Découpage administratif : De nouvelles wilayas et non des wilayas déléguées

Découpage administratif : De nouvelles wilayas et non des wilayas déléguées

ALGERIE_31-Wilayas_1974-1983.jpgLe gouvernement semble avoir changé d’approche en matière de découpage administratif et travaille sur la création de nouvelles wilayas et non pas de wilayas déléguées, comme consigné dans le communiqué du Conseil ministériel restreint de janvier dernier.

« Le nouveau découpage administratif sera effectif dans quelques semaines (…), In Salah sera wilaya (…),» a martelé le 1er ministre, le 24 février dernier à partir de Hassi Messaoud où il avait animé un meeting célébrant le double anniversaire, la création de l’UGTA et la nationalisation des hydrocarbures.

Au milieu de l’euphorie générale qui avait enflammé la salle, la phrase de Abdelmalek Sellal pouvait avoir juste un effet d’annonce (un autre) pour rassurer les populations des régions du Sud. Mais sa prononciation du nom « wilaya » était certainement pour préciser l’approche retenue au titre de la mise en œuvre du nouveau découpage administratif décidé par le Président de la République.

L’on rappelle que le communiqué du Conseil des ministres restreint, que Bouteflika a présidé le 27 janvier dernier, annonçait la création de wilayas déléguées dans le Sud et les hauts plateaux. Il semble donc, que ces nouvelles entités ne seront pas consacrées sous cette appellation, mais prendront le nom de wilaya, comme contenu dans la Constitution. «Les collectivités territoriales de l’Etat sont la commune et la wilaya, » stipule l’article 15 de la loi suprême du pays.

Il est donc déjà prouvé que la wilaya déléguée et même la daïra sont des dénominations anticonstitutionnelles. Au passage, l’on nous explique que le gouvernement a contourné cette anti-constitutionnalité par l’adoption de lois et textes réglementaires pour donner ainsi une assise juridique aux wilayas déléguées et aux daïras qui constituent les collectivités locales aux côtés de la wilaya et de la commune.

Aujourd’hui, le changement de la wilaya déléguée par la wilaya ne répond nullement à un aspect constitutionnel mais plutôt à une réorganisation des territoires qui se veut, selon ses concepteurs « efficiente. » Si le communiqué du conseil des ministres restreint du 27 janvier dernier note que «durant le semestre en cours, seront créées des wilayas déléguées à travers les wilayas du Sud pour rapprocher le service public des administrés (…),» des membres du gouvernement nous ont précisé que « tout se prépare en faveur de la création de wilayas et non de wilayas déléguées, ceci pour confirmer une décentralisation effective. »

Ils ont tenu à nous «clarifier le schéma du nouveau découpage administratif pour souligner ce changement notoire dans la démarche, même s’ils précisent que l’idée de wilaya était déjà claire dès les premières études. Leurs « clarifications » ont été au moins, en tous cas, suscitées par les déclarations de nombreux spécialistes qui s’inscrivent en porte à faux avec la conception de «wilaya déléguée. » (Voir l’article «Wilayas déléguées : la forme sans le fond » dans le Quotidien d’Oran du 18 février 2015).

DES WILAYAS DELEGUEES AUX RESULTATS LAMENTABLES

« Nous ne pouvons pas nous permettre de rééditer des expériences dont les résultats sont lamentables, » nous affirment nos sources du gouvernement. Comprendre par expérience, les 13 wilayas déléguées qui sont sous l’égide de la wilaya d’Alger mais dont la gestion n’a rien d’efficace. « Tout est centralisé, que ce soit la décision, l’initiative, les finances, les programmes, il ne sert donc à rien de créer des wilayas déléguées dont l’objectif est d’en décentraliser la gestion du chef lieu wilaya, alors qu’on bute contre tout à fait le contraire, » soutiennent nos interlocuteurs.

« Les wilayas déléguées n’ont aucun pouvoir décisionnel (…), pas d’encadrement responsable, et sont dirigées par des subdivisions qui devront attendre le bon vouloir des directions centrales siégeant au niveau du chef- lieu de wilaya, » nous disaient les spécialistes de la locale en février dernier.

Les wilayas devant être créées « dans quelques semaines », selon le 1er ministre, devront l’être disent nos sources « pour affirmer une décentralisation effective des pouvoirs, sinon pourquoi décider que In Salah soit une wilaya déléguée pour qu’elle reste gérée par la wilaya de Tamanrasset qui est loin de 700 km ? »

Les cadres chargés de mettre au point ce nouveau schéma territorial estiment que «tout est fait pour que les wilayas, une fois mises en place, trouvent tous les services et structures nécessaires pour assurer pleinement le service public aux citoyens. » Il y a donc nécessairement une période transitoire entre la mise en place de ses instruments publics de gestion et la consécration de la wilaya en tant qu’instance territoriale suprême.

«Avant d’annoncer solennellement l’instauration des nouvelles wilayas, nous sommes tenus de mettre en place une administration efficiente et globale incluant tous les services publics dont ont besoin les citoyens, entre les deux phases, on peut les appeler comme on veut, ce n’est pas important, » nous expliquent nos sources. Notons que la capitale identifie ses wilayas déléguées par «Circonscriptions administratives. » Il serait donc possible que le sud du pays enregistrera pareilles appellations.

