Depuis qu’il est suspendu pour dopage, Anderson Luis de Souza, plus connu sous le nom de Deco, n’accorde plus d’interviews. Il a fallu le convaincre qu’aucune question ne lui sera posée sur cette affaire pour qu’il accepte de nous accorder cette interview. C’est par une journée incroyablement chaude pour cette période de l’année à Rio qu’on a pris la direction du numéro 41 de la rue Alvaro-Chaves dans le quartier aristocrate de Laranjeiras, là où se trouve le stade de Fluminense, lieu de notre rendez-vous avec Deco. Après avoir subi quelques soins, le double vainqueur de la Ligue des champions est sorti à notre rencontre avec un sourire qui ne l’a pas quitté tout au long de l’échange qu’on a eu avec lui et que vous allez sans doute apprécier.
Lorsqu’on vous a appris qu’un journaliste algérien voulait vous interviewer au Brésil, avez-vous été surpris ?
Pour vous dire la vérité, je n’ai pas été très surpris. Il y a toujours eu un intérêt pour le football et les joueurs brésiliens. Encore plus avec la Coupe du monde qui va se jouer ici au Brésil. En ce qui me concerne personnellement, lorsque je jouais à Barcelone, j’étais habitué à donner des interviews à des journalistes du monde entier. Je suis par contre un peu surpris qu’on s’intéresse toujours à moi en Algérie, mais je suis très ravi de vous recevoir ici.
Quelle est la première image qui vous est venue à l’esprit en apprenant que vous alliez discuter avec un Algérien ?
Incontestablement Rabah Madjer. En tant qu’ancien joueur de Porto, je ne peux pas ne pas aimer un tel joueur qui a laissé des traces à Porto. J’ai vu des matchs de Madjer et j’ai été enchanté par son immense talent. Pour moi, dès qu’on me parle de l’Algérie, c’est l’image de Madjer qui me vient en premier à l’esprit.
Quand vous étiez joueur de Porto, vous parlait-on de Madjer ?
On n’avait même pas à me parler de lui. Madjer était une idole à Porto. J’ai passé sept années à Porto et je sais à quel point l’histoire du club est importante là-bas. Madjer a fait partie de l’histoire parce qu’il avait d’immenses qualités, mais aussi parce que c’est un joueur élégant sur et de en dehors du terrain. Il a toujours été différent des autres grâce à sa finesse.
Vous avez décidé de finir votre carrière au Brésil. Que faites-vous en plus d’être joueur de Fluminense ?
J’ai mes affaires dont une fondation Deco dans ma ville natale de Sao Bernardo do Campo dans l’Etat de Sao Paulo. Sinon je joue toujours à Fluminense où il me reste encore six mois de contrat à honorer. Le reste de mon temps libre, je profite de la vie.
Vous avez joué dans les plus grands clubs européens comme Porto, Barcelone, Chelsea. Quel est le meilleur souvenir de votre carrière ?
Vous savez, lorsque j’ai quitté le Brésil pour aller en Europe, j’avais 17, 18 ans. Je suis parti très jeune au Portugal où j’ai été très heureux à Porto. J’ai pu aussi réaliser un rêve d’enfant en jouant à Barcelone. Lorsque je suis parti à Chelsea, je commençais à sentir le poids des 15 années passées loin du Brésil. J’avais donc le mal du pays et j’ai décidé de rentrer parce que j’avais aussi quelques problèmes familiaux à cause des enfants. Fluminense m’a ouvert ses portes et j’ai passé trois années exceptionnelles en gagnant deux championnats du Brésil et un championnat carioca. Pour être franc avec vous, je ne m’attendais pas du tout à revenir jouer chez moi, dans mon pays. Revenir au Brésil et remporter le championnat du Brésil qui n’est pas facile à gagner a été une expérience incroyable, c’était inespéré. Finalement, chaque étape de ma vie de footballeur a été exceptionnelle pour moi. Je dirais mieux, chaque moment a été spectaculaire. Donc, quand je regarde le film de ma vie de footballeur, je me sens fier de ce que j’ai pu réaliser.
Même s’ils passent de longues années loin de leur pays, les Brésiliens tout comme les Algériens finissent toujours par rentrer à la maison pour y terminer leur carrière et pour y vivre. Comment expliquez-vous ce phénomène ?
