La Tunisie regrette ses touristes algériens. Ramadhan oblige, un grand nombre d’entre eux, pourtant attachés à sa mer, ses plages, ses piscines, ses médinas, ses souks, ses villages… écourtent leurs vacances et rentrent chez eux, en Algérie, passer le Ramadhan en famille.
L’activité touristique en baisse à cause du Ramadhan
A Tunis, à Nabeul, à Yasmine-Hammamet et autres, les hôtels ressentent le vide. Les entrées sont en baisse et le manque à gagner est important. L’Etat tunisien s’y attendait.
«L’Algérien est fidèle aux traditions du mois sacré, c’est normal», affirme le directeur commercial d’un hôtel qui, habituellement, affiche complet en pareille période de la saison estivale. Les professionnels du tourisme tunisien ont prévu ce recul mais ils ont aussi pris des mesures pour retenir la clientèle. Pour ce pays qui vit essentiellement de l’agriculture et du tourisme, il n’est pas question de perdre le marché algérien.
Un marché bien portant et porteur. Le problème, c’est que cette crise, si l’on peut l’appeler ainsi, risque de durer encore six ou sept autres années. Le Ramadhan tombe en pleine saison touristique et, pour l’Algérien, le choix est fait : rien n’égale l’ambiance du Ramadhan que l’on passe chez soi. Sauf si…cette même ambiance est retrouvée ailleurs, dans un même décor, avec les mêmes odeurs propres à la cuisine algérienne.
Et cela ne devrait pas être difficile si l’on en juge par le rapprochement des deux aspects religieux et culturel entre les deux pays. En effet, la Tunisie est un pays voisin, arabe et musulman. Ses habitants respectent le quatrième pilier de l’islam et honorent le mois sacré de la meilleure façon qui soit.
Sur les plans religieux et culturel, il n’y a pas de grandes différences. Bien au contraire, de nombreuses choses réunissent les deux peuples. De plus, les soirées du Ramadhan en Tunisie semblent être merveilleuses.
Il y a du mouvement, du rire, du jeu… de grands espaces de détente et de loisirs, des rencontres à n’en pas finir sur les terrasses des différentes villes et des cafés des anciens villages… Tout un monde en mouvement, sous un ciel qui brille de mille feux. Un vent doux caresse le visage et apporte de la fraîcheur au corps malgré la forte chaleur et l’humidité. Les veillées ramadhanesques en Tunisie ont leur cachet. Elles se passent en dehors des maisons, tout près de la mer.
Et elles durent jusqu’à l’aube. «Les Tunisiens ne tournent pas le dos à la mer. Ils vivent près de la mer», fait remarquer un habitant de la médina de Tunis.Le directeur de la représentation de l’Office national du tourisme tunisien (ONTT) à Alger, Faouzi Basly, se montre rassurant quant à la présence des touristes algériens. «L’année dernière [2009], durant le mois de Ramadhan, nous avons enregistré quelque 50 000 touristes algériens.
Cette année [2010], nous en avons recensé près de 20 000 durant la première décade», rapporte-t-il. Selon ses dires, l’objectif de l’Etat tunisien n’est pas d’atteindre la moyenne mensuelle de 240 000 touristes, durant la période estivale mais d’«assurer la présence des touristes algériens». Aussi, souligne le représentant de l’ONTT, «en 2008, nous avions tablé sur un chiffre de seulement 5 000 touristes algériens.
Nous nous sommes retrouvés avec 50 000. C’est important !». Depuis, le Ramadhan coïncidant avec la saison estivale, l’Etat tunisien ne cesse de multiplier les opérations de charme et les campagnes publicitaires en direction des Algériens. Certaines actions se déroulent en Tunisie, d’autres en Algérie même.
Ambiance et découverte après le f’tour
Engagé dans cette démarche de promotion de l’activité touristique durant le mois de jeûne, le ministère du Tourisme tunisien a donné des instructions pour assurer le transport de tous les touristes qui désirent se rendre à la mosquée pour la prière des tarawihs. Cette mesure profite également à ceux qui se déplacent vers les monuments historiques et les festivals.
Le transport, public et privé, est disponible toute la nuit. Dans les hôtels, des plats du f’tour et du s’hour sont servis aux jeûneurs, à leur demande. Les plages et les piscines sont aussi ouvertes jusqu’à des heures tardives de la nuit.
A suivre le mouvement nocturne des Tunisiens, très nombreux à sortir après la rupture du jeûne, on croirait qu’ils vivent plus la nuit que le jour. «La plupart des gens sont en vacances. Ils se reposent le jour et sortent profiter des plaisirs de la mer la nuit… Il fait très chaud le jour», fait remarquer un habitant de Nabeul.
