Des émeutiers témoignent, On ne naît pas casseur !

Des émeutiers témoignent, On ne naît pas casseur !

Les émeutes, qui ont éclaté la semaine dernière dans les grandes villes du pays, démontrent que la paix sociale n’est pas encore garantie.

Le profil des émeutiers est, dans ce contexte, intéressant à analyser. Pour cette raison, nous nous sommes rapprochés de quelques émeutiers à Belouizdad, théâtre de violents affrontements entre jeunes et forces de l’ordre. Ils relatent diverses raisons qui les ont poussés à sortir pour protester.

Il était environ 12h en cette journée de vendredi (hier, ndlr) quand nous avons interrogé Mourad, la vingtaine, qui a participé aux émeutes de Belouizdad. Pour lui, les motivations qui l’ont poussé à rejoindre le mouvement de protestation ne sont pas uniquement liées à l’augmentation des prix de l’huile et du sucre.

«Je voulais apporter mon soutien aux enfants du quartier qui réclament leur quota de développement. J’ai moi-même connu le chômage durant au moins cinq ans. Si j’arrive à m’en sortir aujourd’hui, c’est grâce, entre autres, à la formation de mécanicien effectuée dans un centre de formation professionnelle.

Mais n’empêche que je vois tous les jours le quotidien des jeunes de mon quartier. Ni boulot, ni projection dans l’avenir. Alors quand ils ont commencé à jeter des pierres sur les brigades antiémeutes, je n’ai pas cherché à comprendre. J’ai jeté des projectiles, tout en sachant que les émeutiers étaient dans leur droit absolu de justice sociale».

Tout près, un café à la main, Smaïl, un autre jeune qui n’est pas resté les bras croisés durant les émeutes. Chômeur, il ne cache pas sa haine contre tout ce qui est étatique. «À 27 ans, je ne garde que des mauvais souvenirs de mon enfance et de ma jeunesse.

Je me considère vieux avant l’âge. Etant gamin, je n’entendais que les bombes placées par la horde sanguinaire et plus tard le chômage me tuait de jour en jour, jusqu’à aujourd’hui. Je n’oublierai jamais le jour où le proviseur du CEM m’a renvoyé, alors que je n’avais même pas atteint mes 15 ans. Lui n’en avait que faire.

Il se disait sûrement qu’un élève de moins, c’est une charge à ne plus comptabiliser. Mais moi, je peux vous dire que j’ai souffert. J’ai vendu des cigarettes. J’ai fait un peu de trabendo durant une époque, mais rien ne m’a réussi. Le jour où je suis allé m’inscrire pour une formation, on m’a dit que je n’avais pas le niveau de 9e année.

Les émeutes qui ont éclaté dans mon quartier m’ont permis d’exprimer ma colère et de dire haut et fort que nous existons. Que j’existe. L’argent du pétrole c’est aussi le nôtre. Dans ce cas, ils doivent trouver des solutions. Sinon, c’est le suicide ou la prison.»

Touhami, 22 ans, est aussi chômeur. Il a même dirigé une petite bande durant les émeutes de Belouizdad. «Je n’ai pas de père. Seule ma mère m’a élevé. J’ai tout fait pour réussir à l’école. Cela n’a pas marché car je devais ramener le couffin et ce, grâce à des petits boulots.

Mais cela ne m’a pas découragé pour m’inscrire dans un centre de formation d’installation de caméras de surveillance. Une fois mon diplôme obtenu, j’ai cherché du travail. Un an après, rien de positif. Je faisais une petite sieste quand tout le monde est sorti pour des émeutes.

En descendant au boulevard principal et en voyant les brigades antiémeutes, je n’ai pas hésité une seconde à les mitrailler de pierres. Sincèrement, si j’avais un travail, je n’aurai pas été avec tous ces «ratés» de la société. Mais comme je suis un exclu, donc un «raté», forcément, je deviens un émeutier.»

«Une vie de chien»

Parmi le groupe de jeunes que nous avons interrogés, figure «Bouzenzen», qui a participé aux émeutes. Mais par peur d’être identifié par les services de sécurité, il ne voulait donner ni son nom ni son âge.

«Oui, j’ai jeté des pierres sur les brigades antiémeutes, je les ai insultées et j’ai même cassé la vitrine d’un magasin. Chose que je regrette d’ailleurs, car le lendemain j’ai appris qu’il appartenait à l’oncle d’un ancien camarade.

Qu’est-ce qui m’a poussé à sortir pour protester ? En fait, la question ne se pose plus. Regardez-nous, que des jeunes sans avenir, ni formation, ni perspectives. Ne croyez pas que c’est uniquement la hausse du prix de l’huile et du sucre qui ont été à l’origine des émeutes. C’est un cumul de frustrations, de haine, de jalousie.

C’est aussi un manque de repère. Je ne m’identifie à aucune personnalité politique ni patron. Je ne représente que la ville et mon quartier. J’ai 29 ans et tout au long de ma vie, personne ne s’est intéressé à moi, ni l’Etat, ni mes parents, ni ma famille, ni mes voisins. Je fume joint sur joint.

Lors des émeutes, j’ai dégagé toute ma haine. Toutefois, quand je m’imagine dans des situations décentes, avec emploi et logement, mariage aussi, je ne me vois pas avec tous ces détraqués.» Plus tard, lorsque Salah a pris la parole, les larmes ont presque coulé sur ses joues.

«J’ai 25 ans, je suis chômeur, sans aucune formation, expulsé de l’école à l’âge de 14 ans. J’ai fait de la prison pendant un an pour vol, et je suis un mort-vivant. J’ai tellement voulu casser du policier durant les émeutes que j’ai failli oublier la raison pour laquelle je suis sorti.

En fait, c’est le sentiment d’injustice qui nous a guidés. Aujourd’hui, même si un cadre est payé 80 000 DA par mois, il ne peut pas s’offrir un logement. Alors, imaginez notre situation. Nous n’aurons jamais de vie ultérieure. Tout ce que nous pouvons faire, c’est manger un plat, dormir et rebelote. Une vie de chien.»

Par Mehdi Bsikri