Dévaluation du dinar, bilan économique et solutions : Entretien avec Sami Agli

Dévaluation du dinar, bilan économique et solutions : Entretien avec Sami Agli

Dans cet entretien Sami Agli, président de la Confédération algérienne du patronat citoyen (CAPC), revient sur plusieurs questions concernant l’actualité economique en Algerie, dont la situation des entreprises, plan de relance économique, la degringolade de la valeur du dinar et les propositions du CAPC.

Quel bilan faites-vous de l’évolution de la situation économique depuis l’élection du président Tebboune ?

Sur le plan économique, la situation était catastrophique. En 2019, je parlais déjà d’année blanche et d’année compliquée, car on a eu affaire à une vague de mauvaises nouvelles concernant notamment la baisse du prix du pétrole, la baisse des réserves de change ainsi que le mouvement populaire qui n’a pas été sans conséquences sur l’économie.

On a été tous dans l’attente d’une solution politique, qui est venue vers la fin de l’année avec une élection qui a donné énormément d’espoir à la communauté économique, parce qu’on attendait cette stabilité politique.

Malheureusement, ça n’a pas trop tardé puisqu’en février 2020, on a eu affaire à une baisse historique du prix du pétrole, qui est allé jusqu’au seuil négatif. Ensuite, est venue la crise mondiale due à l’épidémie de la Covid-19, qui a entrainé la fermeture de toutes les structures économiques au niveau international et le ralentissement de l’économie mondiale…

L’Algérie n’est pas épargnée ; des mesures draconiennes ont été prises, comme la fermeture totale des écoles, des mosquées, des frontières et surtout fermeture des villes et de wilayas. Cela avait également son lot négatif sur l’économie. Il y avait des entreprises qui ne peuvent ni acheter ni vendre, ce qui a engendré la perte de la clientèle et des fournisseurs.

La priorité était la préservation des vies, mais il faut mener un combat parallèle pour sauver l’entreprise et préserver l’emploi. On a commencé à ressentir réellement l’effet de la crise depuis avril 2020, où l’on a assisté à la fermeture de plusieurs entreprises, pour la majorité des PME, qui ne pouvaient pas tenir face à la crise. Il y avait également beaucoup de gens qui travaillait dans l’informel et qui ont perdu leurs emplois d’autant qu’ils n’avaient pas été recensés ni chiffrés.

On ressent aujourd’hui la conséquence directe de ce qu’on a vécu pendant l’année 2020 à savoir, la baisse du pouvoir d’achat, de la consommation. En ce début d’année 2021, il y a tout de même une lueur d’espoir avec le début de la vaccination contre le coronavirus et la stabilité des chiffres.

Mais la réalité aujourd’hui c’est que beaucoup d’entreprises sont à genou, la situation de l’économie est en alerte rouge, n’arrivant même pas à préserver les emplois. La conséquence directe de cette crise : la perte de l’emploi, ce qui constitue le moteur réel de toute économie dans le monde.

À titre d’exemple, le secteur du tourisme qui est sinistré depuis pratiquement plus d’un an et demi, c’est une catastrophe notamment sur les petites et moyennes entreprises, pour les hôteliers, les agences de voyage. Il s’agit également des sociétés de services qui emploient énormément de jeunes qui sont fortement impactées à l’image des agences de communication, d’informatique et du service digitale…

Début janvier, vous avez rencontré le chef de l’État. Quel sentiment vous avez eu après votre entrevue ? La politique du gouvernement va-t-elle dans le même sens de vos revendications ? 

Je le dis clairement sans démagogie ni langue de bois, c’était très positif. Le message était très clair : le président de la République se concerte et il donne l’importance qu’il faut à l’économie. Et c’est un message très bien reçu par la communauté économique et qu’on a salué.

Avec le président, on a discuté les problématiques que vit aujourd’hui l’entreprise et surtout on a proposé des solutions. On a ressenti une forte volonté de changer les choses et une vision claire sur l’économique et que l’économique. Il croit effectivement que l’économie est la solution.

On ne peut pas prétendre aujourd’hui à ce renouveau de « l’Algérie nouvelle » sans, avant tout, une économie qui est la locomotive des tous les autres secteurs. On a effectivement ressenti ça et salué cette volonté de ce nouveau cap sur l’économique de manière générale.

Lors de la séance de travail qui a duré plusieurs heures, on a porté fidèlement ce que les membres vivaient et ce qu’ils partageaient avec nous de manière régulière, notamment leur détresse. Mais aussi la bureaucratie, la priorité à l’agriculture, l’industrie, le foncier industriel, le numérique, le digital, la vraie forme de la Banque et les grosses réformes à apporter.

Pour ce qui de savoir si notre vision est alignée avec celle du gouvernement, je dirais tout dépend des secteurs. Des fois oui, mais des fois pas du tout. Il y a des secteurs où l’on voit une réelle dynamique du changement comme l’agriculture par exemple. Il y a énormément d’efforts qui sont faits actuellement dans l’agriculture, ce qu’il faut saluer et soutenir d’autant que la solution est certes avant tout industrielle, mais aussi agro-industrielle.

Il y a aussi le secteur de l’enseignement supérieur qui s’ouvre sur l’économie, ce qui faut également saluer et soutenir. Le tourisme qui s’ouvre sur l’entreprenariat et la concertation, notamment avec le nouveau ministre. Il y a aussi le secteur du commerce qui fait énormément d’efforts pour la lutte contre l‘informel, et dans le sens de l’organisation des marchés.

