Un nouveau câble diplomatique de l’ambassade américaine à Alger, mis en ligne par le site Wikileaks, montrent l’intérêt que les Américains portent au scandale de corruption qui a secoué la compagnie nationale Sonatrach en janvier 2010.
Dans un mémo en date du 21 février 2010, l’ambassadeur analyse les conséquences à moyen et à long terme de ces affaires de malversations présumées qui ont décapité la direction de l’entreprise pétrolière. Le même révèle également que l’ancien ministre de l’Energie, Chakb Khelil, n’a pas informé ni le Premier ministre ni le Président que les capacités d’exportations de gaz, « un dossier explosif », sont menacées à l’horizon 2015.
Intitulé « les compagnies pétrolières inquiétés par l’avenir de l’énergie algérienne », le diplomate fait référence à deux rencontres tenues séparément avec le manager de PB (British Pétroleum) en Algérie ainsi que le directeur de ConocoPhillips.
En préambule, l’ambassadeur, David Pearce, note que les grands groupes pétroliers nourrissent des inquiétudes sur l’impact du scandale sur le management de Sonatrach et sur l’avenir ds projets en cours. « Le ministre de l’Energie, Chakib Khelil, est perçu comme étant au cœur de la pourriture au sein de Sonatrach (a the center of the rot in Sonatrach) », écrit le diplomate.
Il ajoute que ces compagnies estiment que les enquêtes sur la corruption constituent des attaques contre l’influence exerce le clan de l’ouest du président Bouteflika. Toutefois, note-t-il, l’ambassade américaine ne dispose pas d’éléments probants pouvant accréditer cette théorie.
Procédure de gré-à-gré
Le patron de BP, Akli Brihi, explique que les investigations à Sonatrach concernent la règle du gré-à gré instaurée par les dirigeants de l’entreprise pour octroyer des marchés à des compagnies pétrolières ou à des sociétés de services.
« La compagnie soumet une offre gonflée, puis elle rétribue les initiés de Sonatrach », dit-il. Il cite alors l’exemple de l’italienne Saïpem qui a obtenu un contrat « d’un milliard de dollar » de gré-à-gré pour l’usine de GNL d’Arzew.
Il cite aussi l’exemple de l’entreprise canadienne SNC-Lavalin qui a décroché en juillet 2009 un contrat de 320 millions de dollars, sous la même procédure, pour la construction de la « Nouvelle ville » de Hassi Messaoud. Le contrat, ajoute l’hôte de l’ambassadeur, était « souillé par un arrangement similaire ». Le directeur de ce projet, Mourad Zeriati, a été arrêté et jeté en prison.
Le manger de PB affirme « qu’il n’était pas inconcevable que les entreprises américaines soient impliquées dans ces transactions, mais il n’avait jamais entendu parler d’informations concrètes. »
Foreign Corrupt Pracices Act
David Pearce rappelle que les compagnies américaines « sont soumises à des procédures très strictes contenues dans le Foreign Corrupt Pracices Act ». Les dispositions anticorruption, votées en décembre 1977, interdisent aux sociétés, ou à leurs intermédiaires, de verser des pots-de-vin ou d’offrir un quelconque objet de valeur à un « fonctionnaire » dans le but de l’influencer ou d’en tirer un « avantage indu ».
Le directeur de PB affirme à l’ambassadeur que le scandale a éclaté à un mauvais moment, parce que Sonatrach et les autorités algériennes ne sont éveillées au fait que l’Algérie fait face à une baisse de production de gaz et à une éventuelle incapacité de satisfaire aux obligations d’exportation et la hausse de la demande intérieure à l’orée de l’année 2015.
Le manager de British Petroleum est convaincu que le ministre de l’Énergie et des Mines Chakib Khelil, dégommé de son post en mai 2010, est « responsable de la culture de corruption à Sonatrach ».
Réda Hemche l’éminence grise de Meziane
L’ambassade américaine a reçu des rapports indiquant qu’un proche de Khelil (un cousin ou un neveu), l’ancien chef de cabinet de Sonatrach, était l’homme derrière les contrats douteux.
« Travaillant pour le compte de Khelil, écrit le mémo de l’ambassade, Hemche conseillait Mohamed Meziane sur les contrats à signer, faisant de Meziane le responsables légal et laissant Hemche hors d’atteinte. Le patron de PB croit savoir que Meziane avait signé de nombreux contrats sous la contrainte.
Il a indiqué « que M. Khelil avait fait un excellent travail en tant que ministre » jusqu’à ce que sa loi sur les hydrocarbures soit rejetée en 2006. Il note que c’est à partir de cette année-là que que M. Khelil a installé Hemche et commencé à virer les cadres de haut niveau de Sonatrach pour les remplacer par des « yes-men ». Des béni oui-oui…
Réserves de gaz en baisse
Sonatrach, dit-il, n’est pas sur la bonne voie pour réaliser l’objectif déclaré publiquement par Khelil d’élever la production de gaz de 60 à 80 milliards de mètres cubes par an. La production de gaz est en baisse en raison de l’épuisement des réserves de gaz conventionnel du pays.
« L’Algérie a besoin de développer du gaz non-conventionnel », ajoute le représentant de PB. Y compris les gaz de schiste, présents en quantité mais dont l’exploitation nécessite un savoir-faire et de grands investissements.
Or il n’y a que trois entreprises qui possèdent la technologie et les ressources financières ressources pour ce faire: Exxon, BP et Shell. Il faudrait du temps et jusqu’à 50 milliards de dollars pour développer les infrastructures nécessaires, précise-t-il.
Khelil a caché un dossier explosif à Bouteflika et à Ouyahia
Interrogé par l’ambassadeur pour savoir quelle est l’étendue de cette pénurie à l’exportation qui se profile à l’horizon, le patron de PB Algérie affirme que Chakib Khelil en est conscient mais qu’il « pas présenté ce ‘dossier explosif’ au Premier ministre Ahmed Ouyahia et au président Bouteflika ».
Pourquoi les autorités algériennes ne se sont-elles pas intéressées à ce dossier ? Le patron de BP explique que « M. Bouteflika est très intelligent », mais n’écoute pas les autres. Et que dans tous les cas, le secteur de l’énergie ne constitue pas son principal centre d’intérêts, qui reste la politique. « Il a confié les questions liées à l’énergie à Khelil, qui est resté le conducteur de la politique énergétique de l’Algérie. »
Les experts de Sonatrach qui étaient au courant pendant des années de cette imminente vulnérabilité de l’Algérie ont été écartés ou marginalisés par Khelil, ajoute le câble diplomatique.