Dépréciation du dinar, De mauvais jours annoncés pour les consommateurs

Dépréciation du dinar, De mauvais jours annoncés pour les consommateurs

Le dinar suscite encore la po lémique. Subissant depuis plusieurs années les contrecoups d’une inflation galopante, d’une économie dont le socle repose exclusivement sur la rente ou l’exportation de l’or noir et d’autres facteurs encore externes liés au système monétaire international notamment, le dinar se fait de plus en plus petit devant les devises, particulièrement l’euro et le dollar.

Et cette récente «dépréciation» du dinar, une mesure appliquée depuis juillet dernier et reconnue publiquement par les autorités algériennes, évaluée à près de 10% (désormais, un euro coûte officiellement 112 dinars) est un niveau record jamais atteint par le dinar algérien face à la monnaie unique européenne qui fait gronder tous les milieux des opérateurs économiques locaux, lesquels annoncent une hausse systématique et tout aussi conséquente des produits et services importés, surtout que l’Algérie importe massivement tous les produits qu’on peut imaginer.

Aussi, on craint «le renchérissement des biens d’équipement importés ou encore des matières premières nécessaires au fonctionnement de l’appareil productif».

Les Algériens devraient-ils, donc, se préparer à payer plus cher encore leurs produits dans les prochains mois, soit les produits destinés à la consommation ou les matières premières destinées aux usines ?

«C’est une évidence, cela a toujours été le cas lors des dépréciations du dinar qui ont eu lieu durant les vingt dernières années», estime D.R., directeur d’une agence de la BDL, non sans souligner que «le recours à cette dépréciation n’est pas fortuit, car depuis le début de l’année 2013 l’Algérie est entrée, en raison de l’augmentation sensible des importations, dans une période de déficit de la balance des paiements et de diminution des réserves de change».

D’autres industriels versent dans le même sens des explications «pessimistes », soutenant que cette énième dépréciation du dinar devrait provoquer une hausse des produits de première nécessité.

Professionnels et experts en matière économique présagent, donc, d’une inflation qui se ressentirait dans les prochains mois, surtout pour les produits importés, dont les céréales, les légumes secs et les médicaments à cause du remboursement référentiel appliqué par la CNAS.

La dépréciation du dinar aura pour conséquence de réduire le pouvoir d’achat des Algériens déjà en constante érosion, estiment en choeurs pour leur part les importateurs. Avec des réserves de change qui représentent près de quatre années d’importation, la «dévaluation rampante » du dinar par rapport à l’euro apparaît comme un paradoxe et un «fardeau» difficile à porter pour nombre d’acteurs économiques.

Pourtant, la loi de finances 2014 qui a pris en compte, certainement, cette dépréciation du dinar, prévoit une cagnotte de 400 milliards de dinars (5 milliards de dollars) destinée au soutien des prix de différents produits de première nécessité.

Sans parler des «subventions implicites» chiffrées pour la première fois par la loi de finances 2014 et qui bénéficient d’abord aux producteurs nationaux (à travers les exonérations fiscales) pour une valeur estimée à plus de 12 milliards de dollars et aux carburants pour la bagatelle somme de 8 milliards de dollars.

Les autorités algériennes ont, à travers ce dispositif financier, clairement choisi qu’il vaut mieux subventionner directement la production locale et les couches sociales défavorisées, plutôt que d’aller vers l’amélioration du pouvoir d’achat par une appréciation du dinar, dont les effets pervers seraient catastrophiques.

Comment peut-on, alors, être si pessimiste et prévoir une dure épreuve pour les consommateurs avec tous ces mécanismes qui atténuent «théoriquement» les effets directs de la dépréciation ?

En réalité, selon certains avis, «les partisans d’un dinar fort voudraient, sans le dire, et quelquefois même sans s’en rendre compte eux-mêmes, consommer 100% de la rente pétrolière ainsi que les réserves de change que nous avons constituées ces dernières années grâce à des prix pétroliers élevés. C’est le résultat automatique auquel aboutirait en quelques années le maintien de la valeur du dinar à sa parité actuelle».

C’est également la raison pour la quelle la plupart des économistes algériens considèrent que «la vraie valeur du dinar est celle du marché parallèle ». Tant il est vrai que beaucoup de voix «politiciennes» se sont élevées et continuent de le faire aujourd’hui pour exploiter à «fonds la caisse» les réserves en devises.

