De Washington à Abbottabad : Dans le secret de la mise à mort de Ben Laden, alias «Geronimo»

De Washington à Abbottabad : Dans le secret de la mise à mort de Ben Laden, alias «Geronimo»
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Le récit de la traque et de la mise à mort d’Oussama Ben Laden. Par une nuit sans lune, quatre hélicoptères transportant 79 commandos américains fendent sur la résidence de Ben Laden.

Des coups de feu retentissent. Un hélicoptère décroche. Hors d’usage, il est brûlé sur place. Parmi les cinq victimes, l’un est un homme grand, barbu, avec un visage ensanglanté et une balle dans la tête. Un membre de la Navy Seals prend des photos avant de les transférer directement au siège de la CIA, à Langely, en Virginie.



Des analystes introduisent les clichés dans un programme de reconnaissance faciale. L’homme au visage ensanglanté, une balle, dans la tête, est Oussama Ben Laden. Une traque qui aura duré une dizaine d’années s’achève. Le corps inerte d’Oussama Ben Laden est placé dans un hélicoptère pour être immergé à la mer.

Le quotidien américain The New York Times a publié mardi 03 mai une passionnante enquête sur la traque et la mise à mort de Ben Laden. DNA en fait une traduction libre. La voici.

Rendez-vous à la Situatin Room, à la Maison Blanche

Dimanche 01 mai, après-midi. Alors que les hélicoptères survolent le territoire pakistanais, le président Obama, le vice-président Joe Biden, la secrétaire d’Etat Hillary Clinton, des conseillers et des membres du National Security se réunissent dans la « Situation Room » à la Maison Blanche pour surveiller l’opération telle qu’elle se déroule en direct.

La plupart du temps, Obama est silencieux, un « visage de marbre », selon un assistant présent sur les lieux. Le Vice-président, lui, égrène son chapelet. « Les minutes passent comme des jours », raconte John O. Brennan, chef de la lutte contre le terrorisme à la Maison Blanche.

Nom de code de Ben Laden : « Geronimo »

Le nom de code de Ben Laden est « Geronimo », du nom du guerrier Apache. Le président et ses conseillers regardent Leon E. Panetta, patron de le C.I.A. sur un écran vidéo, raconter à partir du siège de son agence sur la rivière Potomac le déroulement de l’opération au Pakistan.

« Ils ont atteint l’objectif », dit-il.

Des minutes s’écoulent.

« Nous avons un visuel sur Geronimo », dit-il.

Quelques minutes plus tard: « Geronimo EKIA. » [Ennemy Killed In Action]

Ennemi tué au combat. Le silence règne dans la « Situation Room ».

Enfin, le président prend la parole.

« Nous l’avons eu. »

Le messager de Ben Laden

C’est le nom de famille d’un mystérieux messager qui a mis la CIA sur la piste de Ben Laden. Une fois son obtenu, l’agence s’est tournée vers l’un des plus grands outils d’enquête dont disposent les Américains : la National Security Agency. Celle-ci commence à intercepter les appels téléphoniques et des messages e-mail entre la famille de l’homme et toute personne se trouvant à l’intérieur du Pakistan.

De là, ils obtiennent son nom complet.

Au mois de juillet 2010, des agents pakistanais travaillant pour la CIA, repèrent le messager au volant de son véhicule, près de Peshawar. Après des semaines de surveillance, celui-ci les conduit ver une grande résidence à Abbottabad. Les agents de renseignement américains pressentent qu’ils courent derrière quelque chose d’important, peut-être même Ben Laden lui-même.

Ce n’est guère la grotte spartiate dans les montagnes que beaucoup avaient envisagé comme étant la cachette du chef d’Al Qaïda. Au contraire, c’est une maison de trois étages entourée de hauts murs en béton, surmontés de barbelés et protégé par deux clôtures de sécurité.

« Il y avait de l’électricité dans l’air »

De retour à Washington, M. Panetta rencontre M. Obama et ses plus hauts conseillers à la sécurité nationale, dont M. Biden, la secrétaire d’État Hillary Rodham Clinton et Robert Gats, Secrétaire à la Défense M. Gates. La réunion est jugée tellement secrète que la Maison-Blanche n’a même pas mentionné le sujet de la réunion lorsque les uns et les autres ont été informés de sa tenue

Ce jour-là, M. Panetta parle longuement de Ben Laden et sa cachette présumée.

« Il y avait de l’électricité dans l’air », témoigne un fonctionnaire de l’administration qui a assisté à ladite réunion. « Pendant trop longtemps, nous avions essayé de mettre la main poignée sur ce gars-là. Et tout d’un coup, c’était comme, wow, il est là. »

Il y avait débat quant à savoir si Ben Laden est bien à l’intérieur de la maison. S’en suit des semaines de réunions tendues entre M. Panetta et ses subordonnés sur ce qu’il faut faire par la suite.