Sincèrement, je ne sais pas comment expliquer cela. Pour parler de mon cas personnel, je dirais que le lien que j’ai avec mon pays, ma terre, ma famille est tellement fort que je ne me vois pas vivre loin du Brésil. Cela ne veut aucunement dire que j’ai été malheureux en Europe. J’ai par exemple un sentiment très spécial pour le Portugal au point où depuis que je vis au Brésil, le Portugal me manque aussi. C’est difficile d’expliquer le mal du pays, mais ça doit avoir un rapport avec la famille, les amis, l’endroit où on a grandi. Ça doit être ça oui et c’est pour cela qu’on a tous envie de retourner chez nous à un moment ou un autre de notre vie malgré toutes les belles choses qu’il y a en Europe.
Vous avez connu de grands entraîneurs durant votre longue carrière, mais les joueurs qui ont connu Mourinho comme Vitor Baia disent qu’il est très spécial, qu’il a quelque chose que les autres n’ont pas. Quelle est la chose qui le différencie des autres entraîneurs ?
Durant ma carrière, j’ai effectivement connu de grands entraîneurs comme Scolari, Rijkaard, Ancelotti à Chelsea, Fernando Santos que j’ai connu à Porto et qui est actuellement sélectionneur de la Grèce, Abel Braga qui est mon entraîneur actuel à Fluminense et Mourinho lui-même qui fait partie des meilleurs. Ce qui le différencie des autres ? Je crois qu’en plus de bien maîtriser l’aspect tactique, Mourinho possède un contrôle total sur ses joueurs. Il sait comment chacun de ses joueurs réagit à la pression d’un match et par conséquent il sait tirer le maximum de chaque joueur.
Il est plus psychologue…
Absolument. Je crois que la différence entre lui et les autres est là. Vous avez sans doute remarqué qu’il a réalisé ses meilleurs résultats lors de sa deuxième saison dans chacun des clubs qu’il a entraînés. Il a besoin de bien connaître ses joueurs avant de tirer le maximum de chacun d’eux.
Vous venez de citer Scolari parmi les entraîneurs qui vous ont marqué. Quand il était sélectionneur du Brésil, Scolari a déclaré que son seul grand regret, c’est de ne pas vous avoir convoqué pour la Seleçao, mais dès qu’il a pris en main le Portugal il a dit : «Je ne regrette plus mon choix maintenant que j’ai Deco en sélection portugaise.» Que vous fait une telle marque de respect ?
En plus d’être mon ancien entraîneur, Scolari est un ami. L’un des grands amis que je me suis fait dans le football. Ce fut une personne très importante dans ma carrière, j’ai beaucoup appris à ses côtés car Scolari possède une qualité rare dans le milieu du football de haut niveau : c’est quelqu’un de très honnête. Effectivement, en 2002, avant la Coupe du monde, j’étais sur le point de rejoindre la sélection brésilienne. A cette époque, je ne savais pas encore dans quelle sélection j’allais jouer, la brésilienne ou la portugaise. Je ne sais pas si c’est une coïncidence ou c’est tout simplement le destin, mais une fois que j’ai décidé de jouer pour le Portugal, Scolari a été installé à la tête de la Seleçao.
Quand vous avez marqué un but à la sélection brésilienne avec le maillot du Portugal, qu’avez-vous ressenti ?
Vous savez, le Portugal est le pays qui m’a tout donné dans le football et je ne pouvais pas être ingrat. Jouer pour la sélection portugaise a été une forme de gratitude envers ce pays. Mieux, je ne regrette pas mon choix d’opter pour le Portugal. C’est vrai que le Brésil est mon pays et c’est là que j’ai mes racines et mes repères, mais footballistiquement, je serai tout le temps reconnaissant envers le Portugal.
Vous ne m’avez pas dit ce que vous avez ressenti lorsque vous avez inscrit un but à la Seleçao à l’occasion de votre première sélection avec le Portugal…
C’est vrai que ce fut un sentiment différent, je dirais presque bizarre. C’est clair que jouer contre le Brésil, ce n’est pas la même chose que jouer contre une autre sélection. C’était un moment spécial. Pour revenir à mon premier match avec la sélection portugaise contre le Brésil, j’avoue déjà que je ne m’attendais pas du tout à marquer et lorsque j’ai marqué, j’ai eu un sentiment mitigé. C’était un moment incroyable.
Messi a dit de vous ce qui suit : «Dans le vestiaire, Deco ne parle pas beaucoup, mais quand il le fait tout le monde l’écoute.» Qu’est-ce que ça vous fait d’entendre de telles paroles de la part du meilleur joueur de la planète ?
