Rien n’est plus politiquement dangereux que de focaliser sur le cas d’un parti dont le sort a été scellé par voie de justice, ni plus pernicieux que de s’évertuer à mettre sous les feux de la rampe ses dirigeants autrefois jugés et condamnés. Comme si les dispositions pertinentes de la charte sur la réconciliation nationale ne suffisaient pas à rendre vaines toute tentative de remettre en selle un parti responsable de la tragédie nationale.
Le RND du Premier ministre Ahmed Ouyahia est pour l’instant le seul parti de l’Alliance présidentielle à refuser le retour de l’ex-FIS. Et il l’a fait savoir d’une façon claire à l’instance de consultations sur les réformes politiques.
Les anciens dirigeants du parti dissous, notamment ceux activant à l’étranger, comme Rabah Kébir, ou l’ancien chef de l’AIS, Madani Mezrag, qui espéraient une issue positive sont maintenant fixés. Il n’y aura pas de retour sur la scène politique du FIS dissous. Cette affirmation est, à quelques nuances près, celle de la majorité des partis. Bien qu’habitué au langage nuancé de son SG, le RND s’est dit opposé à tout retour sur la scène politique de l’ex-FIS.
Le parti d’Ouyahia a proposé l’interdiction du retour de l’ex-parti dissous, le FIS, ou l’agrément éventuel de tout parti que pourrait créer des personnes ayant participé à des actions terroristes. Le RND, qui a suggéré à l’instance de consultations sur les réformes politiques d’insérer une disposition contenue dans la charte pour la paix et la réconciliation nationale dans la nouvelle loi sur les partis pour «l’interdiction de la création d’un parti politique par des personnes ayant participé à des actions terroristes ou qui refusent de reconnaître leur responsabilité», aura-t-il gain de cause ?
Aussi a-t-il tenu à préciser qu’il importait d’entamer la révision des lois (celle sur les partis et la loi électorale), de sorte que les prochaines élections législatives «se déroulent sous leur effet». Or, le langage du porte-parole du RND, Miloud Chorfi, est tout autre par rapport à la position tranchée de son SG.
Contacté hier sur le cas d’un probable retour de l’ex-parti dissous, ce dernier a répondu ceci : «Je ne peux m’exprimer sur un sujet dont on ignore encore les grandes lignes. Il faudrait d’abord prendre connaissance du contenu de l’avant-projet de loi sur les partis pour se prononcer.
Et pour l’instant, je ne peux exprimer mon point de vue sur ce sujet. Rappelez-moi demain pour en savoir un peu plus, car il se pourrait qu’on reçoive l’avant-projet ce soir (hier, NDLR) ou aujourd’hui», nous dit-il.
De son côté, le FLN est catégorique. La question du retour de l’ex-FIS sur la scène politique est une affaire qui concerne le peuple. Le porte-parole du parti, Kassa Aïssi est plus explicite : «Ce qui a été prononcé par la justice ainsi que par les dispositions de la Charte sur la réconciliation nationale, adoptée par voie référendaire, ne pourrait faire l’objet d’examen sans remettre en cause les deux décisions.
S’agissant du citoyen n’ayant pas perdu, par voie de justice, ses droits politiques et civiques, il ne pourra faire l’objet d’une quelconque restriction sans que cela ne soit en contradiction avec les dispositions de la Constitution et des lois en vigueur concernant la création des partis.
Maintenant, il ne peut pas y avoir de réexamen de la situation sans tenir compte des responsabilités de ceux qui ont été à l’origine de la tragédie nationale avec toutes ses conséquences. Or, aujourd’hui, cette question n’est pas à l’ordre du jour. Si tel était le cas, elle doit être soumise à référendum», estime-t-il.
La position du MSP est beaucoup plus tranchée. Le chargé de communication du parti, Mohamed Djemâa, le dit sans ambages : «Il est clair que ceux qui sont impliqués dans cette tragédie n’ont pas le droit de créer ou d’adhérer à un parti politique. On n’a aucune objection sur ce point là. Mais, d’un autre côté, il faudrait faire la différence entre ceux qui sont impliqués et ceux qui n’ont rien à voir dans cette histoire.
