Décembre 1975, aéroport d’Alger : Carlos négocie avec Bouteflika la fin d’une prise d’otages

Décembre 1975, aéroport d’Alger : Carlos négocie avec Bouteflika la fin d’une prise d’otages

Carlos, le chacal….Un nom qui faisait frémir de terreur. Le Vénézuélien Ilich Ramirez Sanchez dit « Carlos », 62 ans, légende du terrorisme des années 1970 et 1980, est jugé à Paris à partir de lundi 7 novembre par la cour d’assises pour quatre attentats commis en France au cours des années 1980 et qui ont fait onze morts. Bien avant de sévir en France, Carlos s’est rendu célèbre avec la prise d’otages du siège de l’Opep, à Vienne, le 21 décembre 1975.

De Vienne à Alger, en passant par Tripoli, cette prise d’otages s’est dénouée avec l’étroite collaboration des officiels algériens, à leur tête Abdelaziz Bouteflika, à l’époque ministre des Affaires étrangères. Retour sur cette saga sanglante.

Dimanche 21 décembre 1975. Un groupe de six terroristes armés fait irruption dans l’immeuble du 10 Karl-Lueger Ring, qui abrite le siège de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), à Vienne, en Autriche.

Parmi les otages, Belaid Abdesselam

Onze ministres de l’organisation et plusieurs dizaines de leurs collaborateurs sont pris en otages. Parmi eux, Belaid Abdesselam, ministre algérien du pétrole.

Le commando, mené par Carlos, est composé de deux Palestiniens, d’un Libanais, et deux Allemands, Gabriele Tiedemann et Hans-Joachim Klein.

Après plusieurs heures de pourparlers, une vingtaine de personnes sont libérées au compte-goutte. Fin de la première partie de la prise d’otage. La seconde se jouera à des milliers de kilomètres de Vienne.

Destination Alger

Les terroristes, accompagnés de quarante-deux otages, montent à bord d’un DC-9 de la compagnie autrichienne. Direction l’Algérie.

Alger n’est pas la destination finale de Carlos. Celui-ci n’entend y rester que deux ou trois heures avant de regagner Tripoli, puis Bagdad plus tard. Mais son plan initial tombera à l’eau.

A bord du DC-9 qui vole vers Alger, deux otages de marque : Zaki Yamani, ministre saoudien du pétrole et son homologue iranien Jamshid Amouzegar.

Ces deux là sont dans le collimateur de Carlos qui veut tout simplement les faire passer par les armes.

Durant les deux heures et demie de vol, Carlos engage une longue conversation avec le ministre saoudien. « Nous avions parlé de tous, racontera plus tard Yamani dans ses mémoires. Nous avons parlé de la vie, de politique et même de sexe. C’était un homme qui aimait la vie, courrait les filles et s’habillait avec luxe. Je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il m’avait promis de me tuer de sang froid. »

Bouteflika mène les négociations

Lundi 22 décembre, le DC-9 atterrit dans la capitale algérienne. Sur le tarmac de l’aéroport, Carlos, béret noir vissé sur la tête et lunettes noires, est accueilli bras ouverts par un aréopage d’officiels algériens Abdelaziz Bouteflika, le colonel Ahmed Draïa, directeur de la sureté nationale, ainsi que Mohamed Abdelghani, ministre de l’Intérieur. Belaïd Abdeslam, manteau noir et couvre-chef sur la tête, remis en liberté, est également présent sur la piste.

Carlos est escorté vers le salon VIP. Hans-Joachim Klein, son lieutenant, blessée à Vienne, est évacué par ambulance pour des soins dans un hôpital d’Alger.

Autour de quelques cigares cubains, des discussions s’engagent avec Bouteflika et Belaïd Abdesselam. A l’intérieur de l’appareil encore sur la piste, les otages, les yeux bandés, attendent la peur au ventre. Au bout de cinq heures de négociations, Carlos accepte de libérer 30 otages, non arabes.

Toutefois, un désaccord avec les autorités algériennes oblige Carlos à revoir ses plans, le gouvernement ayant refusé de mettre à sa disposition un nouvel avion.

Dans ses mémoires, Zaki Yamani écrira que les services secrets algériens avaient placé des appareils d’écoute à l’intérieur de l’avion pour intercepter toutes les commissions entre les ravisseurs et leurs victimes.

Devant le refus de Boumediene, le chef des ravisseurs quitte Alger à destination de Tripoli.Sur place, l’accueil est loin d’être amical.

Les Libyens moins conciliants

Les Libyens, moins conciliants et coopératifs que les Algériens, refusent de renflouer l’avion en Kérosène et exigent la libération de leurs ressortissants. Carlos s’exécute, veut gagner l’Arabie Saoudite, mais les Saoudiens lui signifient qu’il n’est pas le bienvenu sur les Terres-Saintes.

Quelques heures plus tard, l’avion quitte Tripoli, direction la Tunisie. Mais là encore, le président Bourguiba ordonne à la tour de contrôle de ne pas accorder l’autorisation d’atterrissage. Toutes les lumières des pistes d’atterrissage sont éteintes, empêchant ainsi l’avion de se poser sur l’aéroport de Tunis.

Changement de cap, retour vers Alger.

Sur place, le chef de gang est de nouveau accueilli par Bouteflika. De nouvelles négociations commencent. Carlos accepte de libérer l’ensemble des otages.

Une villa pour Carlos

En échange, il obtient l’asile de la part du président Boumediene. Mais aussi de l’argent, beaucoup d’argent : entre 20 millions et 50 millions de dollars. Qui a payé ? On le saura sans doute jamais. A ses avocats, Carlos dira plus tard que ce sont les Saoudiens qui ont allongé le magot.

La prise d’otage terminée, Carlos remet ses armes au ministre algérien de l’Intérieur – il gardera tout de même son pistolet – quitte l’aéroport d’Alger à bord d’une limousine noire pour une villa cossue.

Son séjour durera deux semaines. Pour assurer sa sécurité, des garde-corps lui sont affectés 24 h sur 24h. Pendant ce temps, son adjoint, Hans-Joachim Klein, se fait soigner dans une clinique d’Alger. Remis de son opération, il rejoindra son chef dans la résidence mise à leur disposition.

« Hitler était un homme bien…»

Hans-Joachim Klein témoignera de cet épisode : « On nous a logé dans une villa d’Etat, une villa immense, et servis comme des rois. Le chef des services secrets nous rendait visite chaque jour, accompagné des fois par le chef de la police d’Alger. J’ai commencé à réfléchir car le chef de la police savait que j’étais allemand. Alors, il me dit : « Hitler était un homme bien…». Là, je me suis dit : « pauvre FLN ! ». Nous avons pris un repas avec Bouteflika qui était ministre des Affaires étrangères… »

Au cours de son séjour à Alger, Carlos se lie d’amitié avec Yacef Sadi, héros de la bataille d’Algérie. Sadi lui fait visionner le film la Bataille d’Alger, de Gillo Pentecorvo, et joue au foot avec lui.

Après deux semaines de villégiature, le chacal est invité à quitter l’Algérie, la Mecque des révolutionnaires du tiers-monde.