Vous savez, chaque joueur a une manière propre à lui de réagir dans un vestiaire. Le plus important dans le foot, c’est de laisser une bonne image là où on va et c’est ce à quoi je me suis attelé tout au long de ma carrière. J’ai toujours eu de très bons rapports avec mes coéquipiers dans tous les clubs où j’ai joué. Je n’ai pas des relations d’amitié avec tout le monde, parce que j’ai joué avec beaucoup de joueurs, mais je peux dire que j’ai de bonnes relations avec tout le monde. Vous savez, dans une équipe de foot, la base, c’est le respect entre les joueurs. Tu n’es pas obligé de m’aimer, on n’est pas obligés d’être amis parce que c’est impossible quand chacun vient d’un pays différent avec une mentalité propre à lui. Par contre, le respect est obligatoire. Le respect de l’autre, c’est mon principe dans la vie. Comme je suis une personne réservée, je ne parle pas beaucoup dans un vestiaire, mais quand je parle, c’est pour dire un truc sérieux, pas des idioties.
Que disiez-vous de particulier pour impressionner à ce point vos coéquipiers ?
Rien de particulier, croyez-moi. Quand je voyais que le groupe a besoin de réagir à un moment donné du match, je prenais la parole pour dire qu’on devait gagner, qu’on devait être conscients de l’importance du club qu’on défend, des choses dans le genre, des choses du football quoi. Ce que Messi voulait dire je crois est que je ne parlais pas pour parler, que je parlais pour dire des choses importantes.
Quand vous étiez au Barça, il y avait beaucoup de joueurs issus de la Masia comme Messi, Bojan, Iniesta… Pensiez-vous à ce moment que ce groupe de joueurs allait gagner tout ce qu’il a gagné ?
Je crois que oui. Quand moi et les joueurs de ma génération avons décidé de partir, ce groupe de joueurs était déjà prêt à assumer les responsabilités qui les attendaient. C’était comme une passation de pouvoir entre une génération et une autre. Je crois toutefois qu’avoir un joueur comme Messi avec le niveau de jeu qui est le sien a beaucoup aidé cette génération à gagner tous les titres mis en jeu. Ce que fait Messi est tout simplement incroyable, aucun joueur avant lui n’a fait de même à Barcelone. Avoir un joueur comme ça qui décide du sort d’un match facilite beaucoup les choses.
L’association Messi-Neymar va-t-elle fonctionner à votre avis ?
Je crois que oui, mais je crois aussi que pour jouer avec Messi et Neymar, le Barça doit changer sa manière d’évoluer. Je crois que le Barça aura besoin d’un numéro 9 comme Samuel Eto’o qui jouait entre les lignes parce que Neymar n’est pas un joueur de profondeur, c’est plutôt un joueur qui manie bien le ballon. Donc, si le Barça peut trouver un joueur qui joue entre les lignes et avec Messi et Neymar, ça va être incroyable.
Vous venez de parler de Samuel Eto’o, vous avez également joué avec Drogba à Chelsea. Que pensez-vous des joueurs africains ? Quelle est leur principale qualité ?
Le football africain a beaucoup de similitudes avec le football brésilien. La qualité technique du joueur africain est impressionnante. J’ai joué aussi avec Benny McCarthy à Porto et je crois que le joueur africain naît avec ses qualités, comme au Brésil. Comme au Brésil, jouer au foot en Afrique est une vraie culture. Aujourd’hui, les joueurs africains ne comptent plus sur leurs qualités naturelles, ils travaillent beaucoup les autres aspects du football. Je suis donc convaincu que le football africain n’est pas très loin de gagner quelque chose d’important.
On ne peut pas dire de vous que vous avez une forte corpulence, mais cela ne vous a pas empêché de réaliser une grande carrière. Quel conseil donneriez-vous à un jeune joueur algérien qui n’est pas fort physiquement et qui veut réussir dans le football ?
Les gens qui pensent que le football est une question de corpulence se trompent. C’est ce qui est en train de se passer au Brésil où on pense qu’il faut être athlétique pour jouer au foot. Le football, c’est d’abord la qualité technique. Seuls les meilleurs doivent jouer, qu’ils soient grands ou petits. Il est clair qu’on ne peut pas mettre un défenseur central d’un mètre cinquante, mais ce qui doit primer, c’est toujours la qualité technique. Moi, je vois le football de cette manière. Vous m’avez parlé de Messi et Neymar. A ce que je sache, ce ne sont pas des joueurs de forte corpulence. Le Barça est le meilleur exemple à cet effet. Si on voit le football à travers le physique, on a tout faux.
Vous avez joué avec beaucoup d’Africains, mais jamais avec des Algériens…
J’ai joué contre des Algériens par contre.
Vous rappelez-vous de quelqu’un en particulier ?
Sincèrement, non. Je suis incapable de donner des noms. En plus, depuis que je joue au Brésil, je ne vois pas beaucoup de matchs européens à part ceux du Barça.
