Depuis le début du mois mai passé, les arboriculteurs de la wilaya de Tipaza, ainsi que, nous a-t-on dit, ceux de certaines autres wilayas, sont sur le qui-vive. Leurs vergers, principalement, ceux plantés de poiriers, pommiers, néfliers et, à un degré moindre, de cognassiers, sont attaqués par une bactérie appelée le feu bactérien
Presque inconnue dans notre pays – sa première apparition sérieuse, dans le sens où elle a infecté quelques hectares d’arbres fruitiers dans la zone comprise entre Attatba et Koléa, dans la wilaya précitée, en Algérie, remonte à avril 2010 – cette bactérie est, selon Mahdi Mebarek, un jeune agriculteur de la région de Koléa, «apparue, pour la première fois, aux USA, dans les années 50, avant d’infecter les vergers européens, dans les années 70, et de là, se répandre dans certains pays du pourtour méditerranéen…»
Parmi ces derniers, notre interlocuteur nous a cité le Maroc et l’Égypte auxquels il a ajouté la Jordanie. Nous avons parlé ci-dessus «de première apparition sérieuse» du feu bactérien dans notre pays, la précision s’expliquant par le fait que deux alertes à ce mal y ont été enregistrées précédemment.
La première, en 2006, à Khemis- Miliana, dans la wilaya d’Aïn Defla quand un arboriculteur a découvert que son verger était contaminé ; et la seconde, deux années plus tard, soit en 2008, quand les services chargés du contrôle aux frontières des produits destinés à l’agriculture ont découvert que des plants de poiriers importés de Syrie, destinés à un arboriculteur de la wilaya de Blida, l’étaient aussi.
Fort heureusement, nous a déclaré Ahmed Chafik Touami, un autre jeune agriculteur de la même région, «sans aucune suite dommageables du fait de la prompte réaction et de l’un, qui a immédiatement procédé à la destruction du verger contaminé, et des autres, qui ont, avec la même diligence, fait de même avec les plants de poiriers affectés».
Il semble, toutefois, que, cette fois-ci, l’alerte, sans être vraiment grave, est autrement plus sérieuse. Selon Abdelmoumen Benzohra, directeur de la chambre de l’Agriculture de la wilaya de Tipaza, que nous avons rencontré, il y a quelques jours, au siège de la radio locale où il venait de participer, en compagnie des deux agriculteurs précités, à l’enregistrement d’une émission de sensibilisation des arboriculteurs de la région sur, précisément, le mal en question : ses symptômes et les différentes méthodes de lutte contre ses effets, «depuis sa détection au début du mois de mai passé, ce dernier a déjà contaminé, dans la seule wilaya de Tipaza, quelque 1000 ha de poiriers, 900 ha de pommiers et 500 ha de néfliers».
Principalement, nous a-t-on dit, «dans les communes, limitrophes les unes des autres, de Koléa, Chaïba et d’Attatba». Une situation que nos interlocuteurs imputent, en grande partie, «à la faiblesse de la réaction de tous les concernés : agriculteurs, services techniques et administration, à l’alerte d’avril 2010» ; cette dernière découlant, selon eux, de «l’ignorance largement répandue, dans notre pays, de ce mal».
Mais, également, à ce qu’ils ont qualifié «de manque de professionnalisme» des premiers nommés ; du moins, de la majorité d’entre eux. Sur ce point précis, le directeur de la chambre de l’Agriculture de la wilaya de Tipaza a regretté «le peu d’empressement constaté des agriculteurs à participer aux activités de la chambre et à, quand ils le font, suivre les conseils qui leur sont prodigués».
Une attitude qui, a-t-il laissé entendre, n’a pas beaucoup changé ces derniers temps. Dans la lancée, Abdelmoumen Benzohra nous a déclaré que l’instance qu’il dirige a tracé tout un programme de rencontres, déjà en application, avec les agriculteurs de la région à l’effet de les sensibiliser sur le feu bactérien ; comme souligné ci-dessus, sur ses symptômes et les méthodes de lutte contre sa propagation.
