Monarchies du Golfe, le groupe de pays à la tête duquel le Qatar règne agit avec autant de nuisance sur l’organisation panarabe que l’ennemi sioniste met au pas le Conseil de sécurité de l’ONU.
Les deux lobbys usent des mêmes armes d’hégémonie massive pour s’imposer aux Etats et institutions internationales : les médias et la finance. Pétrodollars et Al Jazeera permettent en effet à l’émirat du Qatar d’acheter les voix des pays membres de la Ligue et d’orienter l’opinion des peuples dressés contre leurs dirigeants. Comme cela s’est passé en Libye. Et c’est déjà le cas en Syrie.
Quel avenir pour la Ligue arabe, une organisation née en mars 1945, avant la fin de la Seconde Guerre mondiale et avant même la naissance des Nations unies ? Ses positions à propos des crises libyenne, syrienne, yéménite et bahreïni sont révélatrices d’une faillite morale et d’un décalage énorme par rapports aux enjeux réels qui risquent de balayer toute la région. L’organisation panarabe, censée être le toit qui réunit tous les pays arabes, est-elle devenue une caisse à résonance de pétromonarchies du Golfe qui se sont découvert une vocation «impériale» ?
Où bien cette Ligue s’est-elle transformée en un faire-valoir de superpuissances qui veulent modifier la donne géopolitique dans la région ? Les évènements en Syrie, et avant eux en Libye, confirment hélas ces appréhensions !
Selon des proches du secrétaire général de la Ligue arabe, l’Egyptien Nabil Al-Arabi, ce dernier aurait exprimé de fortes craintes à propos du «hold-up» organisé de l’organisation panarabe par certains pays du Golfe. «Une offensive d’une telle force et d’une telle ampleur est des plus inquiétantes», aurait confié Al-Arabi, cité par le quotidien libanais As-Safir dans son édition du 25 novembre dernier. Et le successeur d’Amr Moussa a bien des raisons de s’inquiéter.
En effet, depuis une année, soit depuis le début du «printemps arabe», l’on assiste à une logique de fragmentation du monde arabe avec un basculement de son centre de gravité vers le Golfe arabo-persique. L’Egypte, affaiblie par des années d’agonie politique du régime de Hosni Moubarak, a perdu sa place centrale dans le système régional panarabe.
La chute du «Raïs» et l’instabilité chronique du pays ont détourné Le Caire de ses préoccupations régionales. Même l’Arabie Saoudite, carte maîtresse de la stratégie américaine dans la région, s’est trouvée fragilisée avec la perte de l’allié égyptien et la montée en puissance de la revendication socioculturelle chiite dans l’Est du royaume.
Le tout avec l’affaiblissement du pouvoir du roi Abdallah, qui s’est fait opéré plusieurs fois cette année. Le vide stratégique laissé par le binôme égypto-saoudien a été comblé par le Qatar. L’émirat dirigé par l’émir Hamad ben Khalifa Al-Thani a joué à fond la carte du «soft power».
Avec Aljazeera comme levier de la puissance médiatique du pays, Doha est devenue l’élément incontournable dans l’échiquier régional. Avec la stratégie des médiations tous azimuts – Soudan, Palestine, Yémen, Liban, Somalie -, le Qatar a voulu jouer dans la cour des grands, avec la discrète bénédiction des Etats-Unis. A ce propos, il est souvent utile de rappeler l’implantation de la plus grande base américaine dans la région, à As-Siliya, à quelques encablures de Doha.
HOLD-UP À LA QATARIENNE
L’activisme diplomatique du Qatar a bousculé les us et coutumes en vigueur depuis des décennies au sein de la Ligue arabe. Ayant entretenu le mythe du «réveil démocratique arabe» lors des révolutions tunisienne et égyptienne, via la puissance médiatique de la chaîne Aljazeera, Doha a poussé au maximum à un aggiornamento des équilibres régionaux dans les arcanes de la Ligue arabe. En faisant l’impasse sur la révolte à Bahreïn, Aljazeera a contribué à minimiser les enjeux politiques dans ce petit royaume insulaire du Golfe arabo-persique.
Les manifestations ont été présentées comme étant des troubles «fomentés» par l’Iran qui a toujours des prétentions sur ce pays. L’intervention saoudo-émirati à Bahreïn a été décrite comme «salvatrice» de l’ordre et de la légitimité politique, par cette chaîne. A contrario, les exemples libyen et aujourd’hui syrien sont éloquents quant à la mauvaise foi de Doha qui a entraîné dans son sillage la Ligue arabe à coups de pressions et de persuasions financières.