Alors que M. Panetta plaide pour une stratégie agressive pour confirmer la présence de Ben Laden, certains agents clandestins de la CIA craignent que cette piste, la plus prometteuse pendant des années, pourrait disparaitre si les gardes du corps de résidence soupçonnaient être l’objet de surveillance.

La résidence ne possède ni ligne téléphonique, ni accès à Internet

Pendant des semaines, au cours de l’automne 2010, des satellites espions ont pris des photos détaillées, et la NSA a travaillé pour ramasser toutes les communications provenant de la maison. Ce n’était guère facile: la résidence ne possède ni ligne téléphonique, ni accès à Internet. Ceux qui vivent à l’intérieur sont si préoccupés par la sécurité qu’ils brûlent leurs déchets plutôt que de le mettre dans la rue pour la collecte.

Au mois de février, M. Panetta rencontre le vice-amiral William H. McRaven, commandant d l’unit des opérations spéciales au Pentagone, au siège de la CIA, à Langley, en Virginie, pour lui fournir des détails sur la villa et pour commencer à planifier une attaque militaire.

L’amiral McRaven, un vétéran des services secrets auteur d’un livre les opérations spéciales américains, passe des semaines à travailler avec la CIA sur l’opération et en arrive à formuler trois options: un assaut par hélicoptère avec des commandos américains, un bombardements avec des bombardiers B-2 qui détruisent la résidence, ou un raid conjoint avec les agents de renseignement pakistanais lesquels seraient informés quelque heures avant le lancement de mission .

Désormais, la preuve est faite que Ben Laden est là

Le 14 Mars, M. Panetta informe la Maison Blanche de ses options. Des fonctionnaires de la CIA avaient pris des photos satellite, établissant ce que M. Panetta décrit comme les habitudes des personnes vivant dans l’enceinte. Désormais, la preuve est faite que Ben Laden est là.

Le 22 Mars, le président demande à ses conseillers leur avis sur les options présentées par le directeur de la CIA.

M. Robert Gates se monte sceptique au sujet d’un assaut par hélicoptère, le qualifiant de dangereux, et a chargé les autorités militaires de se pencher sur les bombardements aériens en utilisant des bombes intelligentes. Mais quelques jours plus tard, les fonctionnaires reviennent pour expliquer qu’il faudrait quelque 32 bombes de 2.000 kilos chacune. Et comment les responsables américains seraient-ils certains qu’ils ont tué Ben Laden?

« Ca aurait créé un cratère géant, et il n’aurait pas eu de corps [de Ben Laden,NDLR], » déclare un responsable du renseignement américain.

Le commando s’entraine sur une réplique de la maison de Be Laden

L’idée d’un assaut par hélicoptère émerge comme l’option privilégiée. L’équipe de Navy Seals qui doit mener l’opération commence à s’entrainer dans des installations situées sur les deux côtes américaines, installations construites à l’identique de la maison où se réfugie Ben Laden. Toutefois, ils n’ont pas été informés de l’identité leur objectif que plus tard.

Jeudi 28 avril, M. Obama s’est à nouveau réuni avec ses hauts responsables de la sécurité nationale.

M. Panetta dit au groupe que le C.I.A. s’est « mise dans la peau de Ben Laden » partagé ses renseignements avec d’autres analystes qui n’ont pas participé aux discussions pour savoir s’ils sont convaincus que Ben Laden se trouve à Abbottabad. Ils ont dit oui. Il est temps de prendre une décision.

Autour de la table, le groupe a étudié à plusieurs reprises les scénarios les plus négatifs. Il y a eu de longues périodes de silence, témoignage un assistant. Et puis, enfin, M. Obama parle : «Je ne vais pas vous dire maintenant ce qu’est ma décision – je vais prendre du recul et réfléchir encore un peu plus. » Mais il ajoute : « Je vais bientôt prendre une décision. »

Obama : « Vous avez mon feu vert ! »

Seize heures plus tard, sa décision est prise. Tôt le lendemain matin, quatre proches collaborateurs sont convoqués à Diplomatic Room, à la Maison Blanche. Avant de pouvoir informer le président, celui les coupe. « Vous avez mon feu vert ! », dit-il. Le président Obama vient de prendre sa décision pour éliminer Ben Laden.

Le plus tôt pour le déroulement de l’opération est samedi 30 mai, mais les fonctionnaires ont mis en garde contre la présence d’une masse nuageuse dans la région d’Abbottabad, ce qui pourrait la compromettre.

Le lendemain, M. Obama interrompt sa répétition pour le dîner du correspondants accrédités à la Maison Blanche prévu cette nuit-là pour appeler l’amiral McRaven et lui souhaiter bonne chance.

Le président suit l’assaut en direct

Le dimanche, la Maison-Blanche annulé toutes les visites des touristes à West Wing pour ne pas éveiller la méfiance et éviter que les célébrités de passage ne courent derrière les hauts responsables de la sécurité nationale retranchés dans la Situation Room pour suivre durant après-midi les informations répercutées par M. Panetta. Un membre du personnel est allé de quoi se sustenter – de la dinde, des crevettes nordiques et des boissons gazeuses.

