Diar El Baraka et membre du comité de quartier ajoute : «En 1989, certains habitants ont effectivement bénéficié de lots de terrain d’une superficie de 160 m2. Pour le reste, les autorités ont promis des logements.
Selon les propos de aâmi Mohamed, les logements de Haouch El Khorchof entrent dans le cadre de l’opération APC/CNEP. «D’ailleurs, nous avons tous ouvert des comptes CNEP, mais voilà, plusieurs années après, nous sommes encore au point de départ». Mustapha qui insiste pour nous faire visiter les logements dira : «Durant les années de terrorisme, nous avons tous quitté la cité, laquelle a été récupérée par les services de sécurité qui ont transformé nos logements en cellules pour les terroristes capturés».
Le faux-plafond, seul remède contre l’humidité
«L’habitat précaire est censé être éradiqué. » Je ne veux plus de bidonvilles à Alger», a dit un jour le président de la République. Une phrase répétée par plusieurs citoyens de la cité, qui lancent un appel à travers notre journal :
«M. le Président, nous habitons toujours dans des bidonvilles. Pire, nous habitons les logements des indigènes, intervenez pour ne pas nous laisser mourir colonisés !» Un cri de détresse en direction des autorités du pays lancé par des habitants qui vivent dans des conditions insoutenables. A l’intérieur de l’une des maisons du quartier, nous avons pu constater la gravité de la situation.
Murs en parpaing, toit en éternit et sol en béton. Pour isoler l’éternit de la maison, les habitants de la cité ont eu recours au faux-plafond.
Madjid le maçon du quartier explique : «Le plâtre absorbe l’humidité et l’isole de l’intérieur de la maison, autrement nos enfants seront tous asthmatiques. Les sanitaires sont collectifs et pour certains il faut traverser le quartier pour s’y rendre.
La nuit, il faut se munir de bougie et en temps de pluie, c’est dans un coin de la chambre que nous faisons nos besoins.» C’est là le résumé de Noureddine qui habite la cité depuis 16 ans. Zahra, une vieille femme qui a connu les pires atrocités de la décennie noire à Bentalha où elle vivait et qui a vu ses deux filles égorgées devant elle, raconte :
«J’ai habité Bentalha depuis ma naissance jusqu’en 1997, jour où mes deux jeunes filles ont été égorgées sous mes yeux. J’ai fui ma maison avec l’ensemble de ma famille vers ce quartier et depuis nous avons déposé plusieurs demandes de logement. Mais à ce jour nous n’avons rien eu. Il ne me reste pas grand-chose à vivre, mais je me bats pour mes autres enfants.
J’espère vraiment vivre ne serait-ce qu’une journée de fête dans ma vie». Les jeunes émeutiers ont décidé de continuer d’occuper la rue jusqu’à satisfaction de leur unique revendication. «Nous ne rentrerons pas chez nous avant d’avoir un logement. Nous voulons faire partie
des bénéficiaires des 1600 logements à distribuer», conclut Noureddine. Les habitants de la cité Diar El Baraka ne demandent qu’un logement décent pour continuer à vivre dignement.
Elias Melbouci