Des sources proches du secrétaire général adjoint de la Ligue, l’Algérien Ahmed Ben Halli, rapportent que Nabil Al-Arabi aurait fait part de pressions «énormes» exercées sur les pays arabes par leurs paires du Golfe pour qu’ils adoptent une position antilibyenne, vouant le gouvernement de Mouammar Kadhafi aux gémonies.
Le SG de la Ligue arabe aurait également concédé un mea culpa à propos de la position arabe sur la Libye.
«Personnellement, je ne savais pas que la décision de l’établissement d’une no-fly zone et l’interdiction de survol de l’aviation libyenne pouvaient donner prétexte à l’Otan d’aller bombarder des régions libyennes choisies pour cibles.
Si je l’avais su, je n’aurais jamais cautionné cette décision», a dit Nabil al-Arabi, cité par le quotidien Es-Safir.
QUANT LA LIGUE ARABE MANDATE… L’OTAN
Sauf que cette décision de saisir le Conseil de sécurité de l’Onu qui a, par la suite, mandaté l’Otan pour «agresser» la Libye s’est produite sous le mandat d’Amr Moussa. L’ancien secrétaire général de la Ligue arabe avait besoin de soutiens pour une éventuelle candidature à la présidence égyptienne. Quels meilleurs soutiens que ceux financiers des pays du Golfe ? Le deal s’est fait sur le dos du gouvernement légitime libyen !
Aujourd’hui, c’est la position de la Ligue sur la situation en Syrie qui donne la pleine mesure du rôle que joue le Qatar, en premier lieu, aux côtés des autres monarchies du Golfe. Réunis depuis 1981 au sein du Conseil de coopération du Golfe (CCG), ces pétromonarchies constituent un véritable «club», jusque-là fermé même à leurs voisins irakien et yéménite. Mais voilà que la peur d’un ébranlement total des structures sociopolitiques de leurs pays les a poussé, il y a quelques mois, au mépris de la géographie, à vouloir élargir le CCG au Maroc et à la Jordanie.
Selon une personnalité proche du secrétaire général de la Ligue arabe, Nabil Arabi, celui-ci aurait exprimé, lors d’une réunion formelle, son inquiétude réelle quant aux plans d’intégration de la Jordanie et du Maroc au sein du CCG, suggérant à son auditoire que c’était là un véritable danger pour la Ligue arabe, car il en résulterait une nouvelle partition du Monde arabe avec d’une part les monarchies et d’autre part le reste des pays arabes. Ce qui permettrait à l’Occident de contrôler efficacement les ressources énergétiques et l’ensemble des décisions politiques concernant la région.
Cette bipolarité au sein du système régional arabe est en train de conduire la Ligue à adopter une stratégie d’ostracisation systématique de la Syrie avec comme possible finalité l’internationalisation de la question syrienne en impliquant la Turquie, à défaut d’une intervention atlantiste directe. Les ultimatums lancés à Damas et la suspension de la Syrie des instances arabes avec à la clé des sanctions économiques n’ont été possibles que grâce aux manœuvres du Qatar.
JASSEM, CHEIKH ABSOLU DE LA LIGUE ARABE
Véritable chef d’orchestre de l’escalade arabe anti-syrienne, le Premier ministre du Qatar, cheikh Djassem ben Djaber al-Thani, a utilisé tous les moyens pour arracher la suspension de Damas des instances arabes : pressions, menaces et intimidations, tout a été mis en œuvre pour faire plier le gouvernement syrien aux desiderata des pays du Golfe, qui se trouvent être identiques à ceux des Etats-Unis et d’Israël, à savoir la déconnexion de l’axe Damas-Téhéran et du soutien syrien aux Hezbollah libanais et au Hamas palestinien. Que reste-t-il de la Ligue arabe en cette fin 2011 ?
Le bilan est négatif et les perspectives sombres : un pays colonisé, l’Irak, un second fragmenté, la Somalie, un troisième scindé, le Soudan, un quatrième victime d’une intervention de l’Otan avec la bénédiction des Arabes, la Libye, un cinquième menacé au mieux d’isolement, au pire d’invasion, la Syrie.
Et la Palestine dans tout ça ? Israël continue sa politique de colonisation et de judaïsation systématique des territoires palestiniens sans que la Ligue arabe s’en émeuve outre mesure. Plus qu’une faillite morale, l’organisation panarabe est complice des plans américano-israéliens de fragmentation de l’espace géopolitique, connu sous le nom de «monde arabe».
M’hamed Khodja