Pour ces parlementaires, la situation de non-visibilité politique liée essentiellement à l’état de santé du président Bouteflika, couplée à la chute des prix du pétrole, est une source de “questionnements angoissants”, s’agissant d’un partenaire majeur comme l’Algérie.
“L’Union européenne et l’Algérie sont unies par un espace méditerranéen et des destinées communes. Ce n’est pas possible de concevoir le futur européen sans prendre en compte le futur de ses voisins, et vice-versa.” Ces mots sont de Marek Skolil, chef de la délégation de l’Union européenne en Algérie, dans le “Rapport sur la coopération UE-Algérie”, édition 2014. C’est forts de cette conviction chevillée que des parlementaires et des experts européens rencontrés à Bruxelles, dans le cadre d’une visite d’une délégation de journalistes algériens, du 1er et 5 décembre, ont exprimé des “inquiétudes”, des “interrogations” par rapport à ce que nombre d’entre eux considèrent comme “une absence de visibilité politique de l’Algérie”. Sous le titre “La coopération entre l’Union européenne et l’Algérie”, un de ces experts lie directement cette absence de visibilité politique à la maladie du président Bouteflika et son impact sur le processus de la décision politique. “On ne sait pas exactement qui décide, comment sont prises les décisions politiques.
On parle de l’influence de l’armée, des milieux d’affaires dans les choix politiques”, s’inquiète cet expert qui se demande “quels seront les scénarios possibles au cas où le président Bouteflika viendrait à interrompre son mandat”.
Un autre expert revendique, en quelque sorte, le droit de savoir, dès lors qu’il s’agit de l’Algérie : “Un partenaire majeur, une puissance régionale dont dépend la sécurité énergétique de l’Europe.”

La tournée de la délégation de l’UE chez les partis et la transition
démocratique
Lors de la journée du mardi 2 décembre, il a été longuement question de la fameuse tournée des membres d’une délégation européenne chez les partis politiques. La colère d’Alger a manifestement produit des répliques au Parlement de Bruxelles, tant l’incident est évoqué avec une certaine malice. “Ces consultations font partie des usages habituels entre l’Union européenne et ses partenaires et n’ont strictement rien à voir avec l’hospitalisation du président Bouteflika à Grenoble. Elle était programmée depuis longtemps, c’est une pure coïncidence”, assure un des membres de cette délégation rencontré dans les coulisses de la Commission européenne. En revanche, notre interlocuteur considère pour le moins normal d’avoir des échanges “avec les acteurs politiques légitimes”.
Un parlementaire et vice-président pour les relations avec les pays du Maghreb fait un constat sévère sur la situation politique en estimant que “l’Algérie doit faire une transition démocratique” en cherchant à trouver son “propre chemin”. Pour lui, “le système politique algérien est archaïque, l’Algérie n’est plus dans les années soixante-dix, la stabilité ne doit pas se confondre avec autoritarisme”. Un autre député, ayant fait partie de la mission des observateurs européens lors des dernières élections législatives qui ont eu lieu en mai 2012, n’a pas fait dans la dentelle en pointant l’absence de volonté politique “à faire évoluer le système qui est en déphasage avec son temps”.
Revoilà le fichier électoral
Dans son intervention “off the record”, comme il a tenu à le préciser d’emblée, il reviendra sur cette mission d’observateurs, particulièrement sur les recommandations de l’Union européenne. “Il est vrai que l’Algérie a fait des progrès, mais le problème se pose au niveau du fichier électoral qui doit être accessible à tous les partis politiques, le fichier est une base de crédibilité et de légitimité des élections.”
Dans la foulée de son intervention, ce parlementaire évoque ses rencontres avec des responsables algériens et note une “certaine réaction de fermeture, d’orgueil”, dès lors qu’il est question “de faire évoluer le système” ou de “renouvellement de la classe politique”.
Pour autant, ce dernier exprime sa défiance “contre toute dérive radicale”.
Chute du prix du baril et règle 51/49
La chute des prix du pétrole s’est invitée à cette rencontre. Une occasion pour l’auteur de l’intervention “Les relations commerciales entre l’Union européenne et l’Algérie” de souligner qu’“il est temps pour l’Algérie de diversifier son économie”, tout en déplorant le fait que les autorités algériennes n’aient mis à profit l’aisance financière de ces dernières années avec un pétrole à 120 dollars pour entreprendre des réformes économiques. “L’Algérie a accumulé beaucoup d’argent, mais elle a repoussé les réformes économiques pour éviter de prendre des décisions impopulaires”, dit-il en se posant encore la question : “L’Algérie est-elle préparée à un nouveau choc pétrolier ?”
Pas d’inquiétude dans l’immédiat, tranche-t-il en mettant en avant “la soupape” que constituent “les importantes réserves de changes” (193 milliards de dollars) et le Fonds de régulation des recettes (FRR). Mais pour combien de temps ? Cet expert pointe aussi ce “paradoxe” au sujet de l’intégration maghrébine qui ne dépasse pas, selon lui, les 3% ! Il évoque également l’accord d’association en admettant le fait que des parties en Algérie puissent le contester et puissent considérer que c’est une sorte de marché de dupes. “Il y a des règles qui permettent de réviser l’accord, mais les autorités algériennes ne l’ont pas fait”, dit-il, en notant des contradictions entre la loi de finances 2014 et certaines dispositions de l’accord d’association. Une de ces dispositions : la fameuse loi Ouyahia du 51/49. C’est la bête noire de Bruxelles. “Cette règle à l’OMC ne passe pas, c’est un énorme problème, c’est la principale cause de crispation entre l’UE et l’Algérie”, peste cet expert qui admet que l’État algérien puisse protéger certains secteurs stratégiques.
L’espoir est permis pour la transition économique
Au sujet de l’adhésion de l’Algérie à l’OMC, cette Arlésienne, l’intervenant relèvera que “l’Algérie est un des plus vieux candidats à l’adhésion, c’est une candidature dormante”.
À ce propos, il constate à juste titre “des signaux contradictoires” : d’un côté, les ministres des Finances favorables à l’adhésion et de l’autre, l’hostilité de certains partis politiques et syndicats. Singulièrement, le PT de Louisa Hanoune et l’UGTA de Sidi-Saïd. Mais cette valse-hésitation, ces moratoires à n’en plus finir “pour permettre à l’économie algérienne de se mettre à niveau”, un argument souvent mis en avant par Alger, ne risque-t-on pas d’en faire les frais.
C’est la conviction des parlementaires européens qui restent néanmoins persuadés que “l’Algérie a les moyens de réussir sa transition économique”.
O. O.