L’épisode est rare pour ne pas susciter des interrogations. La dernière réunion du conseil des Ministres aura duré deux jours : dimanche 11 et lundi 12 septembre.
Alors que d’ordinaire, le conseil est expédié en une journée, celui-ci s’est étalé sur deux.
Au cœur de ce conclave peu ordinaire, un débat vieux de 20 ans : faut-il ou non autoriser le retour des islamistes du FIS-dissous ? Deux camps s’y sont opposés avant que la question ne soit tranchée par le président.
Ainsi, il aura fallu attendre lundi, vers 18 heures, pour que le fameux communiqué sanctionnant la réunion tombe dans les rédactions. Deux jours pour un conseil des Ministres, cela ne s’est jamais, sinon rarement, passé depuis l’élection de Bouteflika en avril 1999.
Selon nos informations, les deux réunions ont été houleuses, parfois émaillées d’échanges acerbes, d’éclats de voix. Sous le regard du président Bouteflika, plutôt calme et conciliant, à en croire les confidences d’un ministre présent.
5 projets de loi, des débats âpres
Au cours de ces deux journées, une poignée de ministres- les autres ne mouftent pas un mot-, ainsi que le président ont eu à examiner et à débattre autour de 5 textes : le projet de loi sur l’information, celui concernant les partis politiques, la loi sur les associations, la loi de finances 2012 et enfin la loi sur le règlement budgétaire
Et c’est un texte en particulier qui a provoqué ces débats houleux : la loi sur les partis politiques, notamment un article fondamental.
Dans l’énoncé du texte présenté par le ministre de l’Intérieur, il est stipulé que la création d’un parti politique est garantie « dans le cadre de la loi, ainsi que la libre expression de ses idées et de son projet et le libre exercice de ses activités, sous réserve que cette liberté ne soit pas détournée en vue de reconstituer un parti dissous ».
L’allusion au FIS (Front islamique du Salut), parti islamique dissous par les autorités en mars 1992, est claire. Le chapitre du FIS clos globalement et dans le détail?
Là-dessus, deux parties font s’affronter pendant plusieurs heures.
Belkhadem favorable au retour du FIS…
D’un côté, Abdelaziz Belkhadem, SG du FLN et ancien chef du gouvernement, secondé par le ministre délégué chargé des Relations avec le Parlement, Mohamed Khouidri. De l’autre, Yazid Zerhouni, vice-Premier ministre et ex-ministre de l’Intérieur, épaulé par Khalida Toumi, chargée du département de la Culture.
Lorsque Belkhadem prend la parole, il s’oppose aux dispositions de la loi qui excluent de facto le FIS. Il argue qu’en vertu de la politique de réconciliation nationale, tous les Algériens sont libres d’exercer leur droit à une activité politique. Aussi, plaide-t-il encore, la nouvelle loi ne devrait pas exclure le parti du dissous, sa base, ses chefs et ses repentis réhabilités par la grâce de la réconciliation.
Le ministre délégué au Parlement, Mohamed Khoudri, un ponte du FLN, abonde dans le même sens : si le FIS a été dissous par voie de justice vingt as plutôt, argumente-t-il, le législateur ne doit pas pour autant priver ses sympathisants de faire de la politique, d’activer au sein d’une formation, de postuler à des mandats électoraux. Bref, refaire du FIS sans le FIS.
…Zerhouni s’y oppose…
En charge du département de l’Intérieur pendant dix ans (décembre 1999-mai 2010) Yazid Zerhouni s’oppose à la réhabilitation de la formation d’Ali Belhadj et d’Abassi Madani.
Connu pour son hostilité à l’égard des anciens du FIS, Zerhouni explique que la page du parti islamiste est tournée, que le pays ne peut se permettre de retomber dans une nouvelle aventure avec des hommes qui portent une grande responsabilité dans la guerre qui a ensanglanté l’Algérie durant la décennie 1990.
Khalida Toumi oppose presque les mêmes arguments pour couper l’herbe sous les pieds de Belkhadem.
…et Ouyahia dit non
Pour départager les deux camps, le président souhaite entendre l’avis du Premier ministre Ahmed Ouyahia. « Je suis un éradicateur, dit-il en substance, mais j’ai soutenu la politique de réconciliation nationale du président. Pour autant, je ne suis pas pour le retour du FIS. »
Eradicateur avant de se renier pour endosser l’habit du réconciliateur, Ahmed Ouyahia s’est rament déjugé sur la question de la résurrection de l’ex-parti islamique.
Après plus de 5 heures de débat, Bouteflika tranche. L’article 4 est maintenu et la porte de la politique est encore scellée pour le FIS.
L’enjeu de l’électorat islamiste
Pour Belkhadem, l’enjeu était de taille. C’est que l’actuel patron du FLN nourrit des ambitions présidentielles et y pense chaque matin en se taillant la barbe. Pour succéder à Bouteflika au plus tard en 2014, il devient donc essentiel de capitaliser la sympathie des islamistes. Le poids de leur base compterait dans les urnes le jour venu même si l’on est aujourd’hui loin du fantasmagorique « 3 millions de voix du FIS ».
Mais la plaidoirie de Belkhadem en faveur de l’ex-FIS ne répond pas uniquement à des calculs électoralistes, elle est conforme à ses convictions et à son parcours politiques.
Islamo-conservateur pur sucre, estampillé « barbéfélène » (en référence aux islamistes qui militent au sein de l’ancien parti unique), Belkhadem est autant un allié qu’un fidèle avocat des islamistes.
En 2006, il avait reçu au siège du FLN, Rabah Kébir, ancien chef du FIS à l’étranger alors en quête d’une réhabilitation. Belkhadem n’hésitait pas non plus à s’afficher aux côtés de Madani Mezrag, ex-chef de l’AIS, le bras armé du Front islamique, également dissoute en janvier 2000.
Favorable à une amnistie générale en faveur des activistes armés, Belkhadem a conduit récemment des tractations avec d’anciens dirigeants du parti islamique afin d’arracher du président Bouteflika une grâce à quelque 7000 terroristes.
La bataille autour du FIS ayant tourné en sa défaveur lors du conseil des Ministres, Belkhadem peut encore livrer une autre à l’assemblée nationale quand les députés entameront le débat autour de cette loi qui a scellé le sort du FIS.
Avec Mehdi Benslimane