Pour pouvoir se payer un kilogramme de viande, le Français doit consacrer 5 minutes de travail, tandis que pour l’Algérien, il faut… 6 heures et 25 minutes.
Alors que le gouvernement, englué dans une crise appelée à durer, de l’avis même d’Ahmed Ouyahia, s’apprête à faire une cure d’austérité à travers la hausse de la fiscalité et la baisse des dépenses publiques, syndicalistes et autres experts des affaires sociales sont unanimes à prédire que ce seront en premier lieu les travailleurs qui vont payer la facture.
En plus du fait qu’ils perçoivent déjà des salaires “très bas”, comparés à leurs voisins tunisiens et marocains, les travailleurs algériens risquent de s’appauvrir davantage avec une éventuelle réduction des transferts sociaux, mais également au regard des prix pratiqués sur le marché. “Les salaires en Algérie sont très bas”, assure Nouredine Bouderba, ancien syndicalistes de la fédération des pétroliers et expert dans les questions sociales.
Invité samedi soir au siège du Cnapest, à Alger, en compagnie du sociologue Nacer Djabi, par la coordination des syndicats autonomes pour animer une conférence sous le titre “Pouvoir d’achat, entre libéralisme et protection sociale”, Nouredine Bouderba, chiffres et études à l’appui, a démonté tous les arguments de l’Exécutif qui brandit comme un trophée de guerre les augmentations dans les salaires opérées il y a quelques années. “En 2011, une enquête de l’UGTA avait démontré que le travailleur doit percevoir au moins 40 000 DA pour satisfaire ses besoins vitaux. Or, ils étaient quelque 82% à percevoir un salaire de moins de 40 000 DA. Les revenus primaires (revenus sans la partie socialisée) sont très bas”, dit-il, non sans relever que “les travailleurs des corps communs de la Fonction publique sont les moins payés dans le bassin méditerranéen”. “Il y a une discrimination entre les salaires des cadres dirigeants et les travailleurs, entre le privé et le public, alors que le SNMG, qui devait être un outil de réduction des inégalités, est très bas”, soutient-il encore. Et rien de plus emblématique de la situation de précarité du travailleur algérien que ces chiffres déclinés par l’expert. À titre d’exemple, un Français a besoin de travailler 14 minutes pour s’offrir un litre d’huile, alors que l’Algérien doit trimer… 40 minutes. Pour pouvoir se payer 1 kg de viande, le Français doit consacrer 5 minutes de travail, tandis que l’Algérien… 6 heures et 25 minutes. Et pour payer une consultation chez le médecin, le Français doit travailler 1 heure 25 minutes alors que l’Algérien doit consacrer… 5 heures, presque une journée de travail. “Les prix pratiqués sont très chers par rapport au salaire. Même le prix des carburants est sensiblement le même avec les pays du Golfe, alors que là-bas les salaires sont très élevés.” Autre indice de la paupérisation : les salaires représentent 27% du PIB, alors qu’ailleurs, ils dépassent les 50%, et 41% des revenus sont consacrés à l’alimentation, tandis qu’en Europe, il est de 15% seulement. Il y a aussi les indicateurs liés à l’alimentation (obésité, mauvaise croissance chez l’enfant) qui témoignent de la faiblesse du pouvoir d’achat. Selon Nouredine Bouderba, les transferts sociaux, contrairement à une idée répandue, profitent beaucoup plus aux travailleurs, en relevant, au passage, que 14 milliards de dollars de ces transferts représentent des cadeaux fiscaux aux entrepreneurs, alors que 2,2 milliards de dollars seulement sont consacrés aux subventions des produits de large consommation. “On nous cache le chiffre global des transferts sociaux car une bonne partie représente des cadeaux fiscaux. Mais ce sont les pauvres qui captent les transferts sociaux. Il faut ramener ces transferts aux revenus pour comprendre que si on les supprime, les travailleurs vont s’appauvrir.” “Le revenu ne se limite pas au salaire primaire (monétaire), il y a aussi la partie socialisée, c’est-à-dire les transferts sociaux qui jouent un rôle dans les revenus. Il y a des inégalités dans les revenus primaires, mais grâce aux transferts sociaux (soutien aux prix, subventions, etc.), elles sont réduites. La politique fiscale contribue également à la réduction des inégalités sociales”, soutient Bouderba, en rappelant que le salaire d’un travailleur algérien ne représente que 5% du salaire d’un… Américain.
Pour sa part, Nacer Djabi s’est penché sur la question du “salaire et le pouvoir d’achat comme relation sociale”. Selon lui, aujourd’hui, il y a une diversité de revenus qui impacte forcément le travail syndical. “On est devant de nouveaux riches et de nouveaux pauvres. Aujourd’hui, l’État s’est éloigné de la classe moyenne, sa base traditionnelle, qui était son arme politique”, dit-il. Mais à l’adresse des syndicats, Nacer Djabi leur suggère de “s’assurer d’abord des statistiques” pour “éviter de tomber dans le piège” car “il y a un problème dans la fiabilité des informations et la fiabilité dans les statistiques”.