Des retraités parlent des conditions sociales difficiles qu’ils vivent «Ce ne sont pas des pensions mais une atteinte à notre dignité»

Des retraités parlent des conditions sociales difficiles qu’ils vivent «Ce ne sont pas des pensions mais une atteinte à notre dignité»

«Nous sommes au crépuscule de notre vie et nous ne pouvons même pas jouer au pépé gentil avec ses petits-enfants. Les pensions qu’on nous verse sont insignifiantes et ne nous permettent même pas d’assurer les charges d’un quotidien devenu difficile»

, dira Aami Lazreg, un garde forestier retraité depuis quelques années. Pour lui, les 12 000 DA qu’il reçoit chaque 22 du mois partent en fumée dès sa sortie du bureau de poste.

«Quand je consulte mon compte et que je découvre qu’il est alimenté, je suis pris d’angoisse et de pics de tension. Avant de sortir du bureau de poste, mon maigre pactole est déjà partagé dans ma tête entre la facture d’électricité, celle de l’épicier, le loyer. Il ne me restera alors que 4000 DA, qu’il faut savoir gérer pour faire face aux dépenses de la première semaine du mois», fera-t-il remarquer.

«C’est pourquoi, dira-t-il, je vends de la menthe et quelques herbes fines à l’entrée du marché couvert. N’était cette astuce, je mourrais de faim».

Son histoire est semblable à celles de milliers de personnes du troisième âge qui n’arrivent pas à comprendre comment après des années de dur labeur, et alors qu’ils aspiraient à une douce retraite, ils se retrouvent encore à recourir à la débrouille pour ne pas mendier. «Retraité n’est plus un statut de luxe.

C’est une mort à petit feu. C’est un peu se morfondre dans son coin, à compter les heures passer sans rien faire et avec des poches envahies de toiles d’araignée», dira Aami Hamidou, un vieux routier aujourd’hui à la retraite qui ne se lasse jamais de raconter la lutte qu’il menait au quotidien contre l’asphalte des routes du sud.

«Comment vivre avec une pension de réversion de 3800 DA ?»

Khalti Zohra est une octogénaire qui lutte vaillamment contre le dénuement et l’arthrose. Ses articulations rongées par l’âge lui font mal et l’empêchent parfois de se rendre au bureau de poste pour encaisser la misérable pension de réversion de 3800 DA qu’elle perçoit chaque mois. «Je n’ai même pas la force de faire des ménages. Je vis de la générosité de mes voisins.

El ouazir (le ministre) nous a promis une augmentation mais je n’ai rien vu venir. La retraite de mon défunt mari devait être revalorisée, mais en fin de compte, elle est restée la même. Je n’ai plus l’âge d’être exigeante. Je veux juste manger à ma faim et ne pas attendre la générosité des autres pour payer mes factures d’eau ou d’électricité», dira-t-elle.

Pour elle, la situation a empiré depuis que ses articulations ont été nouées par la maladie. «Avant, il m’arrivait de rouler le couscous pour les voisines ou de faire la lessive et le ménage. Cela me permettait de tenir un mois avec ma pension, mais aujourd’hui je n’en peux plus. Qu’on allège ma souffrance. Et moi qui croyais qu’au crépuscule de ma vie, el ouazir allait m’offrir une omra ou une cure dans un complexe thermal !» dira-telle.

Plusieurs retraités qui aspiraient à un repos bien mérité se retrouvent encore à trimer dur pour ne pas sombrer dans le dénuement. «Je suis sorti avec une pension de retraite de 15 000 DA. Je croyais que ce montant allait être révisé en fonction de l’évolution du pouvoir d’achat, mais j’ai très vite déchanté. Je fais valoir mes droits à retraite en 1995 et à cette époque, ce montant me suffisait largement.

Il était même considéré comme confortable, mais aujourd’hui, il ne couvre même pas les charges de l’habitation, mes médicaments. J’ai des enfants qui n’ont pas encore de travail stable et je leur donne parfois de l’argent de poche. Les choses doivent changer, trop c’est trop, affirme Aami Kaddour, un ancien cariste qui a consumé ses années de jeunesse au port d’Alger.

«Qui se soucie de nous ?»

Aami Aïssa qui se dit bénéficiaire du dispositif du tiers payant qui lui permet de disposer gratuitement de ses médicaments pour soigner son diabète peste contre ceux qu’il considère comme responsables de la dépréciation des pensions de retraite et des avantages aux personnes du troisième âge.

«Avant, le service social de l’entreprise organisait au profit des retraités séjours dans des stations thermales, les faisait bénéficier des achats dans les coopératives de consommation, prenait en charge les frais d’hospitalisation de certains. Aujourd’hui, que reste-t-il de tout cela ? s’interroge-t-il.

Pour lui, les retraités sont mal représentés. «Les associations de retraités tout comme la fédération font de la défense de nos droits leur dernier souci. Ce qui les intéresse, ce sont les avantages. Dans quelles conditions a été élu l’actuel bureau de la fédération nationale des retraités ?» dira-t-il avant de lancer la mort dans l’âme :

«La retraite, c’est la mort, et on ne te permet même pas de rendre ton dernier soupir dans la sérénité. Retraité, tu resteras toujours prisonnier du dénuement et du besoin». Plusieurs retraités que nous avons rencontrés ont été unanimes à dire que la situation sociale d’un grand nombre est précaire. «Les pensions de retraite doivent être revalorisées. Les taux actuellement attribués ne répondent à aucune logique.

On cotise durant des années et en fin de compte, on se retrouve à se disputer une place dans les guichets des poste pour retirer une misère. Nous sommes les bâtisseurs de l’Algérie indépendante. Après le départ des colons, nos avons maintenu en marche l’appareil de production.

Nous avons fait de nombreux sacrifices, mais qui se soucie de nous maintenant ?» s’insurge Aami Saïd, un ancien cheminot qui égaye parfois les discussions dans sa cité par des anecdotes sur les draisines, les locomotives qui fonctionnaient au charbon sur les gares perdues de l’Algérie profonde.

«Nous sommes les oubliés du bonheur»

Les seniors que nous avons rencontrés ont, chacun à sa manière, lancé un SOS. Ils se disent tous victimes d’un système de protection sociale qui n’a pas fait sa mue. «Ce qui était valable il y a dix ans ne l’est plus maintenant. Avant une baguette de pain coûtait 35 centimes, aujourd’hui elle est à 10 dinars. Que ceux qui fixent les taux de retraite prennent cette inflation en considération.

Plusieurs de mes anciens collègues ont repris le travail comme contractuels dans des entreprises. Ils ont droit au repos et ils doivent laisser la place aux jeunes qui sont en butte au chômage. Que voulez-vous, on aspire tous au repos après des années de dur labeur, mais le coût de la vie a fait de nous d’éternelles fourmis en quête de pitance».

«Nous sommes prêts à des sit-in, des rassemblements devant le palais du gouvernement, le ministère des affaires sociales. Nous n’avons plus la force de marcher, mais notre volonté à défendre notre droit à une vie meilleure est toujours vivace. Nous ne sommes pas bons pour la casse, car nous pouvons encore être utiles.

Il suffit seulement qu’on nous respecte, qu’on nous donne le droit de vivre décemment, de jouer au grand-père généreux et de prétendre à une mort dans la dignité. c’est tout ce que nous voulons», diront plusieurs retraités qui se disent outrés par la situation qu’ils vivent chaque 22 du mois.

Par F. Ben