Des émeutes violentes – Une communication défaillante

Des émeutes violentes – Une communication défaillante

Pourquoi si peu de réactions officielles ? Pour ne pas donner une allure politique à des manifestations qui ne le sont pas directement. Il faut observer par contre que la parole a été assez largement donnée aux citoyens qui déplorent et condamnent ces manifestations.

Un espace d’expression qui semble inutilisé

A défaut d’être présent dans l’espace public, livré à l’anarchie et à la violence des manifestants, autrement que par des cordons de policiers, l’Etat est maître d’un espace d’expression où ses représentants peuvent communiquer à volonté leurs messages: ce sont les médias lourds, la télévision.

Or, cet espace n’a pas été utilisé, à deux exceptions près. Benbada, le ministre du Commerce, qui a expliqué, dans un langage que seuls les économistes peuvent comprendre, et dans un décor de bureaucratie, l’annulation prochaine de la hausse des denrées alimentaires incriminée.

LG Algérie

Ensuite Djiar, le ministre de la Jeunesse et des Sports, qui est apparu seul à l’écran – dans un stade vide censé montrer les réalisations d’infrastructures accomplies – pour expliquer, dans un langage plus accessible que son prédécesseur, l’absurdité des jeunes à recourir à la violence «alors qu’il existe des moyens pacifiques pour exprimer leur colère» tout en mettant en garde contre les récupérations et les manipulations étrangères.

Pourquoi si peu de réactions officielles ? Pour ne pas donner une allure politique à des manifestations qui ne le sont pas directement. Il faut observer par contre que la parole a été assez largement donnée aux citoyens qui déplorent et condamnent ces manifestations.

Face à la publicité donnée aux émeutiers par les télévisions étrangères, une contre-publicité a été opérée par les médias officiels, avec du silence et des condamnations. Jusqu’à preuve du contraire, cette contre-publicité a été efficace, si l’on en juge d’après l’opinion la plus répandue – qui considère négative ces manifestations.

Que pense l’opinion publique ?

C’est l’opinion générale qui est l’enjeu de toute communication, quel que soit son mode. Outre le fait qu’elle déplore et condamne, que pense l’opinion de ce qui se passe ? Elle a des doutes, désormais, là où des certitudes commençaient à se dessiner. Elle pense donc que tout peut basculer à tout moment !

Que l’Etat n’est pas aussi présent qu’on le croyait, jusque dans certains quartiers d’Alger… Ces doutes réhabilitent la notion de jacquerie, voire d’anarchie, favorable à toutes les dérives, et dévalorisent quelque peu le danger du terrorisme, comme tenant et aboutissant de la cohérence politique que cherche à établir le pouvoir pour mener à bien ses projets de développement. Il est certes trop tôt pour parler de ce que pense l’opinion, alors que le feu n’est pas éteint.

Mais le processus du discrédit des manifestants, pour éviter qu’il se renouvelle et s’amplifie, n’est pas véritablement en cours. Il faut plus que de la consternation des citoyens. Dans la confrontation actuelle, toute concession spectaculaire est une prime d’encouragement aux émeutes. L’Etat n’a pas montré sa puissance, par des moyens symboliques, pour dissuader et rassurer. Il est peut-être utile qu’il le fasse, mais comment ?

Une police sur la défensive

Nous avons observé à travers les images diffusées par les télévisions étrangères une apparente absence de technicité parmi les forces de l’ordre. Munie de simples bâtons, les policiers subissent les violences de manière plutôt passive, en tentant de réagir aux jets de pierre par des jets de pierre.

Il a été fait usage, dit-on, de gaz lacrymogène et de cartouches à blanc, mais le fait est là : à l’exception de deux morts, il y a plus de blessés parmi les forces de l’or-dre que parmi les émeutiers – de l’ordre de trois contre un. L’idée est de ne pas occasionner des blessures graves ou de nom-breux morts qui dramatiseraient la situation.

Ce faisant, on laisse croire à la faiblesse et à l’impunité. La police doit se montrer plus vigoureuse et prendre le risque de s’exposer à la critique, sachant par ailleurs que l’opinion condamne les saccages et le vandalisme.

