Deux millions d’Égyptiens pressent Moubarak de partir

Deux millions d’Égyptiens pressent Moubarak de partir

Journée décisive, journée à haut risque, journée de tous les dangers, tous les qualificatifs étaient bons aux yeux de la presse et des observateurs, à travers le monde, pour désigner ce 1er février où le peuple égyptien a pris le pari de réunir un million de manifestants au Caire et à Alexandrie, afin d’exiger encore le départ du raïs.

Censure du Web, brouillage des réseaux de téléphonie mobile, arrêt des dessertes ferroviaires et fermeture de l’autoroute menant à la capitale égyptienne n’auront pas suffi à empêcher le rassemblement gigantesque de la place Tahrir.

Il faut dire que la déclaration de l’armée, la veille, assurant qu’elle n’utiliserait pas la force contre les manifestants et reconnaissant le caractère “légitime” des revendications du peuple égyptien, a été largement interprétée comme le “lâchage” du président décrié par l’institution militaire. Cela a été un élément dopant et des observateurs sur place ont constaté la présence parmi la foule de manifestants de catégories populaires qui se sont jusque-là mises en retrait. Des centaines de personnes, hommes et femmes, parfois même des enfants, ont passé la nuit sur la place désormais mythique, qui sous une tente de fortune, qui enroulés dans une couverture à même le sol.

à la mi-journée, des estimations faisaient état de deux millions de personnes présentes sur la place Tahrir et ses alentours. Une pancarte accrochée bien en évidence proclamait les revendications de la révolte populaire. Une heure plus tard, on apprenait que Twitter avait trouvé le moyen de contourner la censure pour permettre aux internautes égyptiens de communiquer, alors que 50 ONG égyptiennes de défense des droits de l’Homme appelaient le raïs à se retirer “pour éviter un bain de sang”. Dans la foulée, les manifestants prenaient connaissance d’une déclaration de Mohamed El-Baradeï, dans le quotidien britannique The Independent, dans laquelle il affirme textuellement que si le président “veut vraiment sauver sa peau, il ferait mieux de partir”.

L’ancien diplomate et Prix Nobel de la paix chargé par l’opposition, Frères musulmans compris, de négocier avec les autorités, a pronostiqué un départ de Moubarak “d’ici à vendredi”, baptisé désormais “Jour du départ”. Entre-temps, les dirigeants de l’opposition se sont réunis et, en réponse à l’invitation formulée la veille par le vice-président Omar Souleïmane, ont rejeté toute négociation avec le régime tant que Moubarak sera en poste.

Mohamed El-Baradeï a, en outre, souhaité que Moubarak opte pour une sortie honorable, en se retirant le plus vite possible, alors que l’ensemble de l’opposition exige un gouvernement d’union nationale qui serait chargé d’organiser des élections libres et transparentes. Un peu avant la mi-journée, l’armée qui veillait au grain en fouillant toutes les personnes voulant accéder à la place Tahrir pour éviter les introductions d’armes et diminuer le risque de provocations, distribue des tracts à travers lesquels elle réaffirme son soutien au peuple égyptien.

L’armée empêche la foule de s’ébranler pour se rendre au palais présidentiel, comme prévu. Cela se passe sans heurt et l’ambiance reste bon enfant, même si des rumeurs faisant état d’infiltrations de policiers en civil font craindre quelque provocation aux conséquences incalculables. Dans tous les cas, le pari lancé la veille est largement gagné. Les premières informations en provenance d’Alexandrie faisaient état, au même moment, de plusieurs dizaines de milliers de manifestants amassés devant une mosquée, indiquant que des milliers d’autres continuaient d’affluer. Des manifestations similaires avaient lieu partout dans le pays. À 14 heures (15 heures locales), le couvre-feu entrait en vigueur mais les manifestants occupaient toujours la place Tahrir et il continuait à en arriver des milliers d’autres.

La plupart d’entre eux se disent déterminés à camper sur place jusqu’au départ de Moubarak, quoi qu’il en coûte. Une demi-heure après l’entrée en vigueur du couvre-feu, des groupes de personnes se détachaient néanmoins pour rentrer chez eux, davantage pour protéger leur maison des pillages éventuels que par renoncement. Image magnifique des dizaines de jeunes, munis de poubelles, font le ménage en enlevant les détritus qui jonchaient la place et ses alentours.

Alors que sur la place Tahrir les manifestants s’apprêtent à vivre une nouvelle nuit à la belle étoile, l’armée a demandé aux locataires des hôtels du voisinage d’évacuer les étages supérieurs, et la sécurité militaire a protégé, par des barrages impressionnants, la résidence des Moubarak. Des sources onusiennes avancent le chiffre de 300 morts depuis le début du soulèvement, il y a neuf jours. L’armée a joué un rôle décisif dans le succès de cette journée historique.

En refusant de réprimer le peuple d’abord, en reconnaissant la légitimité de ses revendications ensuite, et en sécurisant efficacement la manifestation, enfin. Si l’on tient compte de sa “neutralité positive” et de la détermination affichée par les manifestants, dont les rangs ne cessent de grossir dans toute l’Égypte, on peut pronostiquer que les jours de Moubarak à la tête de l’État sont comptés, surtout que la communauté internationale soutient de plus en plus ouvertement le peuple égyptien dans sa révolte.

Un départ imminent du raïs est d’autant plus plausible qu’on prête à El-Baradeï, que l’ambassadrice des états-Unis au Caire a entamé au téléphone, des pourparlers secrets avec la hiérarchie militaire. Sur un autre registre, les pressions internationales continuent à s’exercer sur Moubarak. Le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan exhorte le président égyptien à “satisfaire sans hésitation la volonté de changement” de son peuple.