Beaucoup de chercheurs avaient prédit pour la radio une lente agonie à l’ère du déferlement des images. Elle paraissait semblable au fétu de paille emporté par un torrent impétueux à qui rien ne pouvait résister.
Elle a vécu, un peu avant terme, la situation des journaux en papier qui virent leur audience s’effilocher dans le sillage de l’intrusion des télévisions et surtout d’internet. Plus qu’eux, elle avait perdu le monopole qui faisait jusque-là sa force et son attrait.
La radio suscitait au mieux de la nostalgie. Beaucoup de personnes reconnaissent qu’ils furent, dans ce qui s’apparente de plus en plus à un autre monde, d’attentifs et fidèles auditeurs, même des services arabes ou français de grandes radios comme la BBC ou Deutsch Welle, Radio France Internationale ou même de la lointaine Radio Moscou. « Elles étaient une fenêtre sur le monde et elles nous permettaient parfois de gagner des cadeaux et de correspondre avec des étrangers en ces années 70 où il était difficile pour un Algérien de sortir du territoire national » se souvient un restaurateur qui a cessé de tourner un bouton depuis belle lurette.
Avec le foisonnement des radios nationales, nul besoin de chercher ailleurs. « Même si toutes les voix ne s’expriment pas encore sur nos ondes, le caractère démocratique des débats apparaît de plus en plus visible dans les émissions ». L’apparition de radios thématiques, notamment celles destinées aux jeunes, comme Jil FM ou El Bahdja, a rogné sur l’audience de chaînes comme France Inter, RMC ou Medi 1 qui attirent un public plus restreint. C’est le cas de ce professeur à l’école des banques qui a fait ses études en Belgique. Kamel cite des noms d’émissions, de grands animateurs comme José Arthur, Macha Beranger qui ne disent pas grand-chose aux nouvelles générations. « Je fais partie d’une autre époque » dit il en riant.
La première cause de la désaffection pour la radio est claire. Les ondes n’ont plus le privilège d’annoncer « à chaud » l’information maintenant que les images de la moindre manifestation ou de la plus banale des déclarations défilent en direct sur des milliers écrans. La toile bruit du moindre frémissement de la planète. Le reporter radio se précipitant dans sa cabine pour annoncer à sa radio ou son journal un événement est une figure qui disparu. On la retrouve dans quelques films d’époque qui évoquent presque un autre monde. L’âge d’or de la radio était dans les années 40 et 50.
La dramatique d’Orson Welles « La guerre des mondes » suivie quelques années plus tard de l’appel à la résistance lancé par le général de Gaulle en Juin 1940 à ses compatriotes illustre la puissance et la portée de cet appareil né au tournant du XXe siècle. Frantz Fanon dans « L’an 5 de la révolution algérienne » a montré les effets de la radio dans la famille et les bouleversements qu’elle avait introduits dans la sphère familiale et les relations sociales. Lors de la guerre de libération nationale, les émissions diffusées sur les ondes depuis le Caire puis Tunis, la voix de Aissa Messaoudi ont marqué les esprits.
La nouvelle reine
L’arrivée progressive de la télévision a bouleversé l’ordre. Elle était la nouvelle reine. La possession d’une radio TSF n’était plus un signe de distinction. La qualité des émissions, la valeur de grands animateurs ont prolongé un peu partout l’engouement mais le mouvement de déclin semblait irréversible. Au fil des années, elle ne trônait plus dans les foyers où la lucarne magique avait pris toute la place.
« J’ai vécu à Alger et durant toute ma jeunesse au début des années 80, ma mère nous réveillait avec les émissions de Si Smail sur la chaîne kabyle » se souvient Boussad. « Nous avions déjà la télé en noir et blanc mais il fallait attendre l’après-midi pour que les programmes commencent ». La radio, même avec des émissions comme « Contact » « Local rock » perdait du terrain. Même dans les pages de journaux, ses programmes ont disparu et les animateurs de télévision captaient davantage l’attention. Mourad Zirouni est sans doute mieux connu que Kadri Agha. Depuis quelques années, la radio remonte quelque peu une pente glissante.