C’est à l’administration centrale d’évaluer si cette question mérite d’être traitée ou non dans 1 an, 5 ou 10 ans. Car la plaie est encore ouverte. Pour le retour de l’ex-FIS, je doute fort que cela soit possible aujourd’hui. Beaucoup de gens ont été impliqués dans le terrorisme. Mais je ne suis pas contre ceux qui ne sont pas impliqués, ils ont le droit de revenir et de faire de la politique», résume-t-il la position de son parti.
Quant à l’autre parti de la mouvance islamiste, le mouvement Ennhada, son président, M. Fatah Rebai, pose le problème de la réhabilitation du parti dissous en terme politique: «Comment peut-on parler d’un éventuel retour de l’ex-FIS si les conditions idoines pour une pratique démocratique saine et transparente ne sont pas encore réunies et en l’absence d’élections propres et honnêtes.
Nous plaidons pour un élargissement de la réconciliation nationale pour aller vers une grâce amnistiante qui permettra à tous les Algériens d’exercer leurs droits et devoirs en toute liberté. Pour l’instant, nous pensons que le dossier de l’ex-FIS n’est pas à l’ordre du jour des autorités. Il faudrait d’abord régler la crise qui persiste à travers la multiplication des grèves et des émeutes populaires.
Au lieu d’aller vers des choses plus concrètes et utiles pour le pays, on nous sort l’histoire du FIS et ensuite celle du quota des femmes.» Pour M. Moussa Touati, le président du FNA, la troisième force politique du pays en termes d’élus, cette question ne taraude pas l’esprit au sein de son parti : «Nous, au FNA, nous ne rentrons pas dans ces détails. On s’interdit de rentrer dans les affaires d’un parti. Si ce parti a fauté il faudrait aussi dans ce cas demander des comptes à ceux qui l’ont autorisé.
Car les deux parties ont fauté. Du président de la République en passant par le chef du gouvernement et le ministre. On demande juste une application de la loi car celle-ci est au dessous de tous. Si l’on doit punir l’ex-FIS, il faudrait aussi punir ceux qui ont délivré son agrément. Il faut, dans ce cas, diligenter une enquête approfondie pour situer les responsables de cette forfaiture.
A l’époque, on avait demandé à feu Mahfoud Nahnah de changer le sigle de son parti. On a enlevé le terme islamique pour le remplacer par Essilm (paix, NDLR) et le Hamas est devenu MSP. Pourquoi n’a-t-on pas aussi demandé au FLN, au RND, au RCD ou au PT de changer de sigle ?
Il existe assurément deux poids et deux mesures», suggère-t-il.
Le président du CNCPPDH Me Ksentini, lui, se dit d’abord étonné qu’on lui prête des propos qu’il n’a pas tenus dans un journal électronique (TSA, NDLR) : «Je n’ai jamais prononcé de tels propos et encore plus à ce journal que je ne connais pas. Comment pourrais-je citer le président de la République ? Ensuite, je m’interdis de m’engager dans le domaine politique.
Ça ne m’intéresse pas. Enfin je dirais que le respect de la chose jugée doit être de mise.» Il convient de signaler que TSA, citant le président de la CNCPPDH a publié, le 15 septembre dernier, un article sous le titre : «Farouk Ksentini : Je ne pense pas que Bouteflika soit contre le retour des dirigeants de l’ex-FIS sur la scène politique»,
Le porte-parole du mouvement de redressement et de l’authenticité (MRA) Seghir Kara, pour sa part, s’appuie sur les articles 25 et 26 de la Constitution qui interdisent à tout parti politique de se créer sur une base ethnique, religieuse ou culturelle pour argumenter ses propos : «Nous sommes contre le retour de l’ex-FIS dans sa version originale.
La Constitution doit être appliquée pour tout le monde. Les articles 25 et 26 sont clairs à ce sujet. Nul n’a le droit de créer un parti sur la base ethnique, religieuse ou culturelle. Aussi tous les membres fondateurs de l’ex-FIS sont interdits de créer un parti ou de faire partie d’une autre formation politique.
Par contre, ceux qui ont été blanchis par la justice peuvent créer un parti. Les trois millions de citoyens qui ont voté pour ce parti ont le droit de militer ou d’activer dans d’autres formations», souligne-t-il. Enfin, il convient de préciser que toutes nos tentatives pour joindre les responsables du FFS et du RCD afin de recueillir leurs ponts de vue sur cette question sont restées vaines.
Mahmoud Tadjer