Ainsi, comme nous avons pu le constater, à la fin du mois d’août dernier,lors d’un voyage «spécial Ramadhan» organisé par l’ONTT dans les stations balnéaires de Yasmine-Hammamet et de Nabeul, ainsi que dans la médina et la ville européenne de Tunis, les grandes et les petites rues sont très animées la nuit. Les familles sortent marcher, à l’aise.
Sans complexe, sans peur. «Ici, en Tunisie, il y a une grande sécurité. Tout le monde est en sécurité. La loi est rigoureuse sur cette question. C’est aussi ancré dans l’esprit des citoyens»,
rassure une habitante de Tunis.Habituellement, la Tunisie enregistre un peu plus d’un million de touristes algériens par an et près de trois millions de touristes arabes, en majorité des Libyens et des Algériens.
Le marché algérien est classé troisième juste derrière celui des Libyens, alors que les Européens occupent la première place. C’est sur ces derniers que les autorités tunisiennes misent désormais pour combler le déficit. «Malgré toutes les campagnes et les actions organisées çà et là, les Algériens ne sont pas nombreux à venir en Tunisie durant le Ramadhan» constate, quelque peu résigné, un représentant d’un organisme de tourisme.
Des habitants de Nabeul pensent, quant à eux, que c’est parce que «les Algériens ne connaissent pas assez les riches paysages touristiques du pays et la diversité de leurs programmes du Ramadhan» qu’ils ne s’y rendent pas.
Et pourtant, comme nous venions de le souligner plus haut, il y a tellement de choses à voir et à admirer dans toutes les villes et villages de Tunisie qu’il est difficile de résister à la tentation d’y aller. Même durant le Ramadhan. Surtout durant le Ramadhan, pourrions-nous dire.
Tunis, entre authenticité et modernité
A Tunis, les deux villes, ancienne et européenne, présentent deux ensembles architecturaux et touristiques qui racontent de manière
extraordinaire l’histoire et la culture de tout le pays. Dans l’ancienne ville se trouve la médina. Le visiteur est fasciné par ses rues étroites et tortueuses. Ses souks où il y a de nombreux petits commerces et boutiques de produits d’artisanat (poterie, cuir, cuivre…).
La médina est entourée de nombreuses maisons traditionnelles et est classée au patrimoine mondial de l’Unesco. C’est aussi au sein de cette ancienne ville qu’est implantée la mosquée Al Zaytuna, la grande curiosité des visiteurs, après les vestiges de Carthage. Dans la ville européenne, le visiteur reconnaît le passage des Français. Elle abrite des commerces et des quartiers d’affaires.
De nombreux résidents et autres touristes étrangers s’y rencontrent régulièrement pour affaires ou pour quelques moments agréables autour d’une tasse de thé ou de café. L’avenue Bourguiba est particulièrement animée durant ces soirées ramadhanesques.Un autre endroit charmeur à Tunis, les Berges du lac. C’est une ville nouvelle -pas tout à fait nouvelle puisque les travaux d’aménagement ont débuté durant les années 1980- construite par une société mixte saoudi-tunisienne.
Trois zones urbaines sont en construction dans ce nouvel espace dédié au tourisme et aux affaires. Tunisiens et touristes étrangers aiment s’y rendre, jour et nuit, non seulement pour admirer le lac –qui s’étend d’ailleurs sur plusieurs hectares- mais aussi les magasins de luxe et les immeubles de bureaux qui se trouvent sur les berges
. Des entreprises tunisiennes et internationales sont aussi installées dans ce quartier résidentiel, de même que des ambassades et des banques. Un manège y est également aménagé pour les jeux d’enfants, peut-être même pour les adultes. Faouzi Basly relève une des particularités de ce quartier : «Les rues portent des noms de lacs qui se trouvent dans différents pays à travers
le monde.»Un autre endroit à ne pas manquer pour tous ceux qui souhaitent se rendre en Tunisie, le village Sidi Bou Saïd.
Il se trouve à une vingtaine de kilomètres au nord-est de Tunis et à quelque 100 mètres d’altitude. Le village offre une superbe vue sur la mer et ses arbres apportent fraîcheur et détente. Flâner dans ses ruelles qui plongent le visiteur dans le passé de la Tunisie et du Maghreb est un régal.
Chaque, soir, durant ce Ramadhan, des soirées artistiques sont organisées autour des cafés où des marches d’escalier font office de siège. En effet, le village Sidi Bou Saïd est réputé pour ses cafés et ses maisons traditionnelles, peintes en blanc et bleu. Deux couleurs qui distinguent les habitations traditionnelles de Tunisie. Le décor est surprenant, resplendissant.
Des responsables du secteur du tourisme tunisien affirment leur engagement à entretenir et à préserver ce site dont la renommée a dépassé les frontières de la Tunisie. Ils mènent leur mission en s’appuyant sur une loi le protégeant : «Il est strictement interdit de toucher à ses arbres ou de procéder à une construction anarchique.»