«Cela importe peu, l’essentiel est que nous mettons en place une gestion d’échelle wilaya et pas moindre, » affirment nos sources du gouvernement.

DECOUPAGE TERRITORIAL, ELUS INCOMPETENTS ET CONTRAINTE FINANCIERE

« Ce travail qui doit se faire par étapes » est justifié par ses concepteurs comme étant «une nécessité pour asseoir une administration totalement décentralisée, mais aussi par le fait que la création d’une wilaya coûte trop cher et a besoin de financements importants pour fonctionner convenablement. »

Nos sources rappellent qu’ «en 2009, un projet de découpage administratif était ficelé, ne restait que l’instruction de sa mise en œuvre, mais la contrainte financière s’était posée parce qu’à l’époque, le gouvernement avait des priorités, comme la construction de logements, d’écoles, d’universités, l’eau, l’électrification, le gaz de ville, qu’il devait réaliser avant toute chose. » Le nouveau découpage administratif est, pour rappel, une promesse électorale faite par Bouteflika, qu’il a inscrite dans son quinquennat 2015-2019. En ces temps de chute drastique des cours du baril de pétrole, la contrainte financière ne peut qu’être avancée, mais à demi-mot, en raison de la contestation qui gonfle dans les régions du sud du pays.

Dans le communiqué du Conseil des ministres restreint du 27 janvier, le chef de l’Etat a instruit le gouvernement pour «promouvoir une plus grande participation de la société civile à la conception et au suivi du développement local, notamment les programmes communaux de développement.» Il veut que « cette association de la population aux côtés des élus locaux et de l’administration territoriale soit la consécration de la démocratie participative.»

Dans leur schéma, les cadres du gouvernement insistent, en effet, sur « l’implication directe et soutenue des élus locaux dans la gestion de la wilaya et en particulier le règlement des problèmes socio-économiques des populations.» Mais là aussi, ils butent contre un handicap de taille qui est la formation de ces élus en question. «Parfois, on est face à un PAPC qui ne sait ni lire ni écrire, encore moins décider de la faisabilité d’un programme communal de développement, et là, il faut absolument qu’ils soient encadrés par des cadres de l’administration territoriale, ce qui n’est pas pour faciliter les choses,» soutiennent-ils.

QUAND L’IMPUNITE A FORCE DE LOI

L’on évoque comme exemple « l’incompatibilité d’humeur entre les élus eux-mêmes déjà et les administrateurs d’autre part, ce qui paralyse plusieurs communes, il y en a même qui n’ont pas de maire.» Il y a donc «une obligation de résultats qui se fera valoir, » pensent certains. Obligation qui manque terriblement à l’ensemble des administrations et où l’impunité a force de loi. L’état de délabrement des routes, rues et quartiers entiers, à travers l’ensemble du territoire national, laisse penser qu’un PAPC ne sert pratiquement à rien. « Le maire est censé être l’autorité de l’Etat la plus proche des citoyens, il doit donc être gestionnaire et comptable du fonctionnement de tous les services publics, » expliquent des cadres des collectivités locales.

Les PAPC, s’ils sont les gestionnaires de la chose publique, n’en sont jamais ses comptables. «L’idéal est qu’à chaque fois qu’une route est délabrée, l’injonction du wali, premier magistrat de la wilaya, doit obliger à sa réparation dans des délais précis, à défaut, il faut faire partir le PAPC ou dissoudre l’assemblée communale, » ajoutent nos sources. Les partis politiques doivent s’impliquer directement dans la remise en ordre de l’administration parce que, disent-ils, «le choix des élus répond d’eux.»

La gestion et le découpage des territoires ont été largement définis et expliqués dans le document de la commission chargée de la réforme des structures et des missions de l’Etat. L’on retient que la régionalisation de l’espace territorial doit se faire selon des critères économiques, sociaux et même culturels bien précis «pour qu’il y ait symbiose, complémentarité et coordination au sein de la région,» disent les spécialistes. Pour l’heure, aucune institution ne s’est référée à ce travail appliqué qui a mobilisé du temps, des énergies et de l’argent. Les membres de la commission Sbih ont véritablement repensé l’administration, centrale, locale et leurs missions.

«Nous ne pouvons reprendre le schéma parce que nous avons des sensibilités diverses à gérer, notamment en ces temps de perturbations politiques et politiciennes internes et externes,» indiquent des cadres. C’est en évidence le terme «régionalisation» qui pourrait poser problème dans un contexte géopolitique aussi bouleversé qui fait craindre des actions sournoises de déstabilisation et de divisions dans un pays aussi diversifié que l’Algérie.

Ce qui est sûr, c’est que la création de nouvelles wilayas se fera en premier dans les régions du Sud où les disparités socio économiques sont patentes. Elle s’élargira aux hauts plateaux pour atteindre l’ensemble du territoire national d’ici à 2018, comme précisé dans le communiqué.