» C’est affreux « , se désole un vieil homme rencontré à la Grande Poste, quant à l’affaire Sonatrach 2, qui a défrayé la chronique ces derniers jours.
Paradoxalement, lui-même avoue avoir mis la main à la poche pour que son fils soit embauché comme… agent de sécurité dans une entreprise privée.
Il ajoute : » Pieux que je sois, je n’ai pas de remords de conscience, car je sais que sans cela, mon fils vivra encore de longues années de chômage « . Est-elle érigée en règle, la corruption ? Toutes les personnes rencontrées le pensent, chacune avec des dizaines d’exemples vécus où appris de son entourage. » Rares sont les recrutements qui s’effectuent d’une façon ordinaire.
La chippa est souvent explicitement demandée « , nous déclare Saïd, 34 ans et chômeur depuis 5 mois. Il a exercé différents métiers, du cafetier au pompiste passant par le gardiennage et les divers métiers du bâtiment.
Son expérience lui a montré que » plus le poste est intéressant plus la » kahwa » (café ndlr : autre synonyme algérien du pot-de-vin) est élevée, et plus les intermédiaires sont nombreux « . » Donc même si quelques maillons de la chaîne n’en veulent pas, d’autres n’hésiteront pas à vous sucer « , dit-il.
Sonatrach 2 n’étonne pas trop Interrogé sur la grosse affaire Sonatrach 2, où 198 millions de dollars seraient versés à de hauts responsables algériens, un homme d’un certain âge répond non sans un sourire ironique : » rien de cela n’étonne. Nous sommes trop habitués à la corruption pour que ces 198 millions ou milliards de dollars puissent constituer un événement qui accroche « .
» Je cois que nous avons la maladie (la corruption, ndlr) dans le sang. Elle s’est incrustée en nous. L’argent est un passe partout. Vous risquez un retrait de permet ? C’est simple : glissez quelques billets à l’agent et vous verrez votre document restitué avec des remerciements et des tapes sur l’épaule. Vous n’arrivez pas à avoir un papier administratif quelconque ?
Soyez juste » généreux « , vous trouverez toujours une personne qui en dispose ou qui peut en disposer… », regrette-t-il. Beaucoup de personnes interrogées sur le même sujet, ne se disent pas trop interpellées par ce nouveau scandale. » Depuis toujours, nous savons que l’argent du peuple est mal géré et que la corruption a atteint des proportions alarmantes.
Je sais que les 198 millions de dollars ne sont que la partie apparente de l’iceberg, et que ce ne sont qu’une partie infime de tout l’argent qui rempli les poches des uns au détriment du peuple algérien « , discourt Kamel calmement. C’est presque le même plaidoyer que celui de Samia, fonctionnaire : » Il y a toujours quelque chose à verser pour un droit.
Si ce n’est pas de l’argent, l’on vous demande une… nuit. Et pour ce que vous appelez » grosse affaire « , je ne pense pas qu’elle en soi une. Sont des milliards qui vont Dieu sait où, et non pas des millions ! « , dit-elle. Création de situations appropriées Toutes les situations sont, paraît-il, bonnes pour exercer cette pratique : un marché à allouer, un dossier à passer… et même un besoin en informations.
Abdennour, un jeune algérois, raconte : » J’étais en train de chercher les informations nécessaires pour la création d’une entreprise en bâtiment. Et, comme il a fallu que je fasse appel, à un prêt bancaire, un ami m’a recommandé à un banquier pour qu’il m’explique les rouages.
J’étais bien reçu, et le monsieur a bien répondu à quelques unes de mes questions. M’apprêtant à partir, il me lance de son fauteuil avec un clin d’oeil : » la prochaine fois, une information ça se paie « . Je ne savais pas quoi répondre surtout qu’il porte la barbe des islamiste « . Pire encore, parfois l’on crée des situations pour pousser les gens à mettre la main dans la poche.
En d’autres mots, l’on crée des victimes qui n’auront de choix que de verser des pots-de-vin. C’est ce qui se passe dans l’une des communes de Tizi Ouzou. Les gens savent tous qu’en cas de problèmes avec la police, ils doivent s’adresser à une certaine personne facilement trouvable dans l’un des cafés de la commune.
A croire nombreux témoignages, des policiers mettent des habitants dans l’embarras (menaces de fermeture de commerces, retraits de permis de conduite ou autres procédés) avec la certitude qu’ils s’adresseront au monsieur cité plus haut. Celui-ci fait tout pour dramatiser la situation, avant de prononcer la somme nécessaire au règlement du problème. » C’est une association de diables « , fulmine un jeune qui a eu déjà affaire à eux.
Corruption ou… prestations de services ? Ali, un algérois retraité, est plus que sûr que ce soit le fait que les Algériens soient trop séduits par l’argent facile, qui les pousse à pratiquer la corruption à grande échelle. « Pour les victimes, dit-il, il y’en a bien ceux qui n’ont pas trop le choix.
L’on préfère bien évidemment verser un peu d’argent que de rester au chômage ou de faire face à un problème interminable ». D’autres voient dans la faillite de l’éducation, au sens large du terme, la cause directe du phénomène.
C’est le cas d’Ahmed, transporteur, qui fulmine : « on est arrivé à un temps où pour que son propre fils aille faire une course chez l’épicier du coin, il faut qu’il ait sa chippa ». Et d’ajouter : « offrir à chaque fois de l’argent à son fils en contrepartie d’un petite service, n’est-ce pas l’initier à la corruption ? ». Bien vu ! Sarah, cadre à Saidal, s’est montré encore plus pessimiste.
« Le fait que les Algériens inventent de nouveaux termes pour masquer leur avidité et leur manque de morale, prouve que le mal est profond. J’ai entendu dernièrement, qu’on appelle les pots-de-vin » «prestations de services». J’imagine que c’est la même logique avec laquelle les cadres de Sonatrach ont agi dans ce nouveau scandale qui, je sais, n’est pas le dernier « , finit-elle.
H. F.