Des étudiantes exploitées dans le commerce, Le bac au fond de la boutique !

Des étudiantes exploitées dans le commerce, Le bac au fond de la boutique !

La pratique a gagné l’ensemble des grandes villes universitaires du pays. Des étudiantes se font vendeuses, au noir, dans les boutiques de négriers qui les arrachent à leurs études contre quelques sous…

Elles sont jeunes et souriantes, parfois audacieuses dans leur rôle d’éloquentes vendeuses qui vous jurent que le produit qu’elles vous proposent vous va à merveille ou qu’il est de bonne qualité.

Les étudiantes vendeuses des magasins d’habillement ou de restauration rapide font l’affaire de patrons bien inspirés d’avoir eu recours aux jeunes pour attirer une clientèle disputée.

Un hic cependant dans cette nouvelle tendance : les vendeuses sont généralement exploitées, parfois maltraitées et leurs études patissent souvent de ces petits jobs dans la périphérie de la fac… Sonia a 21 ans, c’est sa deuxième année à l’université.

Elle a passé une première année difficile où elle ne pouvait rentrer chez elle dans son village des Hauts Plateaux qu’une fois par semaine, en raison du coût du voyage et de sa gêne d’être à nouveau une bouche à nourrir lorsqu’elle se retrouve parmi ses nombreux frères et sœurs, dont certains en bas âge. La bourse ne suffisait pas. Elle a donc décidé d’aller se présenter au propriétaire du grand bazar qui employait déjà ses deux voisines de palier à la résidence universitaire.

Des filles toujours bien vêtues et cuisinant de bons plats le soir, au lieu d’aller patienter des heures à faire la queue devant le réfectoire du restaurant universitaire, au menu pas toujours convainquant. Il lui propose 5 000 DA par mois pour quelques heures par jour, en lui promettant une augmentation à l’avenir.

ENGRENAGE ET EXPLOITATION

Mais, très vite, le discours du patron change, et il ne tolère plus les absences. Il exige toujours plus d’heures de présence à Sonia qui a le choix entre accepter l’augmentation du volume horaire ou la perte de son emploi. Son travail au magasin prend le dessus sur ses études.

Elle en vient à manquer les cours, à courir chez le médecin pour se procurer la justification d’un examen raté, sans complaisance, tant elle affiche des signes évidents de fatigue, de surmenage. «Je passe des heures debout et parfois sans manger. Le restaurant universitaire est trop loin du bazar où je travaille et je ne peux pas m’acheter des sandwichs, cela reviendrait trop cher.

Le chef ne nous a pas encore payé de toutes les façons…» Quand on lui demande s’il n’est pas risqué de rater son cursus universitaire à cause de ce travail sans assurance et si mal rémunéré, Sonia reprend à son compte le discours de son employeur :

«Aâmi Moh nous rappelle, souvent, lorsqu’on lui explique qu’on doit aussi penser à nos études, que les diplomes d’aujourd’hui ne valent rien et que des milliers de licenciés sont au chômage ou exercent un emploi plus précaire (…) on sait que notre patron défend ses intérêts, mais on n’a pas le choix. On ne peut plus vivre sans argent. Même chez nous à la maison, ils ont fini par compter sur nous.»

EN TOUTE IMPUNITÉ

A la direction du Commerce, on dit ne pas avoir de statistiques ni de rapports prouvant ces recrutements illégaux ou l’exploitation d’étudiantes. Les commerçants feraient valoir un lien familial ou un remplacement exceptionnel lors des contrôles inopinés. «Si aucune plainte n’est déposée auprès de l’Inspection du travail ou de la police, les services chargés du contrôle ne peuvent pas sévir», a-t-on indiqué. Les étudiantes travailleuses sont en effet consentantes.

Victimes et complices des négriers modernes qui abusent de la jeunesse et de la vulnérabilité de ces étudiantes loin du foyer familial et contraintes à se débrouiller dans la jungle urbaine. Certaines d’entre elles nous disent qu’il y a pire, en faisant allusion à celles qui ont sombré dans la débauche au lieu de se consacrer à leurs études.

Combien sont-elles à s’écarter d’un parcours normal, combien sont-elles à arrêter leurs études pour une vie active incertaine entre les griffes de commerçants sans scrupule ? Fazia, étudiante en sociologie, raconte que des handicapées sont aussi exploitées dans la boutique où elle a travaillé l’année dernière.

«Ils profitent de toutes les couches sociales vulnérables, des filles sans appui social, de celles issues du milieu rural et qui se retrouvent perdues dans la ville et obligées de se procurer des sous pour se frayer une place ou arracher le respect des autres étudiants. Aujourd’hui, si vous êtes mal habillée, vous ne pouvez plus vous rendre dans un amphi ou espérer être respectée, même les enseignants semblent mépriser les pauvres…»

Cercle vicieux d’une époque où l’argent a pollué les mentalités, la déperdition universitaire causée par une paupérisation inavouée de la catégorie des étudiants s’alimente du silence de la société face à cette réalité et de l’impunité dont jouissent les commerçants négriers.

Il est grand temps de lancer un débat public pour la revalorisation des bourses estudiantines et le renforcement de la lutte contre l’exploitation des personnes. Sans quoi, il ne servira plus aux plus pauvres d’avoir décroché leur baccalauréat.