Décès de Margaret Thatcher,Le fer, le bois et le chewing-gum

Décès de Margaret Thatcher,Le fer, le bois et le chewing-gum

Adulée ou controversée, Margaret Thatcher a marqué son temps

Tout compte fait, et à bien regarder dans les expériences éparses et diversifiées des peuples, on peut clairement distinguer trois types de responsables.

Les premiers sont ceux au passage desquels l’Histoire se lève avec le plus grand plaisir. Pour leur signifier, d’abord et avant tout, le respect qui leur est dû pour avoir servi convenablement leur pays et pour n’avoir épargné aucun effort dans le défi qui est le leur, celui de faire faire quelques pas de plus, à leur société, sur la voie du progrès, de la justice et de la prospérité. A ces gens-là, hommes et femmes, leur pays, mais souvent aussi l’histoire, leur reste redevable de quelque chose, d’un combat acharné pour une cause donnée, d’une attitude honorable dans des moments difficiles, d’un formidable discours qui aurait marqué un tournant dans la vie du (ou des) peuple(s), d’une phrase que les générations se transmettent.

Ces valeurs qui font grandir…

Ces gens-là, leurs noms, qui demeurent à jamais gravés dans la mémoire des peuples, sont aussi jalousement gardés par l’Histoire qui n’hésite jamais à les ressortir pour s’en vanter avec beaucoup de fierté et énormément d’orgueil.

Comme, généralement, pour être grand, il faut avoir de grandes valeurs, ces gens-là ne manquent jamais de valeurs dont l’exemple ne s’efface ni par l’entêtement du temps ni par les tentatives, parfois même non voilées, de successeurs jaloux qui n’arrivent pas à occuper la trop grande place. La première valeur qui leur est commune à tous et toutes, sans exception, est sans doute celle de la haute conception qu’ils ont du dévouement au point où ils en font le devoir sacré et la raison même de leur mission. C’est d’ailleurs par ce dévouement qu’ils ont pu s’élever au-dessus du lot.

Une autre valeur chez ces gens-là est le courage. Le vrai. Celui de se démarquer de l’erreur au moment où ils n’ont ni force ni moyens pour étayer leurs arguments. Presque tous ces gens ont eu à affronter des moments difficiles et ont connu des périodes décisives, mais sans jamais, ou presque, connaître le flottement des faibles. Ils n’hésitent pas à aller à l’affrontement, les mains nus certes, mais le coeur plein d’amour pour leur pays et l’esprit regorgeant d’espoirs et de rêves pour leurs concitoyens. Lorsque Pétain, un certain 17 juin 1940, appela à la capitulation de son pays, De Gaulle, alors seul dans son exil, n’hésita pas un instant à pousser les Français à poursuivre la résistance contre les Allemands. L’Histoire s’est chargée par la suite du reste.

L’autre valeur essentielle pour cette catégorie de grandes gens, c’est l’obstination. Une sorte d’entêtement positif qui consiste à marcher résolument, sans se laisser détourner par la difficulté du chemin, sans faiblir devant la dureté des obstacles et sans se laisser impressionner par les cris alarmants des autres. Avec du recul, on constate combien cette obstination est liée à la grandeur des âmes et à la noblesse des causes. Certains vont jusqu’à payer de leur vie ce choix de ne pas céder et nous ne prendrons pour exemple que Salvador Allende qui, en septembre 1973, pour défendre la souveraineté de la décision du peuple chilien alla jusqu’à faire face, un fusil à la main, aux chars de l’émissaire de la CIA (un certain Augustino Pinochet) qui bombardaient le palais présidentiel de la Moneda.

Généralement, les gens de cette catégorie, souvent des responsables, mais pas uniquement, ont un caractère très pointu, taillé dans la pierre. D’ailleurs, on leur colle volontiers ce caractère dur, tellement cela leur va bien. L’homme d’acier, dit-on de celui-ci, la dame de fer, de celle-là etc….

Ce ne sont pas les exemples qui manquent. Ces exemples qui montrent que, si ce sont les grands hommes qui font les grandes nations, ce sont, par contre, les grandes valeurs qui font les grands hommes.

Ces comportements qui nanisent…

La deuxième catégorie est constituée de gens dont, à lui seul, le nom, tel un rhume d’hiver, fait éternuer l’Histoire qui sarrange toujours pour être absente à leur passage sans jamais même se donner la peine de se faire remplacer ou de se faire représenter.

