Demolition des constructions illicites au douar El-hachem, à Mostaganem : Qui a tort et qui a raison ?

Demolition des constructions illicites au douar El-hachem, à Mostaganem : Qui a tort et qui a raison ?

Une chose est sûre, on n’a pas forcément le même avis sur ce qui s’est passé au douar Hachem, la veille de la démolition des constructions illicites. Parfois on parle de choses qui se sont produites des semaines, des mois ou des années avant. Chacun campe sur ses positions et pense avoir de bonnes raisons. Si on cherche à savoir qui a tort et qui a raison, tout se mélange. C’est difficile de juger. Mais un retour sur l’événement pour tenter de comprendre pourquoi les pouvoirs publics ont pratiqué la politique du bulldozer, nous ouvre plusieurs interrogations sur l’application de la loi de l’urbanisation qui n’a pas encore fait son chemin dans les esprits des citoyens ! Enquête.

Retour sur un événement qui a récemment défrayé la chronique. La démolition des constructions déclarées illicites au  douar El-Hachem. Un retour  sur le terrain pour tenter de comprendre pourquoi  la réglementation en matière de construction et d’urbanisme semble avoir  du mal à faire son chemin dans les esprits. Et pourquoi  les moyens de prévention du phénomène de la construction illicite manquent d’efficacité et n’arrivent pas à contenir le phénomène pour ne laisser d’autres choix, au final, quand  c’est déjà trop tard,  que le recours à la main lourde et aux bulldozers.  Avec les conséquences que l’on connaît. Des pertes matérielles pour tout le monde et parfois, des drames….

Des citoyens témoignent…

Douar El-Hachem, dimanche dernier, sous un soleil de plomb. La poussière soulevée par la démolition des constructions déclarées illicites, entreprises il y a quelques semaines,  est déjà retombée. Pour de bon ? Impossible de le dire avec certitude. Ce qui est sûr par contre, c’est que, sur les lieux, la visibilité est presque infinie maintenant  et les gens vaquent à leurs occupations comme d’ordinaire. Certains font ce qui reste encore possible à faire sur une terre « agricole » qui ne produit plus rien : construire des habitations. Pour le visiteur de quelques heures, cette terre est devenue « constructible » par la force des choses et par la disponibilité de l’eau, de l’électricité et de la route à proximité. Dans la zone où a eu lieu la démolition, un citoyen  a dégagé les gravats et s’est remis à nouveau à creuser et à installer ses poteaux au même endroit. Encore un défi lancé à l’administration et aux élus? « Non », répondent les ouvriers rencontrés sur place.  « L’administration et l’APC sont revenues à de meilleurs sentiments et une solution a été trouvée », lance l’un d’eux,  avec un sourire au coin des lèvres. Revenant sur la démolition et ses raisons, certains habitants du douar pensent que pour quelques constructions, « c’est à cause du fait qu’elles soient érigées sur une grande canalisation d’eau ». Mais pour le reste, ils disent ne rien comprendre. Selon eux, « ces gens ont un titre de propriété, ils se sont mis à construire et personne n’est venu les inquiéter jusqu’au jour de la démolition. La disponibilité à cet endroit de  l’électricité, de l’eau et de la voie bitumée a mis ces gens en confiance et les a encouragés en quelque sorte  à aller de l’avant dans la réalisation de leurs projets de construction ». Non loin d’un amas de ruines, une habitation de plusieurs niveaux est intacte. Elle est branchée à l’électricité. « Epargnée », selon nos interlocuteurs le jour de la démolition, « pour éviter un drame ». « Une famille s’était installée à l’intérieur le jour de la démolition et avait refusé de la quitter, mettant  en échec l’opération »,  expliquent-ils.  Mais, les drames, il y en a eu malgré tout, selon nos mêmes interlocuteurs.

La problématique des propriétés indivises

A la commune de Sayada, un agent, originaire de douar El-Hachem, nous explique pourquoi, selon lui,  les terres gagnées progressivement par le béton dans ce douar posent problème et ne peuvent ni être cultivées , ni devenir constructibles légalement dans un proche avenir. « Il s’agit de propriétés privées indivises (chouyou3). Pour les extraire de cette situation, la procédure est lourde, difficile et coûteuse. Elle peut s’éterniser aussi. Il faut également que tous les héritiers soient connus et participent aux frais, ce n’est pas chose aisée.  Au bureau d’un notaire bien connu à Mostaganem, on nous confirme que  « la fredha d’une propriété indivise est d’une complexité impossible. Elle est d’abord longue et fastidieuse. En plus, les  surprises sont souvent au rendez-vous. Une fois la procédure terminée et le partage fait, un jour ou l’autre, peut sortir de nulle part un héritier oublié pour tout  remettre  en cause ». « C’est pour cette raison que nous nous limitons à ne traiter que les cas s’étalant au plus sur deux générations successives ».

