La flambée des prix se chargera de mettre à nu les tares d’une gestion tatillonne
Des promesses non tenues aux pirouettes pour expliquer la dérégulation des marchés, la flambée des prix, le phénomène de la spéculation… le ministre du Commerce a finalement contribué à la consécration de l’informel et du milieu des affaires.
Selon toute vraisemblance, l’un ne va pas sans l’autre. Les grands groupes qui ont le monopole des produits de consommation de base (huile, sucre, pâtes…) servent de mamelle au secteur de l’informel. La conjoncture s’y prête. La connexion entre ces deux «territoires» est établie. Benbada l’a clairement reconnu. Les émeutes du mois de janvier 2011 en témoignent. Pour expliquer les raisons de la colère des jeunes Algériens qui se sont révoltés contre la hausse des prix de certains produits alimentaires de base (huile et sucre) qui ont provoqué la mort de deux citoyens et de plus de 400 blessés, le ministre du Commerce avait imputé à l’époque cette fulgurante hausse des prix «aux pratiques illégales de certains commerçants qui ont vendu les anciens stocks à des prix élevés et injustifiés, notamment après que les producteurs eurent imposé aux grossistes de nouvelles conditions pour les amener à se conformer aux lois en vigueur».
Une autre manière de dire que le ver est dans le fruit. Qu’a fait le successeur d’El Hachemi Djaâboub pour tenter de l’extirper? Pour un retour à la normale, il n’a ni plus ni moins prôné de surseoir à la loi qui interdit de traiter avec les commerçants de gros ne possédant pas de vrais registres du commerce. «Il a été convenu d´oeuvrer en faveur d´un règlement de la crise, les opérateurs ont accepté d´annuler les nouvelles conditions imposées en début d´année aux marchands de gros», avait indiqué un communiqué du ministre répercuté par une dépêche de l´APS datée du 6 janvier 2011. La boucle est bouclée et les accointances entre les différents acteurs de cette crise identifiés. Contre toute attente, le ministre du Commerce allait prendre une décision qui fera la part belle à ces mêmes grossistes qui ont jeté de l´huile sur le feu et à qui il avait jeté la pierre. Benbada ne retiendra pas la leçon. Il n’en restera pas à un errement près.
Le feuilleton ne fera que commencer. De fil en aiguille, la flambée des prix se chargera de mettre à nu les tares d’une gestion tatillonne qui fait la part belle aux 65% de spéculateurs qui ont la mainmise sur le marché des fruits et légumes, ainsi qu’à ceux qui dictent leur loi dans d’autres secteurs de la consommation. Benbada banalise l’informel.
Benbada est-il ministre de la République?
Le ministre du Commerce s’est sans doute tiré une balle dans le pied dans une de ses toutes dernières sorties médiatiques pour sa plaidoirie en faveur des entreprises algériennes désirant s’installer à l’étranger. Parmi elles figurent celles qui ont contribué au déclenchement des émeutes du mois de janvier 2011 et à mettre de l’huile sur le feu.
Comment un commis de l’Etat, qui est censé veiller à la protection du pouvoir d’achat des consommateurs, se retrouve dans la position de défenseur des intérêts d’hommes d’affaires qui disposent d’un monopole quasi absolu dans leur secteur (huile, sucre, pâtes…)?
La question se pose légitimement. Benbada défend-il les intérêts de la République ou ceux d’hommes d’affaires qui se sucrent sur le dos des Algériens? Le FMI avait pourtant prévenu au sujet de la situation de monopole qui a presque conduit à l’irréparable au début de l’année 2011.
«Les autorités devraient promouvoir la concurrence dans le secteur de la distribution des produits alimentaires et éviter un comportement de potentiel monopole, qui pourrait avoir été l´un des facteurs de la récente flambée des prix», avait conseillé le chef de la mission du Fonds monétaire international à Alger, Joël Toujas-Bernaté, dans un entretien au magazine interne de l´organisation internationale IMF Survey. Comment le ministre du Commerce explique-t-il les raisons de la flambée des prix.
«L’examen rapide de la situation du marché au stade de la distribution en gros et au détail des divers produits nous renseigne sur la nature de la crise que nous avons connue et explique la différence entre les prix dans les marchés de gros et les marchés de détail», avait-t-il déclaré le 25 juillet à la presse. Qui a donc pu provoquer une telle situation? «La disparition de la grande distribution, assurée par les anciennes Galeries, Edipal, Edied, Edimco, qui alimentaient l’ensemble des points de vente en tous produits, a laissé place à un système d’approvisionnement déstructuré, improvisé et échappant à tout contrôle», a-t-il expliqué. C’est là que s’est enraciné le secteur de l’informel qui brasse pas moins de 40% de la masse monétaire en circulation. «La sphère informelle contrôle 40% de la masse monétaire en circulation, environ
13 milliards de dollars», confirme Abderrahmane Mebtoul, expert international en management. Benbada ne le dit pas.
Les Algériens attendaient du concret
Bien au contraire, il banalise un secteur qui représente un manque à gagner de «200 milliards de centimes par an», avait déclaré Salah Souillah, président de l’Ugcaa, (Union générale des commerçants et artisans algériens), lors d’un point de presse qu’il a organisé le 17 juillet 2012, au siège de son organisation à Alger. Ce système que l’ex-ministre de la Petite et moyenne entreprise et del’Artisanat «résume à des pseudos marchés érigés au milieu d’habitations, sur des terrains vagues, et surtout dans des lieux incommodes et dangereux tels que les rez-de-chaussée des immeubles, les vides sanitaires, les routes nationales, les parkings de cités, les cages d’escaliers et trottoirs», dira-t-il tout en lui trouvant paradoxalement des vertus. Il constitue «un grand recruteur de main-d’oeuvre depuis les deux dernières, décennies», a-t-il reconnu.
Les Algériens attendaient du concret. Le ministre du Commerce leur a servi des discours annonciateurs de promesses sans lendemain. Mustapha Benbada avait pourtant peaufiné un plan antispéculation qu’il avait pratiquement annoncé en grande pompe. «Toutes les conditions sont réunies pour assurer une disponibilité des différents produits durant ce mois sacré, qu’il s’agisse des céréales, de la semoule, de la farine, des légumes secs, du lait et de ses dérivés, des viandes, des fruits et des légumes frais… les marchés enregistreront une abondance des produits à des prix abordables pour le consommateur», avait déclaré, le 28 juin 2012, Mustapha Benbada, lors d’un point de presse, en marge de la visite qu’il a effectuée dans la wilaya de Mostaganem (ouest du pays) avant d’assurer que «6000 agents répartis entre 3000 brigades seront mobilisés à l’échelle nationale durant le mois sacré de Ramadhan pour assurer le contrôle des marchés et les pratiques commerciales et veiller à l’hygiène des lieux et à la sécurité des produits». La suite et l’épilogue de ce mauvais feuilleton sont connus.
Des promesses non tenues aux pirouettes pour expliquer la dérégulation des marchés, la flambée des prix, le phénomène de la spéculation…le ministre du Commerce aura finalement contribué à la consécration de l’informel et du milieu des affaires.