Dar Eddroudj sur Al Jazaïria One: L’art de la télé ressuscité

Dar Eddroudj sur Al Jazaïria One: L’art de la télé ressuscité

La chaîne de télévision privée Al Jazaïria One diffuse, depuis le début du ramadhan, le short-com Bab Eddroudj réalisé par Damien Ounouri sur une idée de Adila Bendimerad. Ce programme frais et déjanté dénote par son intelligence, son humour et sa modernité.

Les compétences et les talents du cinéma débarquent cette année sur le petit écran avec Dar Eddroudj, un produit iconoclaste et totalement innovant diffusé chaque soir à 19h30 sur El Jazaïria One. D’une durée de sept minutes, chaque épisode raconte une journée anecdotique de la famille Boufekroun composée des grands-parents, leurs trois filles dont deux mariées avec des enfants et une célibataire.

Habitant tous dans une maison aménagée en appartements indépendants, ces personnages atypiques sont écrits sciemment pour se démarquer de tous les archétypes éculés, parfois déréalisés et rigides, servis jusque-là par la majorité des produits télévisuels algériens. Réalisé par le cinéaste Damien Ounouri (Fidaï, Kindil El bahr), Dar Eddroudj rassemble une équipe détonante dont une bonne partie vient du milieu cinématographique.

L’idée vient de la comédienne Adila Bendimerad (Le repenti, Les terrasses, Kindil, etc.) qui écrit le scénario en compagnie des réalisateurs Yanis Koussim (Khouya, Khti, Alger by night) et Sofia Djama (Mollement un samedi matin, Les bienheureux). Le short-com est porté par un casting des plus colorés avec Aïda Kechoud et Zohir Bouzerar dans les rôles de deux grands-parents respirant la jeunesse et l’amour fou ; Schéhérazade Kerachni campant Boudour, la fashion-victime un peu bizarre mariée à Slimane (Mohamed Bounoughaz), pilote de chasse, et maman d’un petit garçon calé en pâtisserie (Hani Mechani) ; sa sœur Goussem (Ania Louanchi) qui vient de reprendre le boulot après six ans consacrés à l’éducation de ses deux enfants Zaïneb et Aymen (Maïssa Belaroussi et Aghilès Mechani) et à soutenir son mari Azeddine (Amine Mentseur) dans sa carrière d’acteur ; enfin, Myah (Meryem Medjkane), jeune fille disjonctée et accro au sport.

Légère et aérée tout en affichant une forte identité, Dar Eddroudj se distingue par une charge thématique irrévérencieuse enveloppée dans une forme humoristique et digeste. Il s’agit ici de dépeindre une famille algérienne moderne, aux antipodes des clichés stagnants véhiculés par une majorité écrasante des productions télévisuelles algériennes.

Exit le père autoritaire bombant le torse et contrôlant le foyer, la femme cloîtrée dans sa cuisine s’extasiant des odeurs de ses plats, les jeunes filles modèles transpirant la vertu, les enfants robotisés, etc.

Avec les Boufekroun, c’est une tout autre vision de la famille algérienne qui crève l’écran : ni occidentale, ni orientale, ni déstructurée, ni schématique, elle existe par ses particularités, ses problèmes, ses bonheurs simples et ses excès sans jamais s’ériger en échantillon faussement représentatif de la société. Pas de clichés donc, mais pas de rupture non plus avec une âme algérienne qui rôde dans chaque épisode, non pas à travers des surenchères moralisatrices ou un dispositif folklorique, mais par le truchement de petits détails parfaitement naturels rappelant, avec bonheur, les boutades renversantes de certains anciens films et téléfilms de la belle époque.

Damien Ounouri réussit, avec son équipe, le défi d’un sitcom éminemment moderne et joyeux, notamment grâce à une mise en scène dynamique et délestée de toute fioriture et une écriture légère et intelligente. Dar Eddroudj est là pour faire rire, certes, et il le fait avec d’autant plus de talent qu’il ne verse jamais dans la bouffonnerie ou l’humour facile devenus les fléaux du petit écran algérien.

Il fait réfléchir également puisqu’il s’agit d’y glisser certains clins d’œil satiriques sur les travers de la société algérienne.

On se souviendra notamment de cette scène où Goussem fait son tutoriel sur Youtube au sujet du 8 mars et des cadeaux que les femmes sont en droit d’exiger à leurs maris (parfums de marque, maquillage, etc.) alors que la vieille femme de ménage affiche, derrière son dos, des pancartes exhortant les femmes à sortir manifester pour leurs droits ! Il y a aussi cet épisode où la punition d’une enfant consiste en la lecture du Petit Prince et la rédaction de son résumé, etc.

Certainement, l’un des meilleurs programmes de ce mois de ramadhan 2018 tant il séduit par sa qualité formelle et son audace thématique.

Sarah H.