Déclaration de patrimoine des responsables,Les Algériens maintenus dans l’ignorance

Déclaration de patrimoine des responsables,Les Algériens maintenus dans l’ignorance
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Une année après l’installation de la septième législature de l’Assemblée populaire nationale, des doutes planent encore sur la conformité du mandat de certains députés. Les déclarations de patrimoine de l’ensemble des élus nationaux n’ont toujours pas été publiées au Journal officiel tel que l’impose la loi relative à la prévention et à la lutte contre la corruption.

Tarek Hafid – Alger (Le Soir) – L’objectif des pouvoirs publics de «moraliser» la vie parlementaire est loin d’être atteint. Les réformes introduites ces dernières années s’avèrent être difficilement applicables. A commencer par la loi fixant les cas d’incompatibilité avec le mandat de parlementaire. «Ce texte n’a rien arrangé. Il est important de rappeler que ce texte visait à fermer les portes de l’APN aux businessmen et autres trabendistes. Finalement, il n’y en a jamais eu autant à l’Assemblée», note Djelloul Djoudi, président du groupe parlementaire du Parti des travailleurs. Les garde-fous imposés par le législateur dans la loi sur l’incompatibilité avec le mandat parlementaire ne s’appliquent qu’aux personnes ayant des activités réglementées. C’est notamment le cas des fonctionnaires, des médecins et de certaines fonctions libérales. «Le membre du Parlement qui se trouve dans un cas d’incompatibilité cesse tout mandat, fonction, mission ou activité incompatible avec son mandat parlementaire. S’il est titulaire d’un emploi public ou s’il est membre d’une profession libérale, il demande à être placé dans la position spéciale prévue par son statut», précise l’article 8 de cette loi. Mais comment confirmer qu’un homme d’affaires a bien cessé toutes activités durant les cinq années de son mandat ? La loi ne prévoit rien dans ce sens. «Il ne faut surtout pas se leurrer, l’Assemblée populaire nationale n’a aucun moyen de contrôle. Pour être efficace, cette loi aurait dû imposer un contrôle a priori, lors de l’élaboration des listes électorales, et non pas a posteriori lorsque le mandat du député est validé par le Conseil constitutionnel», souligne Djelloul Djoudi. Pour sa part, le président de la Commission des affaires juridiques et administratives et des libertés indique que «tous les dossiers ont été réglés». «Tous les cas ont été régularisés. Nous avons saisi les députés concernés afin qu’ils nous remettent leurs dossiers. Ces derniers ont ensuite été transmis au Bureau de l’APN», explique Abdenour Graoui. Sauf que Graoui confirme l’inexistence, au niveau de l’Assemblée populaire nationale, de moyens de contrôle. «Ceux qui sont en infraction devront prendre leurs responsabilités car ils auront remis une fausse déclaration», lâche le président de la commission juridique. Outre les hommes d’affaires, plusieurs syndicalistes seraient également en infraction. En effet, la loi interdit le cumul avec un autre mandat électif. «Le membre du Parlement qui se trouve dans un cas d’incompatibilité avec un autre mandat électif est d’office déclaré démissionnaire de l’assemblée initiale», stipule l’article 11. L’Union générale des travailleurs algériens a pris des dispositions pour se mettre en conformité avec cette disposition légale. Ainsi, le secrétaire national chargé de l’organique et les présidents des fédérations de l’agroalimentaire et des mines ne font plus partie de ses instances. Cependant, selon certaines indiscrétions, la Centrale syndicale serait intervenue auprès du Bureau de l’APN pour permettre à d’autres députés de poursuivre leurs activités syndicales. Mais la catégorie qui semble avoir été la plus lésée est sans nul doute celle des professeurs et des scientifiques. L’article 5 accorde une dérogation aux députés ayant «des activités temporaires à des fins scientifiques, culturelles, humanitaires ou titre honoraire, n’entravant pas l’exercice normal du mandat». Cette disposition a cependant fait l’objet d’un avis du Conseil constitutionnel suite à une saisine du président de la République. «Considérant qu’en excluant des cas d’incompatibilité prévus par la loi organique, objet de saisine, les fonctions de professeur ou de maître de conférences dans l’enseignement supérieur et la recherche scientifique (tiret 3 de l’article 5), et celles de professeur de médecine au sein des établissements de santé publique (tiret 4 de l’article 5), le législateur aura créé une situation discriminatoire entre les députés par rapport aux titulaires de fonctions similaires», note le Conseil constitutionnel dans cet avis le 22 décembre 2011, soit vingt jours avant l’adoption de la loi fixant les cas d’incompatibilité avec le mandat de parlementaire. Reste encore la problématique de la déclaration de patrimoine. Comme l’ensemble des hauts responsables de l’Etat, les parlementaires sont tenus de rendre public le montant des ressources financières et les biens qu’ils possèdent. «La déclaration de patrimoine du président de la République, des parlementaires, du président et des membres du Conseil constitutionnel, du chef et des membres du gouvernement, du président de la Cour des comptes, du gouverneur de la Banque d’Algérie, des ambassadeurs et consuls et des walis s’effectue auprès du premier président de la Cour suprême et fait l’objet d’une publication au Journal officiel de la République algérienne démocratique et populaire dans les deux mois suivant leur élection ou leur prise de fonction», lit-on dans l’article 6 de la loi du 20 février 2006 relative à la prévention et à la lutte contre la corruption. Le directeur de la législation de l’APN assure que l’ensemble des députés ont remis leur déclaration de patrimoine. «Cette procédure a été effectuée dans les délais impartis, soit un mois après l’installation de l’Assemblée. Toutes les déclarations ont ensuite été adressées au premier président de la Cour suprême», affirme Mourad Mokhtari, qui occupe également le poste de secrétaire général de l’APN. L’opinion publique ne saura rien du patrimoine de ses représentants tant que la publication de ces déclarations est bloquée par la Cour suprême. Et inutile de préciser que le délai légal est dépassé de près de dix mois. Mais les parlementaires ne sont pas seuls à être en infraction. Aucun représentant des pouvoirs exécutif et judiciaire n’a rendu public sa déclaration de patrimoine depuis 2010. A commencer par le président de la République.



