«Il faut savoir qu’une Assemblée constituante ne dépend d’aucun pouvoir»
Dans tous les cas de figure, le maître incontesté du jeu demeure le président de la République. C’est ce que feignent d’ignorer les partis en campagne électorale.
«Des partis respectables comme le FFS, le PT et l’Alliance verte se trompent-ils à ce point de définition ou entretiennent-ils sciemment le flou sur une question aussi sensible qu’est la future Assemblée?», regrette M. Issaâd, enseignant du droit constitutionnel à l’université d’Alger expliquant dans le menu détail pourquoi la prochaine Assemblée nationale ne sera jamais une Constituante. «Il faut savoir qu’une Assemblée constituante ne dépend d’aucun pouvoir. Elle a la libre et totale initiative. C’est ce que les constitutionalistes appellent dans leur jargon le pouvoir constituant originaire», indique M.Issaâd.
Il y a donc une règle de base selon laquelle, une Assemblée constituante a la liberté de l’initiative. Ce qui est loin d’être le cas à présent puisque l’initiative est du seul ressort du président de la République. Le Pr Isaad a rappelé le cas de notre Constituante du 20 septembre 1962 qui avait alors trois missions: désigner le gouvernement, voter les lois et élaborer la Constitution. Composée de 169 membres dont 16 Européens, l’assemblée de 1962 ne dépendait en effet, d’aucun pouvoir. «Or, dans le cas présent, l’Assemblée qui sera issue du scrutin du 10 mai doit observer des mesures strictes pour réviser la Constitution. Elle est en quelque sorte ligotée. Et rien que par le fait d’observer ces mesures, la qualité de Constituante lui sera déniée. C’est ce qu’on appelle un pouvoir constituant dérivé», explique encore M.Isaad. Le professeur cite les trois cas dans lesquels la prochaine APN peut réviser la Loi fondamentale et démontre comment le président de la République demeure le maître du jeu. Le premier cas est la réforme partielle de la Constitution sans soumettre cette révision au référendum.
Bouteflika a usé à deux reprises de cette prérogative
Dans l’un de ses articles, la Constitution en vigueur stipule que si l’équilibre des pouvoirs n’est pas touché, une révision constitutionnelle se suffira de l’approbation des deux chambres du Parlement.
Il s’agit de l’article 176 stipulant que «lorsque de l’avis motivé du Conseil Constitutionnel, un projet de révision constitutionnelle ne porte aucunement atteinte aux principes généraux régissant la société algérienne, aux droits et aux libertés de l’homme et du citoyen, ni affecte d’aucune manière les équilibres fondamentaux des pouvoirs et des institutions, le président de la République peut promulguer la loi portant révision de la Constitution sans la soumettre à référendum populaire si elle a obtenu les trois quarts (¾) des voix des membres des deux chambres du Parlement». Le Président Bouteflika a usé à deux reprises de ce droit: en 2002 lors de l’officialisation de la langue amazigh et en 2008 lors de la dernière révision constitutionnelle qui lui a permis de briguer un troisième mandat. Quand les équilibres des pouvoirs sont touchés par cette révision, on arrive alors au deuxième cas qui est mentionné dans l’article 174 de la Constitution. Ce dernier stipule clairement que «la révision constitutionnelle est décidée à l’initiative du président de la République. Elle est votée en termes identiques par l’Assemblée populaire nationale et le Conseil de la Nation dans les mêmes conditions qu’un texte législatif». A l’évidence, si le président estime que des amendements apportés au niveau de l’APN ont dénaturé son projet, il peut rejeter le projet grâce à son tiers bloquant au niveau du Sénat. En d’autres termes, c’est encore une fois au président de la République que revient l’initiative. Enfin, le troisième cas, qui donne la possibilité aux trois quarts des membres des deux chambres du Parlement réunis de proposer une révision de la Constitution.
L’argument de Me Benissaad
Même à ce niveau encore, le président peut mettre son veto car cette proposition de révision doit absolument avoir l’aval du président. Plus encore, l’article 177 de la constitution verrouille davantage le jeu en stipulant que le président peut accepter le projet proposé et le soumettre au référendum. Autrement, il a toute la latitude de le rejeter. «Ces trois cas font que la prochaine Constitution ne sera jamais une Constituante», tranche le professeur Isaad. Sur la même longueur d’onde, le président de la Laddh (Ligue algérienne pour la défense des droits de l’homme), Noureddine Benissad, estime que «le Parlement prochain et en vertu de la Constitution en vigueur et de la loi organique portant régime électoral, sera d’une mandature de 5 ans et ne sera pas par conséquent une Assemblée constituante». Pour Me Benissad, «la Constituante doit remplir deux conditions sine qua non: primo, être une instance transitoire et secundo, une instance qui est en même temps l’Exécutif et le Législatif. Le futur Parlement doit rassembler en son sein trois quarts de ses membres pour initier un projet de Constitution. Avec le mode de scrutin et l’émiettement des partis, je ne vois pas comment arriver à remplir cette condition». En dépit de ces arguments, le premier secrétaire du FFS, Ali Laâskri, estime qu’avec les prochaines législatives, «le peuple algérien est capable d’élire une Assemblée nationale forte qui sera aussi cette Constituante que le FFS oeuvre à mettre en place depuis plus de 50 ans».
Succombant à la même tentation, le PT propose dans son programme que les prochaines législatives «soient un rendez-vous pour élire une Assemblée constituante souveraine jouissant de toutes les prérogatives, notamment l’élaboration d’une nouvelle Constitution». Par ailleurs, l’Alliance verte ne s’encombre pas de détails. Ce nouveau conglomérat politique considère avec une incroyable légèreté que «le prochain Parlement sera une Assemblée constituante habilitée à amender la Constitution et instaurer, avec la volonté du peuple, un régime parlementaire (…)».