La scène de ce lundi 23 avril 2013, celle de la jeune maman Houda portant son bébé de quatre mois, patientant depuis 8h du matin devant le salon de l’emploi de la DGSN à Ouargla, dément la théorie d’un complot séparatiste que certains ont voulu prêter aux régions du Sud. L’image de ces centaines de chômeurs qui se bousculaient pour postuler aux 2 020 postes qu’offre la police montre on ne peut plus clair que la jeunesse de cette région du centre saharien de l’Algérie cherche uniquement du travail.
Même s’ils n’y croient pas totalement, vu les multiples promesses jamais honorées, jeunes femmes et jeunes hommes de Ouargla se sont rendus en nombre impressionnant, dans la matinée d’hier, au Salon de l’emploi de la Direction générale de la Sûreté nationale. Ils ne savent pas encore quel est le nombre de postes d’emploi offerts, et ce n’est qu’aujourd’hui dans les colonnes de la presse qu’ils le découvriront. C’est qu’ils ont choisi de ne pas perdre espoir, au risque d’avoir une énième déception. Il est à peine 9h. Parmi ces centaines de jeunes qui ont pris d’assaut les accès du Salon en attendant qu’ils soient ouverts à la faveur de l’inauguration officielle du DGSN, le général major Abdelghani Hamel, le jeune Ali, âgé de 32 ans et sans travail depuis que Sonatrach a cédé le chantier où travaille à une entreprise étrangère, se confie : «J’ai du mal à croire que ce salon aboutira à un véritable recrutement, mais je vais quand même tenter ma chance. Il faut comprendre le raisonnement d’un jeune dans mon cas : diplômé en télécommunications, abandonné par une société algérienne et qui par-dessus tout découvre pour la première de son existence un salon de l’emploi dans sa région. Hier soir, j’hésitais encore à venir, en me disant qu’il est impossible que l’Etat décide du jour au lendemain de nous offrir un nombre assez important d’emplois au sein de la police. Mais j’ai fini par me rendre à l’évidence que je ne perds rien en tentant ma chance. Je suis là et les prochains jours détermineront les choses…» Il est 9h30. Soudain un brouhaha, et la foule s’excite. Les jeunes s’impatientent et chacun pense avoir plus de chances d’être recruté en déposant son dossier de candidature le premier. Quelques dizaines tentent d’accéder de force malgré les consignes des policiers présents sur les lieux, les invitant à patienter. Un père de famille, ayant la cinquantaine, se tenait à l’écart entouré de quelques jeunes qui l’écoutait discourir. A la question de savoir si lui aussi il postule pour un emploi, il répond : «Vous me faites rire. C’est pour mon fils que je viens déposer le dossier de candidature. » Il s’agit de Boudina Saci et de son fils âgé de 27 ans qui a refusé de se déplacer. «Zoheir est encore au lit. Il n’y croit pas et il refuse de venir. TS en maintenance informatique, il a déjà travaillé comme inspecteur soudeur pipeline, comme topographe et aussi comme conducteur. Il ne comprend pas pourquoi il est depuis plus d’une année au chômage. Il ne comprend surtout pas pourquoi toutes ses demandes d’emploi ne sont pas suivies de réponse. Pourquoi l’administration lui ferme toutes les portes et pourquoi, au même titre que la population de Ouargla, les walis qui se sont succédé durant les quatre dernières années n’ont jamais reçu les jeunes ou du moins pris l’initiative d’ouvrir les portes du dialogue. Il a fini par désespérer et moi en tant que père de famille, je joue des coudes aujourd’hui parmi ces autres jeunes chômeurs pour rendre le sourire à mon fils.»
