Par Ali Titouche
Les mesures introduites en 2017, qui mettaient fin aux retraites proportionnelles sans condition d’âge, conçues initialement pour renforcer la trésorerie de la CNR, n’ont fait, visiblement, qu’aggraver la situation.
Pour financer ses déficits chroniques, la Caisse nationale des retraites a emprunté auprès de la Cnas, laquelle a vu les caisses renflouées au moyen de la planche à billets à hauteur de 500 milliards de dinars. Les déboires de la CNR ne sont pas près pour autant de s’estomper, puisque l’année 2019 se révèle d’ores et déjà aussi compliquée que le précédent exercice. Son déficit devrait grimper à plus de 600 milliards de dinars, alors que ses dépenses s’élèveraient à plus de 1 200 milliards de dinars cette année. La situation de la Caisse des retraites est insoutenable et ne tient plus qu’à l’argent frais produit par la machine à sous de la Banque centrale.
Les mesures introduites en 2017, qui mettaient fin aux retraites proportionnelles sans condition d’âge, conçues initialement pour renforcer la trésorerie de la CNR, n’ont fait, visiblement, qu’aggraver la situation. Ces dispositions n’ont fait qu’accélérer les départs à la retraite, alors que la faible croissance de l’économie est insuffisante à même de créer des emplois et de renforcer l’assiette des cotisants. Les tensions financières que traverse le pays font que l’offre publique en matière d’emploi a été arbitrée en faveur de la santé et de l’éducation, alors que les embauches dans les autres secteurs ont été gelées sur le moyen terme.
La décélération de la croissance sur les trois prochaines années, annoncée mardi par la Banque mondiale, se traduirait par la hausse du chômage qui entraînerait de facto un rétrécissement de l’assiette des cotisants, alors que l’équilibre budgétaire de la CNR est tributaire de 5 cotisants pour un retraité. L’État est parvenu à un stade où il est plus que jamais contraint de quêter sans délai une alternative à la planche à billets afin de couvrir le déficit chronique de la CNR.
Pour répondre aux besoins de financement de la CNR, le gouvernement a donc préféré la facilité plutôt que de réunir les conditions d’un retour à l’équilibre de la caisse. Une chose est sûre, le système actuel des deux caisses, la Cnas et la Casnos en l’occurrence, et leur rythme de recouvrement sont loin de répondre à l’impératif d’un retour à l’équilibre de la trésorerie de la CNR.
La seule issue possible à cette situation, “est de revenir à l’obligation de la couverture sociale pour tous avec un système de revalorisation par catégories”, suggère Souhil Meddah, analyste financier. “Les seniors doivent cotiser plus que les juniors au fur et à mesure que leur nombre d’années se cumule avec le temps”, souligne-t-il. Il fait allusion, en partie, au réservoir en cotisants, évalué à près de deux millions d’employés non déclarés, que représente l’économie souterraine.
Une issue serait encore possible
Cela dit, la problématique de l’informel doit être prise en charge par des mécanismes autres que ceux mis sur pied par le gouvernement en 2015 et en 2016 et qui se sont soldés par un échec cuisant. La mise en conformité fiscale volontaire, les mesures contenues dans la loi de finances complémentaire de 2015 ainsi que l’emprunt obligataire pour la croissance étaient des dispositions limitées et non contraignantes.
Très clairement, le gouvernement peine à imposer les solutions de fond, faute de volonté politique, ce qui l’amène à privilégier les correctifs de conjoncture et les solutions de facilité.
Cependant, “une autre dotation qui peut provenir des autres institutionnels comme les assureurs de personnes ou à partir des gains des OPCVM fonds de placement peut aussi soutenir la base financière de la CNR”, estime Souhil Meddah, pour qui il n’y a de fatalité possible à cette situation de déficit que lorsque l’inaction et la facilité prennent le dessus. “Les fonds de placement se positionnent en spéculateurs à long terme pour pouvoir créer de la valeur ajoutée en plus-value de leurs activités sur les marchés de la dette ou des participations”, pense-t-il également. Or, pour Hassan Khelifati, P-DG d’Alliance Assurances, les produits de retraite peuvent ne pas être rentabilisés dans les conditions actuelles du marché, étant inertes et figés, bien que les assureurs aient un grand rôle à jouer dans l’équation d’offrir des pensions de retraite pérennes sur le long terme.
“La participation des assureurs au système des retraites est conditionnée par des préalables, lesquels portent essentiellement sur la dynamisation et la libéralisation du marché financier, voire sur une meilleure rentabilité des placements. Or, tous les montages financiers et les produits de retraite que les assureurs peuvent proposer ne peuvent aucunement fonctionner dans les conditions actuelles du marché. Les placements en bon du Trésor ne sont pas rémunérateurs car les intérêts sont bien en-dessous du taux d’inflation”, explique le P-DG d’Alliance Assurances, contacté par Liberté. Reste que le gouvernement est demeuré flou sur ses velléités de réforme ainsi que sur ses intentions réelles sur la réponse à donner aux déficits chroniques de la CNR.
La réforme impose par-dessus tout un contrat social d’un genre nouveau car il serait absurde de réclamer aux deux caisses, la Cnas et la Casnos, de redoubler d’efforts à même de pouvoir financer à la fois une partie des engagements de la CNR et la caisse dédiée aux cadres supérieurs de l’État, dont les cotisations n’ont été souvent que de courte durée, mais dont les pensions sont constamment revalorisées. Il y a là un défaut d’équité et de justice sociale.
Autant dire que l’équilibre de la CNR est loin d’être une chose possible tant que le gouvernement ne s’attaque pas aux vraies causes de son déficit.
Ali Titouche