Après les plaidoiries de la défense des prévenus en correctionnelle, le reste de l’après-midi a été consacré aux accusés relevant de la criminelle. Les avocats ont relevé, hier, des erreurs, des incohérences dans le dossier judiciaire ainsi que des dissimulations de preuves à décharge portant un grave préjudice à leurs mandants. Dans certains cas, des vies ont été détruites pour un dossier vide.
Les avocats Tinédar Abdelhakim et Ouali Nacéra se sont présentés à la barre pour défendre Bensouda Samira et Benhadi Mustapha. Bensouda Samira, qui comparaît devant le tribunal criminel de Blida pour abus de confiance, était directrice de la presse écrite au ministère de la Culture et de la Communication, chargée des accréditations des médias étrangers. Lorsque la demande de Khalifa TV, qui émettait à partir des studios de la Plaine Saint-Denis, atterrit sur son bureau en octobre 2000, elle accélère les formalités, avant d’être nommée, deux mois plus tard, directrice de son antenne algéroise, sur recommandation de Khalida Toumi. Me Nacéra Ouali estime nécessaire de rappeler que Samira Bensouda était nommée au ministère de la Culture et la Communication par décret présidentiel. “C’est la ministre qui lui demande de prendre le bureau de Khalifa TV en Algérie dans le but d’améliorer l’image du pays. À l’époque, on s’en souvient, les Algériens ne regardaient pas la chaîne publique mais Khalifa TV.” Samira Bensouda est poursuivie pour non-restitution de véhicule de service. “Elle était en voyage et a laissé la voiture dans le parking”, soutient Me Nacéra Ouali. Son deuxième avocat affirme que la voiture est restée en sa possession sur proposition du liquidateur de KTV. Il précise que “rendre le véhicule de service tardivement ne constitue pas un motif d’inculpation”. Samira Bensouda a bénéficié d’une relaxe durant le procès de 2007. Concernant Benhadi Mustapha, DG d’une entreprise d’agroalimentaire en partenariat avec des Espagnols, sa défense souligne que son affaire revient sur la base de l’arrêt de la Cour suprême après pourvoi en cassation introduit par le parquet et non sur la base de l’arrêt de la chambre d’accusation. Benhadi a contracté un crédit auprès de Khalifa Bank de 15 milliards de dinars en hypothéquant son usine d’une valeur de 42 milliards de dinars. Il a remboursé 9 milliards de dettes, la première année. La deuxième année, la banque s’impatiente et le presse de liquider l’ensemble de sa dette. Le directeur de l’agence des Abattoirs de Khalifa Bank lui propose alors de se faire racheter son crédit par Foudad Adda, ex-directeur de l’École de police de Aïn Benian. L’avocate défie le tribunal de prouver que le document de la mainlevée est falsifié. Comme, on le constate, cette affaire est directement liée au cas de Foudad Adda.
La société algéro-espagnole victime d’une transaction bancaire
Le commissaire divisionnaire et ex-directeur de l’École de police de Aïn Benian, Foudad Adda, a signé, le 1er septembre 2001, une convention avec le bureau de représentation de Khalifa Bank à Paris. Il possédait avant un compte courant à la Société marseillaise du crédit en France qu’il a ouvert en 1974 lorsqu’il y était en stage et dans lequel il déposait régulièrement de l’argent provenant des rentrées du loyer de sa villa située à Bouzaréah occupée par l’ambassade du Mexique. Le loyer, fixé à 7 000 dollars US par mois, était versé à son compte en France. Ainsi de cette location, Foudad Adda a pu épargner la somme de 1 350 000 FF, déposée à terme pendant huit ans, de laquelle il a cumulé un intérêt de 114 600 FF. La location de son autre villa dès 1995 à l’ambassade du Burkina-Faso, lui procurait des rentrées mensuelles de 16 500 FF qu’il déposait dans son compte devises à la BNA de Staouéli. C’est le total de ses devises qui a été transféré au bureau de représentation de Khalifa Bank à Paris à la suite de la signature d’une convention avec Soualmi Hocine directeur de l’agence de Khalifa Bank des Abattoirs. Au final, Foudad possédait deux milliards de centimes et 609 000 euros déposés dans les caisses de Khalifa Bank.
