La rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes, Mme Rashida Manjoo (d’origine sud-africaine), a terminé sa tournée en Algérie hier, en présentant ses observations préliminaires lors d’une conférence de presse.
Huit autres rapporteurs spéciaux des Nations unies se succèderont à Alger dans les prochains jours et s’intéresseront, eux, aux questions «du logement, de la santé, de l’éducation, de l’alimentation, du travail, des libertés démocratiques et de la liberté de la presse», suite aux invitations adressées par le gouvernement.
Curieux changement d’attitude des autorités algériennes à l’égard des mécanismes onusiens ! Car, si durant les années quatre-vingt-dix, l’Algérie avait accepté, sous la contrainte des pressions internationales, des missions d’enquête menées par des ONG et autres missions onusiennes, cette fois-ci, ce sont elles qui prennent «librement» l’initiative d’inviter des rapporteurs spéciaux.
Pourquoi, alors, éprouvent-elles subitement ce besoin d’ouvrir grandes les portes du pays aux mécanismes onusiens ? S’agit-il d’un choix stratégique d’ouvrir et de rompre, ainsi, avec une politique de fermeture, ou plutôt d’une démarche tactique visant simplement à couper l’herbe sous le pied des défenseurs des droits de l’homme et faire dans les faux-semblants ? Le pouvoir est-il acculé sur les questions des droits de l’homme ? Il est vrai que le pays engrange de très mauvais points en la matière.
Tous les rapports d’ONG et autres organismes internationaux le classent lanterne rouge, mettant ainsi à mal le pouvoir.
De quoi faire «trembler» jusqu’aux sommets de l’Etat, étant donné que la question des droits de l’homme est prépondérante dans les rapports internationaux. Ne dit-on pas que le pouvoir algérien réagit beaucoup plus aux critiques venant de l’extérieur ? Quand celles-ci viennent de l’intérieur, il ne fait pas appel au dialogue, mais plutôt au bâton.
De ce fait, fin avril dernier, lors d’un conseil du gouvernement, le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, avait annoncé la décision d’inviter neuf rapporteurs spéciaux des Nations unies pour s’enquérir de l’état des droits politiques et sociaux des Algériens. Le président de la Commission nationale consultative pour la promotion et la protection des droits de l’homme (CNCPPDH), Farouk Ksentini, y était convié.
Ce dernier est «chargé» de convaincre de la bonne foi des autorités algériennes d’ouvrir une nouvelle page en matière de respect des droits de l’homme. Il a multiplié conférences et déclarations durant tout l’été.
L’image du pays altérée à l’étranger
«C’est lors de la réunion d’un conseil du gouvernement vers la fin du mois d’avril, auquel j’ai assisté, que le Premier ministre, Ahmed Ouyahia, a annoncé qu’il allait adresser des correspondances à neuf rapporteurs spéciaux des Nations unies pour s’enquérir de l’état des droits en Algérie.
Je me suis contenté de donner un avis favorable en encourageant cette initiative», a affirmé M. Ksentini. En bon avocat du gouvernement, il a plaidé la cause des autorités et a assuré que la décision d’inviter des rapporteurs spéciaux «n’obéit pas à un calcul tactique ou politicien, mais plutôt découle d’une volonté réelle du président de la République et de son Premier ministre d’édifier un Etat de droit».
Cependant, le gouvernement est parti du constat que «l’image du pays est sérieusement altérée à l’étranger, ce qui pose d’énormes difficultés pour les diplomates algériens lors des discussions dans les forums internationaux», a indiqué M. Ksentini. Il y a urgence à desserrer l’étau.
L’ancien ambassadeur d’Algérie à Madrid, Abdelaziz Rahabi, affirme que «l’Algérie est traditionnellement frileuse sur cette question des droits de l’homme et chaque fois qu’elle le montre, elle s’isole davantage». M. Rahabi a souligné que la diplomatie «n’est que l’expression extérieure de nos succès ou de nos échecs intérieurs.
Un pays stable, une économie performante, un audiovisuel extérieur percutant, des orientations permanentes et claires facilitent toute action diplomatique algérienne ou autre. Je pense que nous faisons parfois un mauvais procès à la diplomatie algérienne, qui dispose pourtant de réelles compétences dans la gestion de dossiers aussi sensibles que ceux des droits de l’homme et qui a été traditionnellement favorable à une ouverture sur cette question, même si elle n’a pas toujours été suivie».
Il a expliqué, par ailleurs, que «l’Occident est pragmatique, il recherche de la visibilité. La question des droits de l’homme est permanente dans les rapports avec les démocraties occidentales et de nouveaux indices probants sont apparus dans les derniers discours du président Obama.
Nous avons tort de penser que parce que les caisses de l’Etat son pleines et que la violence terroriste a été sensiblement réduite, l’image de l’Algérie changera automatiquement. Un pays, c’est plus que des réserves de change. C’est une identité, une adhésion populaire, une image dynamique et des synergies avec la communauté internationale».
«De la poudre aux yeux»
Ainsi, le pouvoir tente désespérément, à travers l’invitation des mécanismes onusiens, de «blanchir» l’image d’un pays bloqué. Pas si sûr, si l’on se fie à un autre avocat, Mustapha Bouchachi, président de la Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH).
Il ne se fait pas trop d’illusions quant à la bonne volonté du pouvoir : «C’est de la poudre aux yeux. Le pouvoir cherche à blanchir l’image d’un pays totalement fermé. Mais la régression est telle, que l’on ne peut tromper personne», a-t-il tonné. «L’invitation des rapporteurs spéciaux ne constitue guère un signe de changement de cap ou une volonté de changement dès lors que sur le terrain, on constate quotidiennement des violations des droits les plus élémentaires.
Refus d’agréer des partis politiques et des associations, violence contre les médecins et des enseignants, corruption qui gangrène le pays ; refus d’autorisation aux ONG nationales de tenir leur congrès, brutalité avec laquelle les familles des disparus sont traitées, sans parler de la torture qui est encore utilisée pour arracher des aveux», s’est défendu le président de la Ligue.
Celui-ci ne voit qu’«une manipulation politicienne» dans la démarche du pouvoir. «S’il y a réellement un signe d’ouverture, pourquoi alors le gouvernement n’invite-t-il pas les rapporteurs sur la torture et ne laisse-t-il pas les groupes de travaux de l’ONU s’informer sur les disparitions forcées? Il se contente d’inviter des rapporteurs soft topics (sujets soft), par ailleurs importants», s’est interrogé maître Bouchachi.
Ce dernier pense qu’un pays qui refuse la venue des grandes ONG (FIDH, AI) et qui n’accorde pas de visas (ou difficilement) à des journalistes étrangers «est un pays qui a beaucoup de choses à cacher».
Redorer le blason d’un pays où tous les indicateurs sont au rouge est une tâche pas si simple. Il ne suffit pas d’inviter des rapporteurs spéciaux des Nations unies en Algérie, car cela s’apparenterait beaucoup plus à une opération de marketing politique qu’à une volonté d’en finir avec des pratiques qui ont enfermé le pays dans une logique infernale. Le changement vers des lendemains qui chantent passe nécessairement par des révisions déchirantes, en associant toutes les forces politiques et sociales.
Hacen Ouali