Ceci dit, il y a d’autres secteur où il y a une absence totale sur l’accompagnement et l’ouverture. On reste tout de même croyant à ce que les choses vont changer dans le positif. Comme je l’avais toujours dit, la variable, c’est le temps. C’est ce facteur qui hypothèque la réussite dans cet élan de changement, car le temps, c’est notre pire ennemi et au nôtre allié, notamment si l’on sait prendre les décisions à temps.

En parlant de l’informel, la masse monétaire circulant dans le marché parallèle est estimée à combien ? 

On a écouté avec beaucoup d’intérêt et d’attention ce qui a été annoncé par la Banque d’Algérie qui a fait etat d’une masse monetaire de 60 milliards de dollars. Nous sommes très heureux de cette annonce, car il y a quelque temps, ils parlaient de 20 milliards de dollars. De ce fait, on tient à saluer le retour de la culture de la transparence.

Pour ce qui est du volume de la masse monétaire circulant dans l’informel, les experts la chiffrent à un minimum de 60 milliards de dollars. Ce qui est aujourd’hui énorme. L’informel doit être une priorité absolue. Et pour le capter et le remettre dans le circuit formel, il faut des mesures des plus hautes autorités du pays afin de mettre de la confiance et un processus de garantie à ces gens activent dans l’économie informelle.

Selon vous, quelles sont les mesures à prendre pour endiguer le marché informel ?

Il faut d’abord que les gens se mettent en confiance, et pour se faire, il faut qu’il y est une décision du président de la République appuyée par une nouvelle législature ou un texte suprême qui garantit aux porteurs de cette masse monétaire d’aller vers le formel et les soutenir juste avec une symbolique.

Dans notre document de 62 propositions, structuré sur quatre grands axes, le deuxième axe a été dedié à l’informel. On a proposé des solutions concrètes comme par exemple : un paiement symbolique de 1% ; la personne doit avoir un document qui lui garantira une totale exonération de toute taxe ou fiscalité en plus, avec une garanti qu’aucune autorité ne peut revenir dessus.

Depuis son installation, le gouvernement se focalise sur les startups. Selon vous, Peut-on relancer une économie avec des startups ?

Tous les métiers de demain, qu’on n’appelle pas forcément stratups et toute économie rapide est une solution, mais ce n’est pas l’unique solution. On ne doit jamais tourner le dos à l’économie traditionnelle ; l’industrie, l’agriculture, le bâtiment, l’hôtellerie…

C’est une excellente chose d’avoir un département ministériel dédié aux startups. Cependant, il faut également sauver l’économie traditionnelle qui est en crise. Si non, la situation va s’accentuer et va être beaucoup plus compliquée à traiter.

Donc, pour vous, le gouvernement a tourné le dos à l’économie traditionnelle ?

Je n’oserai pas dire tourner le dos parce qu’on sent réellement une volonté de changer de la part des hautes autorités du pays. C’est une chaîne qui est liée, et c’est pour ça qu’il faut d’une grande volonté d’en haut et qu’il faut aller vite dans l’application du sauvetage.

Chaque retard nous fait perdre des acquis, et c’est ici que réside l’urgence d’un plan de relance économique et sa réussite. Il s’agit, en effet, du plan de la dernière chance pour le relèvement économique.

Si l’on se retrouve, dans un an, sur un bilan d’échec sur le plan de relance économique, ça va casser plusieurs années de travail.

En mars dernier, le ministre des Finances a déclaré que le dinar allait retrouver sa valeur initiale d’ici fin 2021. Serait-il possible de redresser la valeur de la monnaie nationale en quelques mois sachant que la loi des finances 2021 prévoit une dépréciation progressive de la monnaie sur les trois prochaines années ?

Malheureusement, jusqu’à ce jour on a vu une dégringolade de la valeur de la monnaie qui impacte surtout l’industrie. Sur les opérations d’importation, c’est l’industriel et le client final qui payent le lourd tribut.

On prend acte, bien entendu, de ce qu’a déclaré le   que la monnaie va reprendre sa valeur initiale. Je ne sais pas comment ni par quel mécanisme, mais en tout cas, on suit de très près l’evolution de la monnaire nationale, car c’est une inquiétude pour les acteurs économiques.

Mais, si c’est une dévaluation volontaire, il faut revenir dessus tout de suite, car elle est en train de pénaliser des industries entières.

Quelles sont les solutions urgentes à la situation économique actuelle ?

C’est d’abord le sauvetage de l’économie. Il faut à tout prix prendre des mesures courageuses, de rupture et qui donne confiance à l’acteur économique.

Il s’agit également de préserver les acquis, ce qui est une priorité absolue. Il y a des entreprises qui ont créé de la richesse et qui sont à genou aujourd’hui et beaucoup ont fermé.

La banque doit jouer son rôle. L’autre mesure urgente : c’est le rééchelonnement automatique des demandes et des crédits. En effet, permettre à l’entreprise de reprendre de la trésorerie, c’est une priorité absolue pour créer de la richesse.

À côté du rééchelonnement, le taux d’intérêt doit également être pris en charge par le trésor. Cette activité va générer un chiffre d’affaires qui sera imposable et sur lequel on va payer des impôts et surtout, on va préserver l’emploi.

Donc, le plus urgent, c’est le sauvetage de l’économie par des décisions urgentes. Il faut également alléger le processus bureaucratique qui pèse aujourd’hui sur la création de richesses.

Toutes les autorisations ayant été échues durant la période du confinement doivent être automatiquement reconduites pour une durée d’au moins 18 mois ; (autorisations de crédit, permis construire, licences, agréments, exploitations, qualifications d’entretoises).

Par Massin Amrouni et Abdelaziz Merzouk