A 14 heures 05, M. Panetta fait un topo une dernière fois sur le déroulement de l’opération. En moins d’une heure, le directeur de la C.I.A commence son récit, via la vidéo de Langley.

« Ils ont traversé la frontière vers le Pakistan », dit-il.

Element de surprise

L’équipe commando parcours de nuit le Pakistan à partir d’une base à Jalalabad, juste en face de la frontière, en Afghanistan. L’objectif est d’entrer et de sortir avant que les autorités pakistanaises ne détectent la violation de leur territoire et éviter qu’elles réagissent face à des forces inconnues avec des résultats éventuellement violents.

Au Pakistan, il est à peu après minuit ce lundi 1 mai, et les Américains comptent sur l’élément de surprise. Comme le premier des hélicoptères s’est soudain lancé à basse altitude, des voisins entendent une forte explosion et des coups de feu. Une femme qui vit à deux kilomètres de là dit qu’elle pensait que s’agissait d’une attaque terroriste sur une installation militaire pakistanais. Son mari dit que personne n’avait la moindre idée que Ben Laden se cachait dans ce quartier calme pour riches.

Hamza, de Ben Laden est tué

L’équipe de Seal fait irruption dans l’enceinte – le raid a réveillé le groupe à l’intérieur, explique un responsable du renseignement américain – et une fusillade éclate. Un homme se saisit d’une femme non identifiée pour l’utiliser comme un bouclier tout en tirant sur les Américains. Les deux sont tués. Deux hommes sont morts ainsi, et deux femmes sont blessées. Le autorités américaines ont déterminé plus tard que l’un des hommes tués était le fils de Ben Laden, Hamza, et les deux autres étaient le messager et son frère.

Ben Laden est tué d’un balle logée au-dessus de l’œil gauche

Les commandos trouvent Ben Laden au troisième étage, portant la tunique locale, revêtu d’un pantalon connu comme un salwar kameez. Ben Laden résiste avant d’être abattu d’une balle logée au-dessus de l’œil gauche, vers la fin du raid qui aura duré 40 minutes. Un haut responsable du Pentagone, s’exprimant sous le sceau de l’anonymat, déclare qu’il était clair que Ben Laden « a été tué par des balles américaines. »

Les responsables américains insistent qu’il ils auraient pris Ben Laden en détention s’il n’avait pas résisté, même s’ils estiment que la probabilité à distance. « Si nous avions la possibilité de prendre Bin Laden en vie, s’il ne présentait pas une menace, les personnes concernées étaient en mesure de le faire et prêts à le faire», affirme M. Brennan .

Une des femmes de Ben Laden a identifié son corps, affirment des fonctionnaires américains. Une photo prise par un commando et traitée par un logiciel de reconnaissance faciale suggère une certitude de 95 pour cent qu’il s’agit d Ben Laden. Plus tard, des tests d’ADN comparé des échantillons avec des parents indique qu’à 99,9 pour cent, il s’agit de Ben Laden.

Mais les Américains font face à d’autres problèmes. Un de leurs hélicoptères a calé et ne peut donc pas décoller. Plutôt que de le laisser tomber entre de mauvaises mains, les commandos l’a fit exploser.

Ce stade, cependant, l’armée pakistanaise a été alertée sur l’incursion en territoire pakistanais. « Ils n’avaient aucune idée de qui aurait pu être là-bas, dit M. Brennan. Heureusement, il n’y avait pas d’engagement avec les forces pakistanaises. »

Le commando quitte les lieux à 01h10 heure locale, en prenant une mine de documents et les disques durs des ordinateurs trouvés dans la maison, en laissant derrière eux femmes et enfants.

Le corps de Ben Laden hissé sur une planche et plonge progressivement dans la mer quelque part dans le golfe d’Arabie

L’administration Obama a déjà décidé qu’elle suivrait la tradition islamique de l’inhumation dans les 24 heures pour éviter d’offenser les musulmans, et conclut que Ben Laden sera inhumé en mer, car aucun pays ne serait prêt à prendre le corps. En outre, les Américains ne voulaient pas créer un sanctuaire pour les disciples de Ben Laden.

Donc, le corps du chef-Qaïda est d’abord transporté en Afghanistan où il a été identifié par une des femmes de Ben Laden. Ensuite il est transporté par avion à bord duquel le corps est lavé et placé dans un drap blanc selon la tradition.

Sur le porte-avions Carl Vinson, il est placé dans un sac. Un officier lit la cérémonie religieuse, traduites en arabe par un traducteur local, selon un haut responsable du Pentagone.

Le corps est ensuite placé sur une planche et progressivement mis en mer. Seul un petit groupe de gens qui regarde de l’une des plates-formes du porte-avion a été témoin de la fin d’Oussama Ben Laden.