Ces jeunes femmes qui brisent les tabous
Elles sont aussi nombreuses que les hommes à postuler pour un poste d’emploi au sein de la police. Ces jeunes femmes, pour la plupart ayant accompli des études supérieures et qui refusent de se résigner à leur triste sort, ont dû lutter pour faire admettre à leurs familles, pour la plupart conservatrices, qu’elles sont en droit et surtout dans l’obligation de prendre leur destin en mains. «Après tout, nous allons nous engager dans la police et non pas dans une maison de débauche», dira Hafa, une jeune fille titulaire d’un master en télécommunications. Sa copine, licenciée en informatique de gestion et qui s’est gardée de donner son prénom vu les regards d’intimidation que lui lançaient quelques hommes, visiblement ses voisins, s’est limitée à un petit témoignage : «J’ai terminé mes études en 2008 et depuis je suis au chômage. Lorsque je regarde le monde vivre autour de moi à travers la télévision et autres outils de télécommunication, je me dis pourquoi pas moi ? Notre société nous interdisait jusquelà de sortir sans raison ; c’està- dire pour se balader ou prendre de l’air. Travailler et faire sa vie indépendamment de la voie que nous tracent les parents. On t’interdit même d’aimer. Croiser le regard d’un homme n’est pas sans soupçons ; pour certains, c’est même un crime. J’ai dû donc imposer mon choix à mes parents et ils ont fini par comprendre et me faire confiance.» Il est 10h30. Quelques jeunes femmes portant leurs bébés rejoignent la foule qui s’impatiente et s’agite à mesure que le temps passe. Approchée, Houda, une maman de 21 ans, dans les bras sa petite fille, confie : «C’est bel et bien moi qui veux m’engager dans les rangs de la police et mon mari est d’accord. J’ai réussi à le convaincre au bout de quelques jours, quand il a vu que c’était du sérieux. Mais j’avoue aussi qu’il n’a pas trop le choix. Il travaille dans une entreprise étrangère qui l’engage sans contrat et il touche moins de 30 000 DA par mois et en période de congé ou de maladie, son salaire est réduit à 10 000, voire 12 000 DA. Il a fini par se rendre à l’évidence qu’on doit s’aider. J’aurais aimé rester à la maison le temps que ma fille grandisse et soit en âge d’accepter l’absence de sa maman, mais je me dis qu’il vaut mieux ce sacrifice que de l’élever dans la misère. »

La preuve par le besoin
Il est 11h. Le DGSN, le général major Abdelghani Hamel, arrive accompagné de son staff dirigeant. Les jeunes postulants commencent à rentrer par groupes de dix. Les jeunes femmes ont été les premières à déposer leur CV. Le patron de la police annonce qu’il y a 6 120 postes budgétaires pour huit wilayas du sud du pays, en l’occurrence Tamanrasset, Illizi, Adrar. Ouargla, El Oued, Adrar, Bechar et Laghouat. La wilaya de Ouargla à elle seule en a bénéficié de 2 020. Ceux qui n’ont pas un niveau d’études suffisant seront recrutés en qualité d’agents assimilés. Il est presque midi et le nombre important des postulants rend la tâche d’enregistrement des candidatures compliquée. La foule s’impatiente, commence à s’agiter, essayant de franchir le cordon sécuritaire à la porte d’accès. Le lieutenant- colonel Mohamed Benaïred, directeur des ressources humaines à la DGSN, demande un peu de patience mais quelques-uns rétorquent sur-le-champ : «Nous avons peur que l’on soit les derniers à postuler, d’autant plus que nous avons déjà vécu d’innombrables déceptions en matière d’emploi. L’administration ne nous reçoit pas, ne dialogue pas avec nous et lorsqu’il y a un concours de recrutement, on dépose nos candidatures mais nous ne sommes jamais convoqués. Nous n’avons plus confiance. » Ce à quoi le DRH répond : «Nous n’avons pas organisé ce salon pour vous donner de faux espoirs. Si nous sommes venus aujourd’hui, c’est pour vous donner du travail. Ne me parlez pas de l’administration, car nous ne sommes pas ici pour faire de la politique. Je suis le directeur des ressources humaines de la DGSN et je sais de quoi je parle lorsque je vous dis qu’il y a du travail pour tous.» La foule se calme un instant, le général major Hamel quitte les lieux et la foule ne manque pas de prendre d’assaut les bureaux de recrutement, brisant le cordon de sécurité au moment où le lieutenant colonel Mohamed Benaïred revenait à la charge pour tenter encore une fois de les calmer. Il se trouvera ainsi pris entre des centaines de jeunes voulant chacun déposer son dossier le premier. Le DRH ne manquera pas de courir à son tour parmi les jeunes postulants pour essayer d’arriver à la porte des bureaux de recrutement et faire le tri dans l’organisation. La bousculade continue jusqu’au moment où un postulant perd ses tongues. Le lieutenant-colonel Mohamed Benaïred les ramasse sans complexe aucun et s’adresse à la foule : «A qui cela appartient ?» Le geste à la fois populaire et modeste du DRH calmera peu à peu la foule qui s’est rendu à l’évidence. En ce début d’après-midi, aucun dépassement n’a été enregistré et la jeunesse de Ouargla n’a pas montré plus que le besoin de travailler. Le général- major El Hamel, avant de quitter les lieux, a déclaré : «Nous avons eu des contacts fructueux avec la jeunesse du Sud, laquelle a perdu espoir à force de promesses… La DGSN a répondu à son appel à travers ce Salon de l’emploi. »
M. M.