On va vous raconter l’histoire d’un joueur algérien qui s’appelle Hadj Aïssa et qui aurait pu avoir le même parcours que vous…
Ah bon !
Ce joueur devait signer à Benfica pour ensuite être prêté à un autre club au Portugal. Il a refusé et quatre ans après, il joue toujours en Algérie. Vous, en revanche, vous avez signé à Benfica pour être prêté à Alverca, puis à Salgueiros avant d’éclater à Porto. A-t-il raté sa carrière en refusant d’être prêté ?
Vous savez, chacun son cas. Le mien est un peu différent du joueur algérien. Moi, j’ai été berné. Mon agent brésilien m’a dit que j’allais au Portugal pour signer et jouer à Benfica, mais une fois sur place, il m’a mis devant le fait accompli en me disant que j’allais être prêté à l’Alverca. Je n’avais pas d’autre choix que d’accepter d’être prêté parce qu’à l’époque, il y avait une loi au Brésil qui stipulait qu’un joueur brésilien qui revenait d’Europe devait passer deux années blanches avant de pouvoir jouer au Brésil. Il ne me restait qu’à lutter pour me faire un trou en Europe.
Tant mieux…
Oui, parce qu’il y a eu l’intérêt de Porto dont les dirigeants ont dû me placer à Salgueiros pendant six mois pour s’assurer qu’ils ont fait le bon choix avant de me recruter définitivement. C’est vous dire que je n’avais pas beaucoup le choix. Tant mieux si les choses se sont bien passées par la suite.
Que pouvez-vous dire aux nombreux admirateurs de Deco en Algérie ?
Je leur dis que Deco continue de s’amuser sur un terrain de football avec Fluminense. Je ne sais pas si les Algériens suivent le championnat du Brésil, mais c’est un football spectaculaire qui grandit de jour en jour. Je les salue de tout mon cœur.
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Son surnom Deco, son sobriquet le Japonais
Deco, c’est en fait le diminutif d’Anderson, le vrai prénom du joueur brésilien. Si en Argentine, on aime appeler les gens par des noms d’animaux, au Brésil on adore les diminutifs, d’où la prolifération des Edinho, Mazinho, Ronaldinho, etc. Des diminutifs qui suivent les joueurs pendant toute leur carrière. Personne ne connaît Anderson Luis De Souza, mais tout le monde connaît Deco. Mais ce qu’on ne sait pas encore, c’est que les amis intimes de Deco préfèrent l’appeler affectueusement «le Japonais» à cause de ses yeux bridés qui se ferment totalement à chaque fois qu’il sourit. Deco le prend bien, c’est lui qui nous l’a confirmé.
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Il a mis le maillot de Fluminense pour les besoins de l’interview
Pour réaliser l’interview avec Deco, nous ne sommes pas passés par l’attaché de presse comme c’est de tradition dans tous les clubs professionnels. Pour pallier cela, Deco a demandé à ce que l’interview se fasse avec le maillot du club avec en arrière-plan les sponsors de Fluminense.
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Fluminense ne reçoit jamais dans son stade
Le stade de Fluminense où a eu lieu l’interview avec Deco ne peut pas contenir plus de 30 000 spectateurs. Etant l’un des clubs les plus populaires du Brésil, Fluminense reçoit ses adversaires dans l’immense Maracana et il arrivait que même le Maracana n’arrivait pas à contenir tous les supporters de Fluminense lors du fameux derby Fla-Flu de Rio entre Fluminense et Flamengo. En 1963, par exemple, il y a eu 194 603 spectateurs, le record absolu pour un derby.
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L’une de ses filles s’appelle Yasmine
En remarquant le prénom de Yasmine tatoué sur son bras, nous n’avons pas pu nous empêcher de poser la question à Deco. «Savez-vous que Yasmine est un prénom algérien ?», lui avons-nous demandé. «Je ne sais pas, mais je sais que c’est un prénom très à la mode au Brésil, c’est pour cela que je l’ai donné à ma fille, tant mieux si c’est un prénom algérien, comme ça j’ai un truc qui me lie à votre pays», a-t-il répondu avec son éternel sourire.
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Premier contact, première question : «Que devient Madjer» ?
Après avoir subi des soins pendant une vingtaine de minutes, Deco est venu à notre rencontre. Dès les premières présentations, il a lancé à notre adresse : «Que devient Madjer ? Fait-il partie du monde du football ?», nous a-t-il demandé. Lorsque nous lui avons répondu que Madjer est dans le foot, mais en tant que consultant et ambassadeur de bonne volonté, Deco a fait une moue comme pour dire que la place de Madjer était sur un banc.