T. H.

Liamine Zeroual, le précurseur

LG Algérie

Instituée pour la première en 1997, la déclaration de patrimoine est une procédure imposée toute personne investie de charge publique. Le premier haut responsable à avoir établi l’inventaire de ses biens dans le but de le rendre public n’est autre que Liamine Zeroual. Liamine Zeroual s’est soumis de son propre chef à cette obligation dès son élection en 1995. «Un jour, un motard de la présidence de la République s’est présenté au secrétariat de Azzouz Nasri, alors premier président de la Cour suprême, avec une enveloppe. En l’ouvrant, Nasri a eu la surprise de découvrir la liste des biens possédés par le chef de l’Etat. le contacte sur-le-champ et lui demande ce qu’il doit faire de cette déclaration. Liamine Zeroual lui a juste dit de la rendre publique», raconte un ancien haut magistrat de la Cour suprême. Mais voilà, Azzouz Nasri s’est retrouvé face un vide juridique puisque aucune loi ou texte réglementaire ne régit cette disposition. «Le premier président de la Cour suprême a décidé de mettre en place un groupe de travail pour réaliser une étude. Pour y parvenir, les magistrats se sont inspirés des législations étrangères. Les chancelleries algériennes dans certaines capitales occidentales ont été d’un grand apport.» Un texte adapté aux spécificités algériennes est élaboré durant l’année 1996. Il sera promulgué sous forme d’ordonnance présidentielle le 11 janvier 1997. Le 26 mai 1999, quelques jours après avoir quitté définitivement le pouvoir, Liamine Zeroual fera publier sa seconde déclaration de patrimoine.

T. H.