Obsédés de leur vivant par leur petit nombril, ces gens-là font preuve d’une ignorance irréfutable du fait que l’on ne peut servir son pays que si l’on dépasse sa petite personne. Ils ne laissent généralement rien de bon de leur passage, car subjugués par les ersatz de la facilité et les factices impressions de pouvoir si temporaire pourtant et si insignifiant dans la durée. Irrémédiablement liés, directement ou par le biais de ceux qui les entourent, à de sales affaires de corruption, de vol, de détournement et de dilapidation de fonds publics, certains d’entre eux plongent aussi volontairement dans de vulgaires épisodes de mauvaises moeurs. On les croit attirés par l’odeur nauséabonde des scandales et la malversation. Plusieurs noms de ce type ont présidé au dessein des sociétés. Celui qui vient en premier dans ce cas, est, bien sûr, Berlusconi qui a défrayé toutes les chroniques sur tous les plans.

Mais la petitesse ne s’arrête pas là, elle est aussi ailleurs. Elle est chez ceux qui, par leur incompétence, font couler l’économie de leur pays dans les marais de la dette, dans les étangs de la mauvaise production, dans la boue de l’insuffisance de la qualité. Elle est aussi chez ceux qui, par leur inaptitude, traînent leur pays dans les sillons de la misère, l’inscrivent au registre de la corruption, le tirent vers les champs insupportables de la violence et vers l’étroitesse du manque de liberté. Ceux qui musellent les sages et ordonnent qu’on colle des porte-voix aux lèvres des muets font aussi partie de ces gens-là, tout comme ceux qui attachent la torche aux mains des aveugles pour en faire des guides des peuples ou ceux qui décident, de toutes leurs forces, que l’avenir du pays soit entre les mains des estropiés. Ceux qui imposent les derviches et les charlatans à la tête de institutions ou qui font de la politique un souk aux puces, eux aussi font partie de cette catégorie de responsables.

Parmi les valeurs que portent haut et avec fierté ces gens-là, il y a d’abord l’arrogance. Cette maladie qui fait que «moins ils ont de talent, plus ils ont d’orgueil, de vanité (…)». Assis à même le sol de leur bêtise, ils aiment se voir applaudir et voir leur incompétence adulée par ceux-là mêmes qui ne les maintiennent au pouvoir que pour en tirer profit. L’éloge de la folie, comme disait Erasme, les connaît et, bien sûr qu’ils connaissent.

Une autre valeur qu’ils défendent et dont ils plantent l’étendard dans la société qu’ils dirigent est celle du tout-médiocrité. Dilution du mérite, nivellement par le bas, généralisation de l’incompétence etc., tout est bon pour que rien ne dépasse, pour que personne n’excelle et, surtout, pour qu’aucun don ne s’épanouisse dans ces pays dont le tort est sans doute celui d’applaudir avant de comprendre et de danser avant même d’entendre le rythme.

Ces responsables-là ne laissent rien, au pays, après leur départ, à part un vague souvenir d’une période d’absence totale comme qui dirait un stade d’inconscience ou de coma. Sinon, rien. Ni grandes réalisations pour le pays ni tournant pour le peuple et même ce que d’aucuns aiment à peindre comme étant des positions courageuses finissent par perdre leur teint pour apparaître sous leur véritable jour comme de vulgaires dribbles qu’ils ont tentés vis-à-vis de l’histoire et vis-à-vis des hommes.

Dans cette catégorie, il y a aussi ceux qui ont les mains salies par le sang des innocents. Ceux qui lancent les guerres injustes (le sont-elles jamais d’ailleurs?), fomentent les coups d’Etat à distance, cosignent les marchés d’armes illégaux, jubilent à l’oppression des peuples, autorisent la torture institutionnalisée… tous ces responsables donnent, eux aussi, la nausée à l’Histoire et peu importe le pays auquel ils appartiennent. Ni l’endroit où ils sont nés. A leur passage, l’Histoire est toujours absente, on l’a déjà vérifié…

Malheureusement, le monde est plein de cette seconde catégorie de gens qui, tel le bois, finissent par disparaître au premier feu, et parfois même à la première étincelle, sans laisser de trace, derrière eux…aucune trace. Même pas de la cendre!

La masse…

Dans la troisième catégorie viennent les autres. Le reste. Ceux qui ne sont ni des héros ni des lâches. Ceux dont le comportement suit la courbe générale du comportement social et qui viennent dans l’anonymat et partent dans l’anonymat. Ces gens, parce que substituables comme le chewing-gum de la demi-journée, l’histoire ne les connaît ni en bien ni en mal et n’en entend parler que lors du passage vers leur dernière demeure. Alors, par respect pour le cortège, elle se lève. Et observe les quelques secondes de silence traditionnel.