Elle s’est retrouvée un peu comme les journaux à qui la télévision, considérée au début comme un concurrent mortel, a donné un second souffle. Les programmes de télévision ont suscité une véritable édition de magazines spécialisés, créneau de presse écrite très dynamique ailleurs. L’Algérie, avec le développement annoncé de l’audiovisuel, pourrait connaître le même phénomène. Le petit écran a ensuite donné l’occasion à des animateurs de se redéployer et de se faire davantage connaître. C’est le cas d’Ahmed Lahri ou de Mahrez sur la chaîne III.
Relation directe et discrète
Dans notre pays, le taux d’analphabétisme a été longtemps un facteur d’attraction pour la radio. Quand on ne peut lire un quotidien, c’est le canal le plus indiqué pour s’informer. C’est un média qui s’adresse à toutes les couches de la société. « Je préfère encore la radio nous avoue un auditeur qui, lui, met en avant des problèmes de cécité.
« Je n’aime pas trop la télévision qui me fatigue les yeux et mon poste à portée de main me laisse le temps de réfléchir » nous confie un ami. L’auditeur se ménage souvent un moment de réflexion, parfois de rêverie, car, ajoute ce professeur de lycée, « la télévision est plus absorbante, l’image est en quelque sorte plus envahissante que la parole ». Un tantinet coquin, il ajoutera que « beaucoup d’auditeurs fantasment sur des voix ». Qui a oublié celle de Nawal sur la chaîne I ou de Leila Boutaleb sur la chaîne III ? Il suffit de tendre l’oreille la nuit pour découvrir le pouvoir apaisant de ces femmes ou hommes dont la voix arrive à tisser une relation de complicité.
Depuis quelques années, la radio semble de nouveau retrouver une nouvelle jeunesse. Si elle a perdu du terrain dans les foyers, elle trône désormais en maîtresse dans les voitures. « C’est pour moi un geste automatique comme celui de mettre la ceinture de sécurité. Quand je suis seul au volant elle me tient compagnie. J’écoute les informations, des chansons et m’intéresse à la météo » nous confie un employé de la gare routière d’Alger qui fait la navette quotidienne Boudouaou-Alger. « J’aime bien cette programmation variée qu’assure la radio ». Cette relation directe avec des animateurs et la discrétion qu’assure la radio est l’un des facteurs qui semble expliquer le succès d’émissions qui traitent de sujets liés à la famille, l’intimité. La radio a été toujours imbattable sur ce terrain.
Sur toutes les chaînes de la radio nationale, les imams et les psychologues sont très sollicités. Les chaînes de radio jouent également un rôle plus actif dans la promotion de la musique, la prise en charge des besoins sociaux de tranches fragiles de la population. Les radios locales rendent, nonobstant la place des activités officielles dans les grilles de programmes, d’énormes services aux auditeurs. « La radio est moins guindée et plus décontractée dans l’usage des langues populaires comme en témoigne le succès des émissions de distraction » juge cette auditrice fan, comme beaucoup d’autres, de Mehdi sur la chaîne III.
Sur la chaîne II, Makhlouf, avec ses facéties, rencontre aussi le succès. Le portable explique également cet engouement. Sur les lieux de travail, dans la rue, dans les transports collectifs, nul besoin de s’encombrer d’un poste. Samira, étudiante en sciences de l’information estime que « c’est pour moi la meilleure façon d’éviter les mauvaises réflexions, les mots de travers. Je suis loin des autres, préférant écouter mes musiques ». Une employée d’Algérie Poste au bureau a davantage les oreilles rivées sur les recettes de cuisine qu’elle prend soin de noter soigneusement que sur les fiches techniques qu’elle a devant les yeux.
Paradoxalement, les évolutions techniques ont servi la radio. Elle n’ont pas été, pour elle, un coup de grâce. Un Algérien à New York, Riyad ou Dakar peut suivre les programmes nationaux sans encombre. Même la télévision, en diffusant un bouquet de chaînes dans toutes les langues, sert cette redécouverte de l’écoute. Comme le serpent, le progrès technologique a fini par se mordre la queue. Les ondes ne sont plus brouillées.
R. Hammoudi