Les travailleurs mécontents de la descente aux enfers d’une entreprise au plan de charges pourtant conséquent se mettent enfin à espérer : le propriétaire de Gesi-Bat est désormais clairement défini et des «monstres coupables de mauvaise gestion» enfin étêtés. Tout cela est décidé suite aux «preuves matérielles dont copie sera incessamment remise aux différents organes de presse», ont affirmé jeudi les délégués des 1 498 salariés de la société
Les huit délégués choisis par les 1 498 travailleurs de Gesi-Bat ont animé, jeudi, une conférence de presse en présence de Smaïn Kouadria, mandaté par M. Korjani, président de la fédération du secteur de l’UGTA (FNTMME).
Auparavant, M. Kouadria a tenu à préciser que sa présence auprès des grévistes de Gesi-Bat est «une sollicitation de la centrale syndicale UGTA en vue de trouver une solution à la grève déclenchée spontanément par les travailleurs de Gesi-Bat sans consultation de leur syndicat d’entreprise». A noter que l’actuel syndicat d’entreprise a été accusé de gabegie et autres méfaits en relation avec la direction générale de la même entreprise.
Dans leur déclaration à la presse, les 8 délégués ont dressé un tableau sombre concernant la gestion de Gesi-Bat, dirigée par le docteur Cheikh Zouaoui Mustapha, Il s’agit de détournement des moyens de l’entreprise à des fins personnelles, d’octroi de marchés publics de gré à gré avec des entrepreneurs privés, de fausses facturations, d’intimidations envers des cadres de l’entreprise pour qu’ils se taisent sur les pratiques illégales observées, et surtout de la non-permanisation de centaines de travailleurs qui continuent de travailler avec des salaires inférieurs au SNMG. Concernant ce dernier point, les représentants des travailleurs affirment que 90% des «effectifs de Gesi-Bat sont des contractuels alors que la plupart d’entre entre eux ont plus de 20 ans de boite.»
Le salaire moyen de ces travailleurs se situe entre 10 000 dinars et 14 000 dinars, «alors que le SNMG est de l’ordre de 15 000 dinars». Un délégué, chef de projet, condamnera les larmes aux yeux «ces salaires de misère», tout en déclarant que «Gesi-Bat est la seule entreprise non déficitaire qui rémunère aussi injustement ses travailleurs».
Concernant les permanents de la société, ils ne sont que 10% «et sont régulièrement augmentés, alors que les 90% des travailleurs qui constituent la première main-d’œuvre de l’entreprise n’ont droit qu’à des promesses non tenues d’augmentation salariale».
Pis encore, la prime de danger, selon les représentants des travailleurs, est de l’ordre de 20 dinars/jour alors que la masse laborieuse de l’entreprise brave chaque jour le danger. Un autre délégué ironise : «Les travailleurs n’ont même pas de tenue de travail réglementaire et si tenue il existe aucune ne ressemble à l’autre, pas d’ambulance de secours, et devant toute cette marmelade, l’entreprise a été certifiée ISO 9001/2000 pour son management, c’est incroyable !».
Scandales en série
«On nous a fait croire qu’on dépend de Grepco, groupe d’entreprises publiques de construction, depuis septembre 2O1O, alors qu’en réalité on dépend toujours du groupe Sider (…) aucune passation de consignes sur les biens de notre entreprise n’a été faite (…) notre entreprise balance entre Geni-Sider et le groupe Sider. C’est pour cette raison qu’aucune de ces entreprises ne veut dialoguer avec nous parce qu’il y a ambiguïté en l’absence d’un propriétaire légal», a souligné un autre délégué.
Le pire dans ce fouillis, est que le groupe Sider n’a jamais géré Gesi-Bat, ni encore Gesi-Immo (entreprise publique chargée de la vente des constructions réalisées par Gesi-Bat) pourtant ces deux sociétés qui doivent avoir deux conseils d’administration différents «n’en possèdent en réalité qu’un seul». «Autrement dit, explique un délégué, tout ce qui est construit par Gesi-Bat est vendu selon le bon gré de Gesi-Immo dont le DG est le président du conseil d’administration de Gesi-Bat».