Où se situe Margaret Thatcher?

A 87 ans, Margaret Thatcher est décédée. Elle a laissé, dans son pays et ailleurs, beaucoup d’admirateurs et autant d’ennemis. Des admirateurs que le dur labeur de la première femme, Premier ministre de l’Angleterre, a épaté, et des ennemis pour le prix payé pour les résultats qu’elle a su obtenir.

Sans prétendre refaire l’histoire de cette dame, rappelons qu’elle était venue à la tête du gouvernement de son pays à un moment où l’économie britannique était considérée comme le pied lourd de l’Europe. Le seul défi qui devait être le sien, et qui, en fait, le fut, consistait à redresser cette économie malade, léthargique, sans force ni âme.

Arrivée en 1979, c’est-à-dire au moment d’une crise multidimensionnelle, cette femme qui allait rester presque 12 ans à son poste de Premier ministre, a su opérer une véritable rupture à plusieurs niveaux.

D’abord, sur le plan de la sphère et des espaces de l’Etat, elle a compris assez tôt le nécessaire retrait de ce dernier de certains secteurs dans lesquels il constituait plutôt une charge qu’un atout. Dans ce sens, c’est elle qui, pour alléger les besoins financiers du pays, a introduit les privatisations comme mode d’opération donnant, par-là, l’idée à la Banque mondiale qui s’en inspira pour recommander cette mesure aux pays les moins développés.

Ensuite, sur le plan de la conduite des affaires du pays, et devant l’inadéquation des critères de gestion du secteur public, elle avait saisi la nécessité de changer la manière de faire les choses dans ce secteur. C’est elle qui, agacée par le manque de rentabilité et l’insuffisance de la performance du secteur public, contribua fortement à impulser l’introduction de ce qui allait être connu plus tard sous la dénomination de NPM (New Public Management) ou Nouveau Management Public avec toutes les conséquences positives pour son pays que l’on connaît.

Par ailleurs, c’est aussi Margaret Thatcher qui, pour lancer les chantiers de la reconstruction de son pays, a dû inventer, dans les années 1980, un nouveau mode de gestion, mais aussi un nouveau mode de financement des grands projets. Il s’agit du PFI (Private Finance Initiative ou initiative de financement privé) qui devint le PPP (ou Partenariat Public Privé) dont se sont inspirés par la suite tous les pays du monde.

A la fin de ses 12 ans au

«10 Down Street», celle qu’on nommait «la Dame de fer» a laissé une Angleterre plus forte que jamais avec une économie complètement redressée, un retour remarqué sur la scène mondiale et des balises fortes pour ses successeurs qui, bon gré mal gré, devaient poursuivre le travail de redressement effectué par celle qui avait lancé les rails d’une nouvelle économie.

Les effets ne sont pas tous de court terme et de ce fait, ce travail de longue haleine ne pouvait se faire sans peine. Les premiers à en ressentir les effets furent les ouvriers qui se lancèrent dans un bras de fer d’une intensité jamais égalée dans ce pays. Mais Thatcher musela fortement les syndicats et imposa ses points de vue.

Thatcher reste aussi connue pour la guerre des Malouines qui entacha sa période et, surtout, pour son soutien indéfectible à un certain reaganisme aux Etats-Unis au point où certains la décrivent, aujourd’hui encore, comme le vassal des Etats-Unis et de Reagan en particulier.

A regarder son stupéfiant bilan économique, Thatcher fut certainement parmi les plus grands de ce monde. Elle fut si prompte à défendre les intérêts de son pays que, comme le rapporte Jacques Attali qui était présent, lorsqu’elle apprit l’accord politique entre la France et l’Allemagne, de la bouche même de Mitterrand, «elle fondit en larmes», car elle comprenait ce que son pays perdait par cet accord. Entièrement dévouée à son pays, elle était obstinée, têtue et son caractère était trempé, disent ceux qui la connaissent, dans de l’acier. Résolument tournée vers l’avenir de son pays, ce n’est pas pour rien que son image dépassait de loin celle de… la reine Elizabeth.

Il est normal qu’aujourd’hui, à son décès, nous regardions l’Histoire qui se lève et qui tire son chapeau. Comme elle l’a fait, il y a à peine quelques jours, au passage d’un certain Hugo Chavez, vous vous souvenez?

Thatcher faisait partie de cette catégorie de responsables que tous les pays souhaitent bien avoir aux commandes.