En date du 22 mai 2002, il demande le rapatriement de son argent déposé en France, et ce, à travers une correspondance adressée à Soualmi Hocine directeur de l’agence des Abattoirs. Soualmi lui répond que la banque souffrait d’un manque de liquidités et lui propose de récupérer son argent par le biais d’une société algéro-espagnole implantée à Oran et qui était endettée vis-à-vis de Khalifa Bank. L’idée consistait à ce que Foudad Adda hypothèque son argent déposé à Khalifa Bank contre une reconnaissance de dettes que lui établira la société algéro-espagnole qui conditionne la récupération de son argent plus tard. L’acte d’hypothèque ainsi que la reconnaissance de dettes accordée par la société seront ainsi signés le 23 février 2003. Les accords ainsi réalisés, Soualmi rédige l’attestation de mainlevée sur l’hypothèque de l’usine de la société algéro-espagnole. Mais contre toute attente, Soualmi n’a pu procéder au transfert de l’argent du compte de Foudad vers celui de la société en question du fait que cette période des faits a coïncidé avec la désignation d’ un administrateur provisoire qui a gelé toutes les opérations bancaires. L’avocat de Foudad tente de prouver, lors de son plaidoyer, que son mandant est une victime de la banque Khalifa parce qu’il a perdu tout son argent. Foudad est accusé pour plusieurs chefs d’inculpation dont corruption, trafic d’influence, d’abus de pouvoir et escroquerie.
“C’est le procès de ceux qui ont déposé de l’argent et non celui de ceux qui ont pris de l’argent”
L’avocat Mustapha Oukid défend pour la deuxième fois consécutive, le DG de l’EPLF de Blida. Dès le début, il situe les enjeux. “Les générations futures parleront longtemps de ce procès et répertorieront les dépassements et les erreurs. Le procès actuel est loin de l’État de droit. C’est le procès de ceux qui ont déposé de l’argent et non celui de ceux qui ont pris de l’argent.” Rabah Boussabiene est poursuivi pour corruption à cause d’un crédit contracté auprès de l’agence de Khalifa d’Oran. “C’est une accusation historique et unique au monde contre une personne qui a pris un crédit sur la base d’un contrat dûment signé entre lui et la banque. J’ai beaucoup cherché, je n’ai pas trouvé un autre cas de ce genre dans le monde. La loi définit la corruption comme réception d’argent ou cadeau offert contre service rendu au corrupteur. Le crédit contracté par mon client a été remboursé y compris les intérêts.” Il revient sur les motifs d’inculpation, en expliquant qu’en 1999, l’EPLF de Blida avait reçu des offres d’un taux d’intérêt entre 10 et 12% pour le placement d’argent à la banque Khalifa. Cette EPLF avait un dépôt de 250 millions de dinars au CPA qu’elle n’a pas déplacé. Quand l’EPLF de Blida a vendu des logements pour lesquels elle a reçu deux chèques, l’un de 20 millions de dinars et l’autre de 50 millions de dinars, elle a placé cet argent à Khalifa Bank. “C’est le directeur financier qui a contracté des crédits aux employés à 0% de taux d’intérêt alors que le DG était en congé annuel.” Il poursuit : “Mon client a payé le prix fort pour un crédit personnel contracté en toute légalité. À l’époque, sa fille avait un cancer du foie. Il y avait une possibilité de greffe en Jordanie. Il était un donneur compatible, mais cette greffe n’a pas pu se réaliser parce que son passeport lui a été retiré. On a fait des démarches, présenté des documents médicaux, supplié pour la restitution du passeport, en vain. Sa fille n’a finalement pas pu être sauvée.”
