Démographie galopante et aggravation des flux migratoires d’ici 2050: Risque d’une grave crise au Sahel, selon Nadji Safir

Démographie galopante et aggravation des flux migratoires d’ici 2050: Risque d’une grave crise au Sahel, selon Nadji Safir
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L’Algérie se retrouve face à plusieurs défis, tant économiques, sociaux, politiques, que sécuritaires et environnementaux.

Le sociologue Nadji Safir, que nous avons rencontré récemment, s’est exprimé sur la question démographique et ses conséquences. Se basant sur la courbe ascendante des naissances (plus d’un million de naissances annuellement) dans notre pays, et sur celle de l’espérance de vie (plus de 77 ans), notre interlocuteur a confirmé que la population algérienne continuera à augmenter jusqu’à atteindre les 55 millions d’habitants en 2050.

L’ancien chercheur à l’Institut national des études de stratégie globale (INESG), actuellement consultant international, a en outre abordé les contraintes que rencontre le pays, notamment deux d’entre elles, qualifiées de “principales”, à savoir : la question du climat qui affecte directement l’Algérie, via les changements climatiques et qui place le pays dans une situation de “stress hydrique qui va s’aggraver”, d’une part, et la démographie, notamment celle du Mali et du Niger, de l’autre. Ces deux pays, dira-t-il, sont situés au Sahel et enregistrent des taux de fertilité les plus élevés. À l’horizon 2050, ils réuniront, à eux seuls, quelque 115 millions d’habitants, dont près de 70 millions au Niger. Autrement dit, l’Algérie se trouve dans la région sahélienne, déjà vulnérable, qui sera concernée directement par la hausse des besoins en produits de toutes natures, surtout par celle des besoins céréaliers.

Ce qui, de l’avis de M. Safir, renvoie aux questions d’autonomie alimentaire et semencière, mais aussi à la problématique des flux migratoires, pouvant déclencher une crise “beaucoup plus grave” que celle que vit actuellement l’Europe. Or, que dit l’Organisation onusienne pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) pour le seul accès aux semences ? C’est “l’enjeu-clé” du défi alimentaire, la voie garantissant des moyens d’existence durables et qui mettra fin à la faim, en particulier dans les pays en développement. En revanche, ce que ne dit pas la FAO, c’est que de “véritables enjeux financiers” visent aujourd’hui la domination du marché mondial de la semence. Des experts en agronomie, des organisations paysannes, des associations de la société civile et des individus, à travers le monde, se sont expliqués sur ce sujet, affirmant que cette logique s’est renforcée particulièrement depuis la création de l’OMC, en 1995, se traduisant par la promulgation de lois accordant aux entreprises des droits de propriété sur le vivant. En un mot : il est possible désormais de privatiser des gènes, des cellules, des végétaux et des semences, par le biais de “brevets”, de “droits d’obtenteur” ou de “lois sur la protection des obtentions végétales”.

LG Algérie

“Tout le vivant va être le monopole de revendeurs impitoyables”. Le Réseau des organisations paysannes et des producteurs agricoles de l’Afrique de l’Ouest (Roppa), pour sa part, a alerté sur “l’offensive combinée des acteurs du secteur privé et de la poussée des États pour élaborer des lois semencières en Afrique”, afin de “privatiser le patrimoine semencier”. Face à l’offensive, le Roppa a mesuré l’importance de cet enjeu “majeur” dans les discussions (négociations) sur l’agriculture, l’élevage, la pêche et la foresterie. Même le secteur des semences animales y serait concerné “dans l’ignorance la plus totale”.

Tout commence par une simple graine…

Ces dernières années, beaucoup a été écrit sur la poignée (une dizaine) de multinationales semencières (Monsanto, Bayer, Limagrain, Pioneer, Vilmorin, Syngenta…), qui contrôlerait 55 à 75% du marché mondial des graines. De même que sur le “vaste” dispositif réglementaire (national, régional et international) qui tend de plus en plus à réduire le droit des paysans “à échanger et à reproduire les semences”. De son côté, l’Algérie a lancé plusieurs projets, notamment le PNDA, pour améliorer sa sécurité alimentaire. L’état des lieux, étudié et réexaminé, dans des rencontres nationales, des colloques régionaux et internationaux, a donné lieu à des propositions/recommandations concernant les incidences de la croissance urbaine sur les terres arables et les comportements alimentaires, la dégradation des sols et l’appauvrissement de la biodiversité, le mode de production idéal pouvant assurer une alimentation durable.

Idem pour les questions relatives aux changements climatiques et aux ressources en eau. Mais quels sont leurs effets sur le terrain ? En cette période de baisse des cours du pétrole, l’économie nationale a du mal à se relever de sa dépendance vis-à-vis de l’étranger (plus de 9 milliards de dollars seulement pour les produits alimentaires importés en 2015). Elle doit aussi faire face aux fluctuations des prix des matières premières agricoles sur le marché mondial, ainsi qu’aux crises cycliques qui frappent certaines filières. Cette année, l’État s’est lancé dans une course contre la montre pour assurer “l’autosuffisance, accroître la production laitière et réduire les crises, d’ici 2019”.

Il s’agit d’une nouvelle “stratégie” qui porte une attention particulière aux agriculteurs, notamment ceux du Sud, qui vise à consolider “le développement diversifié hors hydrocarbures” avec pour “filières prioritaires” : le blé dur, les semences fourragères, les semences de tomate et de pomme de terre.  Les efforts fournis et l’accompagnement financier ont, certes, généré des améliorations, mais les réponses données à ce jour restent insuffisantes pour garantir l’objectif de sécurité alimentaire.

Dans le nouveau dispositif mis en place, peu de choses sont dites sur cette politique qui, de l’avis des experts agronomes, devrait s’adosser sur “la diversification” des semences alimentaires, le soutien “à la création et à l’innovation variétales” et l’intégration des “facteurs de durabilité” dans toutes les politiques agricoles. D’ailleurs, ces mêmes experts rappellent que l’Algérie et les autres États avaient été invités, depuis le Sommet de la Terre de Rio de Janeiro, en 1992, à mettre en place “les politiques et les jurisprudences nécessaires”, afin de protéger la souveraineté nationale en matière de ressources génétiques et phylogénétiques. Ils soutiennent en outre que notre pays a signé plusieurs traités internationaux, à l’exemple de la Convention sur la diversité biologique et du traité sur les ressources phylogénétiques, qu’il s’est même engagé dans la voie ardue du transfert de biotechnologie. L’Algérie a-t-elle mesuré tous les enjeux ? Comme le dit si bien l’experte agronome Amina Younsi, “l’enjeu a commencé par une simple graine et finira dans les accords de commerce Adpic de l’OMC, que l’Algérie est en train de négocier”. Dans la bataille actuelle, il n’est plus question de bouder la semence “made in Algeria”, mais de la protéger !