Nabeul, ville et village d’artisanat
A Tunis, on retrouve également les sites archéologiques romains de la ville de Carthage. Les lieux sont facilement repérés par l’œil curieux du visiteur.
Le théâtre enregistre une affluence particulière de touristes mais aussi des résidants. C’est là que se déroule «le Festival de Carthage» qui accueille des stars tunisiennes, maghrébines et d’autres mondiales.
Sur le plan urbanistique, la ville connaît une avancée considérable pour devenir progressivement un quartier résidentiel.A Nabeul, un nom qui n’est pas étranger au touriste algérien, l’aspect village attire davantage de visiteurs qui ne s’y sentent nullement dépaysés. L’ambiance dans les souks hebdomadaires ressemble beaucoup à celle des marchés algériens.
A la différence que ceux de Tunisie restent ouverts jusque tard le soir durant ces vacances estivales. Et ce mois de Ramadhan ne fait pas exception : on y retrouve les vendeurs aussi bien que les acheteurs, nombreux à emprunter ses rues et ruelles, à des heures tardives (1 heure, 2 heures…) comme s’il faisait jour. La plupart sont des femmes.
Ces dernières circulent en toute liberté, sans craindre d’être agressées, physiquement ou verbalement, même au delà de minuit. Elles font leurs emplettes et rentrent tranquillement chez elles. Les enfants aussi aiment fréquenter la place, jouer sous un ciel calme, étoilé. A l’instar de Yasmine-Hammamet, Nabeul est une station balnéaire très prisée par les touristes algériens. Elle l’est aussi pour la richesse de ses produits d’artisanat. «Nabeul, c’est d’abord la poterie, la petite industrie non polluante, le
textile… Elle est aussi réputée pour son agriculture, ses agrumes. Nabeul, c’est surtout le côté village qui fait que l’Algérien ne s’y sent pas dépaysé», témoigne un visiteur algérien. A Nabeul, raconte un autre, «il y a l’abondance de l’agriculture, de l’industrie ; l’agroalimentaire est bien développé dans cette région.
Par conséquent, la vie n’est pas chère».A Yasmine-Hammamet, le touriste apprécie la beauté et la grâce des longues plages de sable fin. L’harmonie gagne les paysages verdoyants de la ville, et avec eux le corps et l’esprit.
Le bleu et le vert sont les maîtres à bord. La nuit, des faisceaux de lumière s’invitent dans tous les coins touristiques comme pour guider le voyageur dans sa découverte des lieux mais aussi dans sa recherche de calme et de quiétude. Dans cette station balnéaire, fréquentée également par un nombre considérable de touristes européens, les hôtels affichent souvent complet durant la
saison estivale. Ce n’est pas le cas -comme nous venions de le dire- durant ce mois de Ramadhan puisque la majorité des touristes algériens et libyens sont rentrés, sinon restés chez eux.
2011, peut-être un nouveau départ
L’investissement tunisien dans le secteur du tourisme est impressionnant. L’Etat s’y engage avec de l’argent et un véritable savoir-faire dans le domaine, aidé en cela par des investisseurs privés locaux et étrangers.
L’immensité des quartiers résidentiels, construits dans différentes villes et stations balnéaires, renseigne sur l’ambition des Tunisiens à aller loin dans la construction de leur pays. En Tunisie, pourrions-nous dire, il y a tout pour permettre de passer de bonnes vacances en groupe, en couple, en famille.
C’est relativement cher quand on parle finances mais ça vaut le coup de tenter l’expérience. C’est ce que pensent, en tout cas, des habitués de ces voyages. Pour certains, c’est une grande frustration de ne pouvoir passer le mois d’août dans l’une de ces stations balnéaires mais peut-être qu’ils se rattraperont l’année prochaine.
Le Ramadhan 2011 ne changera pas de date –il sera l’invité de tout le mois d’août- mais son accueil en Tunisie devrait connaître des changements. Des changements quis’imposent d’eux-mêmes, de façon à adapter davantage les prestations de services, dans les hôtels et ailleurs, aux besoins des touristes. Et même si l’Algérien pense peu à se séparer d’une
tradition ancestrale, celle de passer le Ramadhan chez lui, en Algérie, avec la petite et la grande famille, il est fort possible qu’il accepte, enfin, de le passer ailleurs mais pas trop loin. C’est juste à côté, en Tunisie. Par avion ou par route, ce ne sera pas long.
D’ores et déjà, les Tunisiens se préparent à accueillir leurs voisins de longue date. Ils examinent les moyens de les intéresser et de les convaincre de vivre l’ambiance du Ramadhan avec eux.
C’est dicté par la force des liens sociaux, culturels… mais aussi et surtout par la nécessité absolue de maintenir une clientèle nombreuse et généreuse. Encore une fois, faut-il le rappeler, la Tunisie n’a pas de pétrole. Elle vit de l’agriculture et du tourisme.