Le partage de la terre loin des labyrinthes administratifs

Pour notre agent de la commune de Sayada, « c’est à cause de cette problématique  que, pour les grandes parcelles de terre, des  héritiers en sont arrivés à opérer un partage à l’amiable, loin des tracasseries administratives, en recourant à un expert, et  chacun a  commencé à exploiter  sa part pour lui-même, pour planter des arbres ou pour construire sa maison. Construire sans permis de construire bien entendu, faute d’acte de propriété notarié,   mettant en conséquence les élus locaux et l’administration devant une situation embarrassante… Personne n’est assez dupe pour mettre son doigt dans l’engrenage, dans un environnement social aussi complexe, et de surcroît en bute à un problème d’héritage inextricable…».

Juridiquement, leurs actes de propriété équivalent un bout de papier d’un vieux journal

Il poursuit, « maintenant pour ce qui est des petites parcelles, dont le partage conduit à des parts insignifiantes, inexploitables à titre individuel, les héritiers visibles ont préféré vendre toute la propriété commune et se partager le produit de la vente. A des prix défiant toute concurrence sur le marché du foncier. Conséquences, des gens ont accouru de divers horizons, alléchés par les prix,  pour tomber en fin de compte dans le panneau….  Juridiquement parlant, les titres de propriété qu’ils détiennent valent à peine ce que vaut un bout de papier d’un vieux journal. Ils ne leur  donnent droit à rien. L’administration et les élus  actuels n’ont pas lésiné alors sur les moyens pour traiter leur cas et  rappeler la primauté de la loi. Les choses ont été pliées ainsi en cinq sec, sans incidences remarquables…. En tout cas, ils  ne pouvaient pas faire autrement avec “ce cadeau de bienvenue” sur les bras “offert” par leurs prédécesseurs …. ».

Le PDAU, ce que ça vaut….

Pour leur part, les  élus de l’APC de Sayada ne jurent que par la loi et ses vertus. Pour eux,  « elle a été appliquée dans toute sa rigueur en respectant la procédure d’usage. Les constructions incriminées ne sont pas incluses dans le périmètre du  PDAU, elles se trouvent sur une terre agricole. Les concernés ont été destinataires de plusieurs mises en demeure, ils se sont entêtés. Ils ont joué la carte du fait accompli et de la régularisation ultérieure, ils ont perdu à ce jeu ». Ils ont insisté toutefois pour signaler que « les citoyens qui ont fait l’objet des démolitions n’ont rien à voir avec les mal logés et ceux  en quête d’un logement recensés dans la commune ». Selon eux, « ces cas sociaux sont pris en charge dans le cadre du social, du FONAL et aussi du RHP (Résorption de l’Habitat Précaire ». Ils reconnaissent, par ailleurs, implicitement,  que les mesures préventives contre le phénomène de la construction illicite ne sont pas à la hauteur désirée. Dans ce sens, ils disent « travailler sur  une brigade de veille, qui aura en permanence le phénomène dans son viseur ».Un élu a, quant à lui, signalé «  les limites des instruments d’urbanisme devant la propriété indivise ». Pour lui, « la levée du caractère agricole de ces terres privées et  leur intégration dans le PDAU ne résoudra pas le problème de sitôt. La question de la propriété effective restera toujours pendante, empêchant du coup toute mise en branle immédiate de son urbanisation et son utilisation d’une manière légale »…

La vulgarisation des instruments d’urbanisme

Est-il possible de voir les instruments d’urbanisme (POS et PDAU) de la commune de Sayada ? Pour le secrétaire général, « il faut aller les voir à  l’URBOR –Mostaganem ». A l’URBOR, ils disent n’être qu’un bureau  d’études et qu’il faut plutôt s’adresser à la Direction de l’Urbanisme et de la Construction. Au niveau de la DUC, il faut d’abord l’aval du DUC. Un DUC indisponible toute la journée, le jour de réception hebdomadaire des citoyens. Un parcours du combattant vain au final. Comme quoi, familiariser le citoyen avec ces instruments à caractère public, l’outiller  pour ne pas tomber dans le  piège des titres de propriétés bidons et leurs conséquences néfastes, vulgariser ces instruments, et inculquer, à large échelle,  dans les mentalités le sens des documents officiels et  du juridiquement correct en matière d’urbanisme et de construction etc., ce n’est pas pour demain la veille….

Mokhtar Aicha