A l’heure des innovations technologiques et de la géo-localisation, des dizaines de milliers de rues et lieux restent anonymes. Il n’y a pas une ville où le phénomène ne fait pas tâche.
Comme la nature a horreur du vide, il est devenu courant qu’en l’absence de décision des pouvoirs publics, les citoyens prennent l’initiative et nomment eux même leur cités. Le cas de la capitale de l’Est est révélateur. Ayant hérité de deux nouvelle villes ou près de 300 000 âmes y vivent déjà, la toponymie du nouveau Constantine est carrément vierge.
Souika, la Casbah, Saint Jean, Faubourg Lamy, New York ou encore le Caire, des dénominations de cités que celui qui aura vécu un laps de temps à Constantine aura visité au moins une fois. Si certains quartiers de par leur ancrage dans la mémoire collective continuent de raviver la flamme des nostalgiques de la ville des Ponts, d’autres, à l’image de New York ou le Caire complètement rasés ont laissé un vague espace à reconstruire.
Une toponymie souvent héritée de la France coloniale ou inventée péjorativement par les habitants eux-mêmes de cités érigées à la hâte. Priés de partir après des années passées dans des lieux dont beaucoup y auront vu leur seul milieu identitaire, il est devenu presque instinctif, pour certains citoyens, en déménageant de prendre dans les bagages les noms de leurs cités.
C’est ainsi qu’en l’absence d’une stratégie de dénomination des nouvelles cités, les opérations de relogement et de débidonvillisation tous azimuts opérés ces dernières années par les pouvoirs publics, ont fait que seul le lieu de provenance des nouveaux relogés allait apposer l’identité de leur nouvelle cité.
A Constantine, où les deux villes nouvelles Massinissa et Ali Mendjli ont vu pousser des milliers de bâtisses et des centaines de rues restées sans appellations, il est difficile presque impossible pour le visiteur de se localiser.
Les seuls témoins ou repères à même d’orienter « l’hôte » sont des concertations portant les noms de cités cirtéennes à l’image des cité Souika, La Casbah, New York, le Caire, noms donnés à des Unités de voisinage (UV) rebaptisés par leurs habitants dans le seul but de délimiter leur territoire.
Le cas de la capitale de l’Est est loin d’être unique. Dans plusieurs villes algériennes, rares ont été les concentrations urbaines nommées aussitôt inaugurées. Des milliers de nouvelles structures urbaines ayant vu le jour durant les cinquante dernières années n’ont toujours pas de noms.
Si, entre 2014 et début 2016, 100.000 rues et places publiques à travers tout le territoire ont été baptisées, ils seraient en effet selon des chiffres données par des média près de 80 000 rues, places et lieux publics anonymes.
Des logements AADL, sociaux ou promotionnelle publics et privés dont certains ont vu le jour il y a pourtant plus d’une vingtaine d’années portent à ce jour les noms d’entreprises ou promoteur réalisateurs si ce n’est le nom du propriétaire du terrain sur lequel a été bâti le projet ou encore un numéral faisant référence au nombre d’unités construites sur le site.
La commission interministérielle installée il y a plus d’une année par le gouvernement reprend donc son bâton de pèlerin, pour, annonce-t-on, sillonner tout le territoire dans le but de finaliser l’opération de dénomination des lieux à même de permettre l’établissement d’un fichier national des adresses, comme annoncé en fin de semaine par Mme Fatiha Hamrit, directrice de la gouvernance auprès du ministère de l’Intérieur et des Collectivités locales.
En marge d’une visite d’inspection à l’Agence d’aménagement et d’urbanisme de la wilaya d’Alger, par des membres de la commission ministérielle mixte chargée de suivre le dossier de dénomination des rues, places et lieux publics, Mme Hamrit a précisé en effet que : « le parachèvement de l’opération d’octroi d’adresses aux citoyens à travers le territoire permettra d’élaborer un fichier national des adresses ».
Lancée depuis une année à travers le pays, l’opération de numérotation des habitations et des institutions et de dénomination des places et lieux publics facilitera l’opération de recensement national de la population prévue en 2018.
La commission interministérielle en charge du suivi de ce dossier est composée de représentants des ministères de la Défense nationale, des Moudjahidine, des Travaux publics, de l’Habitat, la Poste et Télécommunications, l’ASAL, des représentants du Haut commissariat à l’amazighité et le Conseil supérieur de la langue arabe.
Une représentation qui semble en tout cas obéir aux impératifs de donner le plus tôt des noms à des cités incognito à l’heure de l’invasion technologique qui fait que l’Algérie a été distancée dans ce domaine par ses voisins en terme de géo-localisation. Une technique qui en plus devrait obéir à des normes internationales qui permettraient de donner une approche universelle aux lieux et places.
L’opération devrait aussi permettre de rendre plus aisé le travail des services de sécurité et celui de la protection civile qui souvent ont été confrontés au manque de repères au cours de leurs interventions.
Reste que cette opération lancée il y a plus d’une année qui se trouve précipitamment relancé et qui a déjà permis de mettre des plaques nominatives portant les noms de valeureux martyrs ou dates historiques à des lieux flambants neuf, ne laisserait certainement pas indifférents des opportunistes de tout bord tentés de « coller » à leur guise des noms de pseudo-témoins d’une des époques qu’aura vécu le pays. Et, c’est justement le rôle de la commission mixte.