Abdelkrim Zerzouri

LES AUGMENTATIONS DES PRIX ONT DÉJÀ COMMENCÉ

Pour un opérateur économique se déployant dans le domaine des cosmétiques, une dépréciation du dinar de l’ordre de 9% par rapport aux monnaies étrangères, notamment l’euro et le dollar, veut dire une inflation de cet ordre. «Un taux d’inflation de cet ordre est digne des républiques bananières», lancera-til, en précisant qu’il pèse bien ses mots.

Dans les autres pays, «la dépréciation de la monnaie, et partant l’inflation, se calcule à 0.5 ou 1 ou à la limite 2 mais pas 10 d’un coup», jugera-t-il. Il émettra un «ouf» de satisfaction quand nous lui apprenons que ces chiffres sont avancés par Karim Djoudi, le ministre des Finances.

«Parce que nous, nous sommes habitués à travailler avec les chiffres avancés par le CNIS» (Centre des statistiques des Douanes), remarquera-t-il. Pour notre interlocuteur, ce fort taux d’inflation va se répercuter incontestablement sur les prix des produits importés, entre autres.

Dit simplement, la ménagère, le chef de famille, le simple citoyen payeront plus cher la plupart des produits, notamment de base, puisqu’ils sont importés et facturés en monnaies étrangères. Déjà, on relèvera la hausse des prix des légumes secs.

Un autre importateur s’interrogera sur les retombées de cette dévaluation du dinar sur le marché de la monnaie parallèle, devenu marché de recours même de certaines grosses entreprises étrangères.

«A partir du début de la semaine, on assistera à d’autres parités. Les cambistes vont essayer de tirer profit de la nouvelle donne. D’autre part, il y a probablement des acquéreurs qui doivent faire le plein des devises sur ce marché en ce moment même».

Se déclarant d’accord avec certaines analyses avancées par des économistes, un autre opérateur s’interrogera sur l’intérêt économique de cette dévaluation de la monnaie nationale. «Pousser les Algériens à se serrer la ceinture, puisque la facture des importations est appelée à dépasser le seuil fatidique des 60 milliards de $ ?», s’interroge notre interlocuteur.

Pour lui, «les Algériens et à commencer par les membres de l’exécutif chargés de ce dossier doivent se poser juste une petite question : comment en milieu des années 90, c’est-à-dire il y a dix ans tout au plus, l’Algérie importait pour 10 milliards de $ et comment cette facture s’est multipliée en moins de dix ans ?». Refusant d’avancer des explications, en spécifiant «que ce n’est pas de mon ressort», il estimera que «ces chiffres cachent des réalités difficiles à admettre».

Lesquelles ? «Le taux des fuites des capitaux a atteint des seuils qui, désormais, menacent la sécurité nationale», lance- t-il. Et en recourant à ce genre de mesures, en l’occurrence la dévaluation de la monnaie nationale, «l’Etat démontre son incapacité de lutter efficacement contre cette saignée des devises».

Il remarquera qu’avant d’être remercié, Ahmed Ouyahia, alors Premier ministre, avait soulevé cette question dans des termes alarmants. En tout cas, nos interlocuteurs estiment qu’une inflation de cette taille aura des conséquences sur le quotidien des larges couches sociales. «Une mesure porteuse de risques », nous disent plus d’un.

Dans un premier temps, elle va annuler tous les effets des augmentations salariales, dira le plus optimiste de nos interlocuteurs. Par ailleurs, des augmentations dans les prix des médicaments sont attendues, suite à la dévaluation du dinar. Les entreprises du médicament connaîtront, sans aucun doute, des pertes importantes qui se répercuteront sur les prix.

Des perturbations dans l’approvisionnement en produits pharmaceutiques sont attendues, estiment des observateurs. Et ce sont les malades qui paieront la facture, ceci en attendant le réajustement de la valeur du dinar. A noter également que les prix des produits alimentaires connaissent déjà une hausse de 25%, qui risque de s’alourdir davantage.

Les produits touchés par cette augmentation sont essentiellement les légumes secs importés. Ainsi, les haricots secs sont actuellement cédés à 250 et 260 DA le kilo, soit une hausse de 50 DA. Les lentilles ont aussi connu une hausse, quoique légère, estimée en moyenne à 10 DA par kilo.

D’autre part, les prix des céréales et des légumes secs devront connaître d’autres augmentations jusqu’à 20%, estime-t-on. Rien n’indique, donc, que l’inflation va baisser en 2013, comme déclaré récemment par les pouvoirs publics, sachant que le taux de l’inflation annuelle, de l’ordre de plus de 8%, avoisine celui de la dévaluation du dinar, estimée à environ 9%.

Ziad Salah