Un autre représentant des travailleurs lance : «C’est pour cette raison que Gesi-Bat est devenu pauvre, alors que Gesi-Immo craque sous l’effet de l’argent». Avant de crier haut et fort : «A qui ont profité ces logements ? On veut qu’on nous rende des comptes, il s’agit de la sueur des travailleurs de Gesi-Bat» Les langues commencent à se délier.
Un autre délégué, une femme, 20 ans de boîte parle calmement : «Notre directeur général actuel que nous souhaitons voir partir a été le premier à bénéficier d’un logement en duplex, qu’il loue à un particulier. Il loue aux frais de l’entreprise une villa à un prix qui «fait mal à l’oreille». Autre scandale, sa secrétaire, B.B., a bénéficié de la construction d’un mur de soutènement d’une valeur de 7 millions de dinars alors qu’elle n’a présenté qu’un simple devis de 0,9 million de dinars avec facilités sur une période de 12 mois.
Une clinique privée a bénéficié d’une «véritable manne du ciel» pour la construction de ses fondements. L’actuel directeur général de Gesi-Bat, selon les délégués, possède 3 véhicules hauts de gamme et 3 appartements fermés, alors qu’un chef de projet ne possède aucun moyen de transport pour se rendre d’un chantier à l’autre. Pis encore, dans ces mauvais actes de gestion, un entrepreneur originaire de Aïn M’lila a bénéficié de plusieurs marchés de gré à gré.
Le comble, encore une fois, les équipements importants de Gesi-Bat ne sont pas utilisés. On préfère louer à des particuliers. «Il n’y a pas de commission d’ouverture des plis (…) On ouvre les plis et on crée ensuite la commission des plis», révèle un autre délégué des travailleurs en présence de Smaïl Kouadria, syndicaliste dépêché par la FNTMME pour trouver une solution au conflit de Gesi-Bat.
Encore, l’octroi du marché à Gesi-Bat concernant la réalisation de la nouvelle gare routière d’Annaba d’une valeur de 56 milliards de centimes sans avenant a été cédé en partie à des sous-traitants pour la coquette somme de 23 milliards de centimes, «alors que Gesi-Bat possède des moyens pour la réalisation de l’ensemble de cette commande». «C’est là l’astuce du vol et la subtilité pour se remplir les poches», vocifère à pleins poumons un délégué.
Questionnés sur toutes ces accusations contre le staff actuel de Gesi-Bat, à leur tête, Cheikh Zouaoui Mustapha, et les preuves qu’ils détiennent, les 8 délégués nous ont affirmé que les documents sont en leur possession et qu’ils les remettront à la commission d’enquête prochainement «et pour le moment on ne peut pas les divulguer». Questionné, à son tour, Smain Kouadria nous a affirmé qu’il a vu ces documents qui seront remis au début de la semaine prochaine à la presse nationale».
Trois têtes sont déjà tombées
D’après Smaïl Kouadria, syndicaliste mandaté par la FNTMME, trois têtes sont déjà tombées depuis la conférence de presse des délégués des travailleurs. Il s’agit de la nomination officielle de Boukelba Abdelmadjid au poste de responsable des réalisations des grands travaux d’Annaba en remplacement de M. Khelas qui a été relevé de ses fonctions, ainsi que M. Zenadi Abdelkrim, ce qui donne, selon le mandaté de la FNTMME, «deux directeurs qui sautent parmi ceux dont les noms cités dans la plateforme de revendications des travailleurs de Gesi-Bat».
Le plus important parmi les décisions prises par Amar Guelati, président du groupe Grepco, est la dissolution du conseil d’administration de Gesi-Bat présidé par le directeur de Gesi-Immo, M. Bediar, qui a été accusé, par les travailleurs grévistes d’«occuper un poste contre nature et d’avoir favorisé son entreprise Gesi-Immo au détriment de Gesi-Bat (voir notre compte rendu de la réunion des délégués de Gesi-Bat en conférence de presse».
Pour le célèbre syndicaliste d’ArcelorMittal, Smaïn Kouadria, «ces décisions prises en un temps record est une véritable purge à l’intérieur de Gesi-Bat, en attendant la commission d’enquête réclamée par les travailleurs».
Nabil Chaoui