Elle doit se montrer plus organisée et plus offensive dans les ripostes contre les émeutiers, en vue de les disperser ou de les neutraliser. Il ne doit pas être question de laisser l’espace public entre les mains de jeunes excités ou d’adopter, par crainte d’on ne sait quoi, des attitudes timorées qui leur donnent un sentiment général d’impunité.

La police n’a pas à faire de la politique à ce niveau, on attend d’elle plutôt qu’elle fasse son travail, celui d’assurer la sécurité des biens et des personnes contre tout contrevenant, quel qu’il soit. Autant elle doit être respectueuse des manifestations pacifiques, autant elle doit se montrer vigoureuse face à ceux qui ne respectent plus aucun code, sous peine d’apparaître «coupable» par avance de ce qui se passe.

La fermeté et la loi

La démonstration de la puissance étatique ne se limite pas aux forces de l’ordre bien entendu. Lorsqu’il s’agit de préserver la sécurité de tous, les politiques ne doivent pas craindre de s’exposer. Il ne s’agit pas de plaire, en vue d’on ne sait quelle élection, mais d’exercer ses prérogatives. Ould Kablia, le ministre de l’Intérieur, qui a enfin donné des statistiques sur le nombre de morts et de blessés, a tort de confier au quotidien «AlgérieNews» qu’il n’appartenait pas à son département de dire «qui est habilité ou pas à parler».

Car c’est son département qui est justement le premier habilité à parler. Pas pour faire des analyses ou des interprétations, et donner l’air de s’en laver les mains, mais pour exprimer sa présence solidaire aux côtés de la police comme un chef militaire parmi ses troupes.

Pour dire aux citoyens, à travers sa propre personne, que l’Etat est là, avec sa force, pour le défendre contre toute atteinte. Pour avertir les émeutiers des peines encourus en raison de leur comportement. Pour dire aux parents de s’impliquer dans le retour au calme.

Et rappeler à tous que la loi ne tolère, sous aucun prétexte politique ou autre, des dépassements de cette nature. Il est dans son rôle et dans sa fonction. Exercice difficile dans la situation algérienne? Pas si sûr. S’il ne faut ni dramatiser ni politiser, il y a lieu de s’appuyer en toutes circonstances sur l’idée essentielle que c’est la loi qui gouverne et non les émeutes.

Questions

Mais si les responsables concernés doivent se montrer fermes au moment où la violence a gagné les rues, et qu’il s’agit de faire appliquer la loi, il reste à l’Etat de réfléchir sur ce que signifie tout cela. Pourquoi cette colère au juste et que veut-elle dire ?

Comment se fait-il que des mesures soient prises sans que leur impact ou leur opportunité aient été suffisamment examinés ? Comment comprendre l’absence de la société civile, de relais, des structures étatiques dédiés aux jeunes, dans les milieux urbains comme Bab el Oued, de la nullité des partis au pouvoir ou dans l’opposition dans l’encadrement effectif des jeunes etc. ?

Pourquoi les parents d’émeutiers n’ont-ils pu être impliqués dans le retour au calme ? Que signifie l’absence de tout sens civique chez ces émeutiers ? Pourquoi l’école ne semble leur avoir rien appris ? Que font les mosquées exactement pour inculquer le civisme parmi les jeunes citoyens ? Ce sont là, entre autres, des questions qui se posent et qui interpellent le sociologue comme le politologue – si l’Etat daigne au moins favoriser des travaux de sens ou même les commanditer.

Conclusions

Nous savons tous à présent que la culture de l’émeute existe en Algérie. On vandalise, on coupe les routes, on agresse policiers et citoyens, pour obtenir quelque chose. Personne ou très peu de gens condamnent cela. Les autorités encouragent ce phénomène par leur silence, leurs réactions, et leur absence d’initiatives. La communication multiplie les chiffres de réalisations, qui pour beaucoup restent abstraits, sans se donner la peine de cibler l’auditoire auquel elle s’adresse.

A écouter les discours officiels, nous avons le sentiment que les officiels communiquent entre eux, y compris quand ils évoquent des problèmes du peuple. Tout est question de sens à donner aux faits.

Aïssa Khelladi