Berkat Benchir était directeur financier de l’OPGI de Relizane. Il a signé un chèque de 8 milliards de dinars sur la base d’une délégation de signature. Son avocat relève que la convention entre Khalifa Bank et l’OPGI a été signée, par le DG sans accord du conseil d’administration. “Il n’a fait qu’exécuter les termes de cette convention. Les écritures bancaires sont au nom de l’OPGI. Pour cela, il ne doit en aucun cas être poursuivi.” Un autre membre de la défense soutient que les dossiers “de lourds noms parmi les accusés et les témoins n’ont pas été traités avec la même transparence. Le système politique chez nous ne lève pas entièrement la dépénalisation de l’acte de gestion”. Son mandant, le directeur général de l’OPGI de Relizane, a fait un placement à terme de 10 milliards de dinars à la banque Khalifa, avec la possibilité de retrait à tout moment. “Un témoin a déclaré que Baïchi, cadre de cette banque, a pris contact avec toutes les OPGI, y compris mon client qui a déposé les fonds sur la base d’une résolution du conseil d’administration.” L’avocat accuse le juge d’instruction d’avoir “détourné une preuve à décharge consistant en des écritures bancaires pour un objectif autre que la manifestation de la vérité”.
Les conséquences dramatiques de l’affaire Khalifa apparaissent aussi à travers le cas de Haddadi Sid-Ahmed. Cet ex-cadre de la compagnie Antinéa Airline est devenu muet à la suite d’un AVC. “Il n’a pas dit un mot depuis 2012. Il m’écrit ce qu’il veut dire sur un bout de papier”, répond son avocate au juge qui se demandait comment elle communiquait avec son client. “Il est poursuivi pour abus de confiance pour un simple PC gardé à son niveau. Il n’a même pas pu s’exprimer et se défendre devant vous la dernière fois. Le procureur a requis contre lui une année de prison et moi je lui dis qu’il est déjà condamné par sa maladie.” Haddadi a bénéficié d’une relaxe en 2007.
“Abdelhafid Chachoua ne pouvait pas transporter les fonds par flexy”
Après une bonne partie de la journée consacrée aux prévenus relevant de la correctionnelle, les plaidoiries des avocats des accusés de la criminelle commencent avec Amghar Mohamed Areski. Il était directeur central à Khalifa Bank avant d’être nommé à la tête de Khalifa Rent Car (KRC). Amghar contracte un crédit de 300 millions de dinars de Khalifa Bank et ensuite un prêt de 1,5 milliard de dinars de l’entreprise KRC. Le représentant du ministère public a requis 15 ans de prison ferme contre lui. Son avocate Mahmoudi Houria tente de lever l’amalgame entre le crédit et le prêt. “Il y a un mélange entre le concept de crédit et prêt. Le crédit émane d’une banque alors que le prêt est accordé par une entreprise contre la garantie d’un salaire. Amghar n’a pas eu recours à des comptes mensongers pour dissimuler les traces du prêt. Le prêt de 1,5 milliard a servi au remboursement du crédit de 300 millions de centimes et à l’achat d’un logement. Quel mal y a-t-il à vouloir améliorer ses conditions de vie ?” L’avocat Boutarek s’est présenté pour défendre Chachoua Abdelhafid, DG de la société de sécurité du groupe Khalifa, et Ahmed Chachoua, son père, agent de sécurité. “Selon l’acte d’accusation du procureur, cette banque a été créée pour accaparer les fonds. Si c’était le cas pourquoi Khelifa a créé d’autres sociétés ? Les Chachoua ont travaillé dans une banque agréée. Il n’est pas précisé dans le dossier ce que les Chachoua ont volé et qui ils ont volé. On reproche à Abdelhafid d’avoir acheté une villa à Chéraga. C’était avant sa prise de fonction au groupe Khalifa. L’instruction a fait preuve de légèreté en l’accusant de s’être enrichi grâce à Khalifa Bank. Le père Chachoua avait 5 hectares de terre. Il ne vendait pas, comme le prétend le procureur, des bonbons sur une charrette. Il avait une société de vente en gros de confiserie.” L’avocat des Chachoua réplique : “Lors de son audition, Abdelhafid avait déclaré qu’il transportait l’argent dans des sacs et on a retenu cela contre lui. Comment voulez-vous qu’il transporte les fonds par flexy.” Les plaidoiries des avocats des accusés en détention se poursuivront aujourd’hui et dureront probablement jusqu’à samedi ou plus.
N.H.