La tentation de fermer les bars et débits de boissons alcoolisées ou d’empêcher les Algériens de boire n’est pas l’apanage des islamistes autant qu’elle ne date pas d’aujourd’hui.
Depuis l’indépendance du pays en juillet 1962, de Ben Bella à Bouteflika, en passant par Boumediene les autorités ont pris une batterie de mesures pour régenter le droit des Algériens de prendre un verre. Explications.
Le décret de Ben Bella
A peine arrivé au pouvoir sur les blidées de l’armée des frontières en septembre 1962, Ahmed Ben Bella, premier président de l’Algérie, fait publier au journal officiel le 4 janvier 1963 un décret, le n°62-147 du 28 décembre 1962, portant interdiction de la consommation d’alcool et de boissons alcoolisées. En vertu de ce décret, la consommation d’alcool est interdite à tous les Algériens de confession musulmane.
Le texte prévoit des amendes administratives, pouvant aller jusqu’à la « fermeture temporaire ou définitive », des établissements qui ne se conforment pas à la loi. « Les Algériens pris en flagrant délit de consommation d’alcool ou de boissons alcoolisées seront poursuivis devant les tribunaux de simple police dans le cadre de la législation sur l’ivresse publique », énonce le décret. En cas de récidive, « une peine de prison pourra être appliqué » contre le consommateur.
Bien sûr, le décret n’a pas empêché les Algériens de boire pas plus qu’il n’a contribué à fermer les établissements, mais il renseigne suffisamment des tentations liberticides de Ben Bella.
Les débits de boissons offerts à la famille révolutionnaire
Ahmed Ben Bella débarqué lors du coup d’Etat du 19 juin 1965, son successeur Houari Boumediene annonce un nouveau tour de vis. Le président du Conseil de la révolution signe le 14 octobre 1965 un décret qui accorde les licences de débits de boissons aux seuls anciens moudjahidine et aux veuves et ascendants directs de chouhada.
L’article 2 du décret stipule que « Les licences retirées seront attribuées exclusivement aux anciens moudjahidine ainsi qu’aux veuves et ascendants directs de chouhada qui n’exercent pas une activité rémunérée. »
Boumediene ordonne l’arrachage de 90 % du vignoble algérien
Cinq années plus tard, Boumediene s’illustre par une action aussi fulgurante que catastrophique pour le secteur vinicole en Algérie. Nous sommes à la fin des années 1960. La France, premier client de l’Algérie, décide de suspendre ses importations de vins algériens, l’une des plus importations ressources financières du pays.
Deux années de suite, la récolte ne trouve pas d’acheteurs tant et si bien qu’au début de 1970, le stock de vin invendu est de 16 millions de tonnes.
Furieux de l’attitude des France, Boumediene ordonne l’arrachage des vignes : 90 % du vignoble algérien devront être rasés en l’espace de deux ans, ordonne le président au ministère de l’Agriculture. Un cataclysme pour la filière la plus rentable en Algérie. Des milliers d’hectares tombent en jachère et des milliers d’emplois sont perdus.
Si la destruction du vignoble est dictée par des considérations économiques et politiques, Boumediene ne tient pas moins à contenter les religieux et les conservateurs opposés à la production et à la consommation de l’alcool.
Cinq années plus tard, le gouvernement promulgue, le 29 avril 1975, un décret portant réglementation administrative des débits de boissons alcoolisées et non alcoolisées.
Tolérance avec Chadli Bendjedid
Durant ses treize années passées au pouvoir, le président Chadli a rarement été tenté par la prohibition ou la chasse aux consommateurs d’alcool. La chronique des années 1980 ne fait pas mention de bars fermés ou de débits de boissons contraints par l’administration à baisser rideau.
Il faudra attendre l’entrée en politique des islamistes du FIS en s’emparant de la majorité des communes d’Algérie en juin 1990 pour assister aux premières vagues d’intolérance.
Tout autant que la mixité, le cinéma ou le port du bermuda, les islamistes décrètent que l’alcool est haram (péché), layadjouz (illicite). Une campagne de moralisation de la société est lancée par les intégristes bien que peu d’établissements aient été frappés d’interdits.
L’alcool explose au cours de la décennie rouge
Le grand paradoxe est que la consommation de l’alcool explose en Algérie durant la guerre civile des années 1990, ce qui est appelé communément la décennie rouge. Au cœur du terrorisme, alors que le couvre feu est de vigueur, les bars sont ouverts tard la nuit et certains ne relâchent leurs clients qu’à 6 heure du matin avec la levée de l’interdiction de circuler.
C’est au cours des années 1990, que les importateurs de bières et de Whisky inondent le marché algérien. Et c’est également à la fin des années 1990 et début 2000 que la production de la bière locale explose avec l’arrivée sur le marché des marques Tango (produites par l’homme d’affaires Djilali Mehri, candidat du parti islamiste MSP aux législatives de 1991), Amstel, Stella Artois ou Heineken, produites sous licence.
Les députés interdisent l’importation de l’alcool
Les premières vagues d’intolérance arrivent en 2003, trois ans après l’accession au pouvoir de Bouteflika. En novembre 2003, les députés de l’APN votent l’interdiction d’importations de l’alcool dans le cadre de la loi de finance 2004. Si le texte est adopté par 108 voix contre 83, il ne sera jamais appliqué dans la mesure où il est abrogé.
Les bars d’Alger ferment à tour à tour
Si le texte est passé à la trappe, les conservateurs se rattraperont durant le passage d’Abdelaziz Belkhadem, SG du FLN et islamo-conservateur notoire, à la tête du gouvernement entre 2006 et 2008.
Au motif de réglementer les gestions des débits de boissons alcoolisées, administration et élus locaux ferment des dizaines de bars et débits de boissons à Alger ainsi que dans d’autres coins du pays. Depuis cinq ans, on dénombre la fermeture de plus de 2000 locaux commerciaux.
En janvier 2006, le ministre du Commerce, El Hachemi Djaboub, issu du parti islamiste MSP, énonce une instruction qui soumet l’activité de gros en boissons alcoolisées à autorisation préalable du wali. Et de nombreux responsables se sont engouffrés dans la brèche pour refuser d’accorder des agréments aux grossistes provoquant une hémorragie dans la profession.
Seule région à échapper à ces oukases, la Kabylie. Autant ailleurs on ferme, autant en Kabylie on ouvre bars, dépôts et usines de production de bière.
In fine. Des sept chefs de l’Etat qui ont présidé aux destinées de l’Algérie depuis 1962, au moins trois (Bouteflika, Ali Kafi et Liamine Zeroual) sont réputés pour avoir été des amateurs de Whisky. Quant aux ministres et hauts gradés de l’armée qui taquinent la dive Bouteille, ils sont légions. Un général à la retraite, Mohamed Attailia, est même connue pour être un grand importateur de boissons alcoolisées. Mais tout cela reste dans la sphère privée.