Intervenant sur ce point, Ahmed Chafik Touami a précisé que «cette action de sensibilisation, comme celles qui se déroulent présentement dans toutes les wilayas du pays, entre dans le cadre des mesures prises par le ministère de l’Agriculture et du Développement Rural au lendemain de l’apparition, au début du mois de mai passé, du feu bactérien».
La plus importante, de par son caractère central, dans le sens où toutes les autres mesures prises, ou à prendre, dépendent de son application, a consisté en «la mise sur pied, au niveau du ministère, et ce, a-t-il tenu à le souligner, dès le 18 mai dernier, d’un comité de suivi de la mise en oeuvre du programme de lutte contre le feu bactérien» décidé par ce département ministériel; un comité, auquel participent les représentants de tous les instituts nationaux spécialisés liés à l’agriculture tels, entre autres, l’Inpv, l’Itafv, l’Inva et l’Inra, qui, dans le souci évident d’assurer le meilleur suivi possible au niveau local des mesures prises, aura des démembrements au niveau de chaque wilaya.
Et qui, dans celui de lui garantir le maximum d’efficacité, «se réunira, toujours selon Touami, chaque lundi». Il y a lieu de signaler, toutefois, que dans l’intervalle et dans le cadre de son programme susmentionné de lutte contre le feu bactérien, le ministère de tutelle n’a pas attendu pour prendre deux mesures importantes : l’homologation de produits de lutte contre le feu bactérien et l’homologation de variétés de plants plus résistantes (à ce mal).
Et à ce propos, nos interlocuteurs ont expliqué la contamination des vergers de poiriers, dans les zones affectées de la wilaya de Tipaza, par le fait que la variété y dominante – elle constitue, selon Benzohra, «80% des poiriers» – est la Santa Maria ; une variété très sensible au feu bactérien.
Pour en rester avec les mesures déjà prises par le ministère de tutelle, l’élaboration en cours d’un arrêté fixant les conditions et les modalités d’arrachage des arbres contaminé, en constitue une autre; «des plus importantes, selon nos interlocuteurs, du fait que nombre d’arboriculteurs pensent que c’est là la meilleure façon de lutter contre la propagation et l’éradication du mal».
Ce qui, selon nos interlocuteurs, n’est pas tout à fait vrai : d’autres mesures de traitement des arbres contaminés existent, telles, entre autres, la section des branches «malades», le curetage de celles qui ne le sont pas et la diminution de l’irrigation des vergers pour éviter l’apparition de nouvelles pousses : c’est par elles, en effet, que la bactérie pénètre dans l’arbre.
L’insistance de nos interlocuteurs sur la nécessité de ne pas se focaliser sur cette solution extrême qu’est l’arrachage des arbres, s’explique, à l’évidence, par les sombres retombées qu’elle aura sur les vergers. Pour avoir une idée des pertes qu’auront à subir les arboriculteurs qui seront contraints d’y recourir, il faut savoir, selon Mahdi Mebarek, que, pour nous en tenir à la wilaya de Tipaza et aux poiriers, «dans un hectare, il y a, en moyenne, 1000 arbres…»
Résumant l’attente de tous les arboriculteurs du pays – les autres wilayas touchées sont, nous a-t-on dit, Alger, Blida, Boumerdès, Djelfa, Mascara et Sidi Bel-Abbès – aujourd’hui confrontés à ce mal qu’ils connaissent peu, quant à une intervention rapide et efficiente des pouvoirs publics pour les aider à dépasser ce cap difficile, le jeune agriculteur de Koléa nous a déclaré, dans une envolée lyrique, que «si l’État veut mettre l’agriculture au coeur du développement de l’Algérie, c’est le moment où jamais d’en faire la preuve…»
Mourad Bendris