Le premier a façonné l’Algérie « indépendante », pour le meilleur, selon ses admirateurs, et pour le pire, selon ses détracteurs. Le second l’a profondément marquée – déstabilisée, diront les adversaires de ce parti –, si bien qu’on peut dire qu’il y a une Algérie d’avant le FIS et une Algérie d’après le FIS, comme il y a une Algérie d’avant Boumediene et une Algérie d’après.
Le modèle de pouvoir mis en place par Boumediene et dont les successeurs galonnés ont reconduit l’appareil tyrannique sans la ferveur patriotique et le modèle d’opposition établi par le FIS pèsent encore lourdement sur le pays. Ces deux modèles se rejoignent quelque part dans leur commun rejet du pluralisme et leur volonté de faire rentrer la société dans un moule préétabli, qu’ils se réfèrent à une modernité mythique ou à une tradition islamiquetout aussi mythique.
L’Etat socialiste tout-puissant que Boumediene s’est évertué à construire durant les 13 années de son règne ne laissait aucune place au débat, au doute, à la contradiction. Tout était clair et bien planifié et tout un chacun était sommé de suivre ou de descendre du train. L’Etat islamique que le FIS avait projeté de mettre en place, mais qu’il n’eut pas la possibilité de réaliser, pour les raisons que l’on sait, n’était pas moins basé sur une vision dogmatique qui laissait elle aussi peu de place au débat contradictoire et au doute.
Moule unique, pensée unique, méthode autoritaire qui ne recherche pas le consensus à travers le libre débat contradictoire : voilà le point commun entre les deux. Cette façon de voir les choses ne plaira certainement pas aux supporters du FIS, qui me rétorqueront que le programme de leur parti avait reçu l’adhésion d’une bonne proportionde la population algérienne et que le FIS avait largement supplanté tous les autres partis lors des premières et uniques élections libres organisées dans notre pays depuis l’indépendance. C’est un fait indéniable que le FIS avait gagné ces élections, mais cela ne remet nullement en question mon jugement sur la nature autoritaire et dogmatique de son programme et de sa méthode. Nous avons là affaire à un paradoxe algérien difficile à expliquer, puisque les urnes avaient donné une majorité de voix à un parti qui avait clairement affiché son rejet de la démocratie pluraliste.
La société algérienne pourra-t-elle sortir un jour de ce paradigme autoritaire et entrer dans l’ère de la liberté et dupluralisme? Cela ne sera pas possible sans un vaste mouvement intellectuel authentiquement algérien, profondément ancré dans la société, avec toutes ses pulsations, ses attentes diverses et parfois contradictoires, la richesse de sa culture et la pluralité de son expression. L’Algérie réelle du Nord au Sud et de l’Est à l’Ouest, attend toujours, 50 ans après le référendum ayant consacré l’indépendance du pays, son maître, non pas celui qui lui commandera d’une voix autoritaire et qui ne souffre d’aucune remise en question, mais celui qui la comprendra et qui la mettra sur la bonne voie, avec douceur, patience, tolérance et amour, surtout avec amour.