Les pantalons à pattes d’éléphant côtoient les tenues traditionnelles brodées, les tatouages berbères sur le menton des femmes les lunettes de soleil: exposées à Marseille, des photos prises en studio redonnent vie au quotidien en France et en Algérie des années 1950 à 1970.
Intitulée « Pour Mémoire(s) », cette exposition installée sur le campus Saint-Charles de l’université s’inscrit dans le cadre des rencontres d’Averroès, une manifestation organisée à Marseille et dans sa région, autour de problématiques méditerranéennes.
Les quelque 150 photos exposées ont été prises entre le milieu des années 1950 et la fin des années 1970, dans deux studios distincts, l’un situé à Marseille, l’autre dans un village algérien de la région des Aurès. Des familles, des couples et des personnes seules y posent, parfois raides et empruntées, parfois avec des attitudes vivantes et théâtrales, dans un décor très sobre.
Ces photos en noir et blanc ont été prises sans intention artistique. Celles réalisées à Marseille servaient souvent à montrer à la famille restée au pays la réussite sociale des personnes photographiées.
« Il y avait beaucoup de Sénégalais et de Maghrébins. Les gens venaient faire des photos pour prouver qu’ils avaient gagné de l’argent ici. Ils venaient avec un costume, avec un transistor », se souvient avec une certaine émotion Grégoire Keussayan, l’auteur d’une partie des photos exposées. Sur l’une d’entre elles, un homme pose fièrement, son livret de Caisse d’épargne à la main.
Des photos miraculées
Grégoire Keussayan tient toujours le petit « Studio Rex » que son père, arrivé d’Arménie dans les années 1930, a ouvert dans le quartier marseillais de la porte d’Aix.
« Je suis content que ces photos soient préservées. Nous, tous les dix ans, on les détruisait », se souvient-il. Aujourd’hui, à l’ère du numérique, il ne fait presque plus que des photos d’identité, pour les passeports biométriques, dans la petite pièce – toujours la mêm e- qui lui sert de studio, et envisage de fermer boutique dans un ou deux ans.
En 2006, les Archives de Marseille ont acheté le fonds photographique du Studio Rex, ressuscitant des visages et des postures tombés dans l’oubli. Les négatifs des photos algériennes, du fonds Lazhar Mansouri, ont pour leur part failli être brûlés après la mort du photographe et ont été sauvés de justesse par un photographe kabyle.
« Les deux fonds parlent de la confrontation entre deux temporalités: la tradition et la modernité », commente Jose Echenique, des Ateliers de l’Image, à l’origine de l’exposition, avec le lieu de création marseillais Les Bancs publics.
L’une des photos montre ainsi un homme en costume traditionnel, longue robe noire et cape blanche, posant entre deux petits garçons qui arborent T-shirts et lunettes de soleil. Sur d’autres, les vêtements occidentaux des femmes ou la cigarette ostensiblement tenue devant l’objectif constituent autant de signes d’émancipation par rapport à la culture d’origine. Ailleurs, la présence du drapeau algérien témoigne de la fierté de l’indépendance.
Souvent émouvantes, parfois intriguantes, ces photos d’anonymes invitent le visiteur à imaginer les histoires qu’elles cachent, sur les deux rives de la Méditerranée.
Exposition « Pour Mémoire(s) », à l’espace Fernand Pouillon, à Marseille, jusqu’au 8 décembre.