Dansant sous la pluie, émus ou solennels, des dizaines de milliers d’anonymes, une centaine de dirigeants, et des stars : l’Afrique du Sud et le monde étaient rassemblés mardi à Soweto, unis par la fierté de rendre à Nelson Mandela un hommage digne de ce géant du XXe siècle.
Des dizaines de milliers de Sud-Africains, des convois présidentiels, des stars et des politiques : son pays et le monde convergeaient, ce mardi, vers Soweto, unis par la fierté de rendre à Nelson Mandela un hommage digne de ce géant du XXe siècle.
«Les jours qui ont suivi la mort du héros de la lutte anti-apartheid, survenue jeudi, j’ai pleuré. Mais aujourd’hui est un jour de célébration», lançait Luyanda, une étudiante de 19 ans en esquissant un pas de danse à son arrivée au stade de Soccer City, près de Johannesburg. Comme elle, de nombreux Sud-Africains se sont levés à l’aube, bravant la pluie, pour emprunter des transports en commun jusqu’au stade, où une cérémonie officielle d’hommage au père de la Nation doit commencer à 11H00 (09h00 GMT). Au même moment, sur les aéroports de Johannesburg et Pretoria, les délégations étrangères se succèdent à un rythme soutenu : le Président américain Barack Obama et sa femme Michelle, le Président François Hollande et deux ministres, le vice-président chinois Li Yuanchao… Une centaine de dirigeants doivent assister à la cérémonie, ainsi que des dizaines d’anciens leaders, des personnalités du monde du sport ou de la culture, qui se retrouveront dans les gradins avec 80 000 personnes. «On nous avait suggéré de mettre une cravate noire», a raconté le Premier ministre britannique, David Cameron, à son arrivée dans le stade, où le chanteur Bono ou l’actrice Charlize Theron avaient déjà pris place. «Mais quand on entend cette clameur, quand on voit l’atmosphère de fête qui règne ici, il devient évident que les Sud-Africains veulent dire au revoir à ce grand homme, mais aussi célébrer sa vie et son héritage. Et je pense qu’ils ont raison.» Brandissant des drapeaux sud-africains, enveloppés dans des tissus noir, jaune et vert – les couleurs du Congrès national africain (ANC), le parti de Mandela -, les Sud-Africains reprenaient en chœur des chants de la lutte contre le régime raciste. Dans leur répertoire : «Siyaya e Pitoli» (Nous allons à Pretoria – la capitale, symbole du pouvoir), Shosholoza (le bruit des trains qui amenaient les Noirs travailler dans les mines)… A la tribune, Barack Obama et le Président cubain Raul Castro mettront leurs différends entre parenthèses pour saluer la mémoire du Nobel de la Paix 1993. Tous devraient saluer le parcours exemplaire d’un homme qui a passé vingt-sept ans en prison pour avoir combattu la ségrégation raciale dans son pays avant de négocier une transition pacifique parachevée par son élection à la présidence, en 1994.
R.I. / Agences
Inhumation, dimanche
Après la cérémonie d’hommage officiel, ce mardi, la dépouille du héros national sera exposée pendant trois jours au siège du gouvernement à Pretoria, des processions étant prévues chaque matin dans les rues de la capitale. Elle sera transférée samedi vers le petit village de Qunu, dans le sud-est rural du pays, la terre des ancêtres xhosas de Mandela. C’est là qu’il sera enterré dimanche aux côtés de ses parents et de trois de ses enfants, lors d’une cérémonie traditionnelle, mêlant le culte chrétien et le rite xhosa.
Le sourire aux lèvres
«Je ne doute pas un seul instant que lorsque j’entrerai dans l’éternité, j’aurai le sourire aux lèvres», avait-il dit, lors des premières années heureuses de sa présidence (1994-1999). Qualifié un jour d’«icône mondiale de la réconciliation» par Desmond Tutu, l’une des hautes figures de la lutte anti-apartheid, celui que ses compatriotes appelaient «Madiba» incarnait des valeurs d’autant plus universelles qu’il n’a jamais prôné ni religion ni idéologie. Juste un humanisme à l’africaine, profondément nourri de la culture de son peuple, les Xhosas.
Baptême du feu avec un Algérien
Nelson Mandela, qui s’était engagé dans la lutte armée au début des années 60, avait demandé l’aide des Algériens rompus à des années de guerre d’indépendance contre la France, se souvient un ancien officier algérien de l’Armée de libération nationale (ALN), Noureddine Djoudi. «Nelson Mandela était un pacifiste, un adepte de Gandhi. Il est arrivé au Maroc en 1962, à quelques mois de l’indépendance algérienne, avec « d’autres révolutionnaires d’Afrique pour rencontrer l’état-major de l’Armée de l’ALN » et, mieux, organiser la lutte contre l’apartheid, raconte à l’AFP Noureddine Djoudi. A 44 ans, l’avocat pacifiste Nelson Mandela s’était retrouvé à la tête d’Umkhoto We Sizwe, la branche armée du Congrès national africain (ANC), créé après le massacre en mars 1960 de 69 manifestants noirs par les forces de l’apartheid à Sharpeville (sud de Johannesburg). «Nous avions pris l’engagement d’aider l’ANC et de lui accorder tout ce qu’il souhaitait», indique M. Djoudi. C’est dans le camp de Zeghanghan, dans le Rif marocain, où se repliaient les rebelles algériens que Nelson Mandela a connu son baptême du feu. Madiba a tiré pour la première fois «avec un fusil d’assaut Mauser équipé de balles 7-92, raconte M. Djoudi qui fut aussi son instructeur. Et nous avons failli avoir un grave accident». «Ce fusil a un recul énorme et il fallait bien le caler contre la clavicule, mais Madiba ne l’a pas fait. En tirant, il a été propulsé en arrière et m’est tombé dessus. Heureusement que j’étais là», poursuit l’ancien officier de l’ALN, alors âgé de 28 ans.
Rebelle précoce
Né le 18 juillet 1918 dans le petit village de Mvezo, dans le Transkei (sud-est) au sein du clan royal des Thembus, de l’ethnie xhosa, le futur leader de la rébellion noire est prénommé par son père Rolihlahla : «Celui par qui les problèmes arrivent.» C’est son institutrice, conformément à la pratique de l’époque, qui lui attribue arbitrairement le prénom de Nelson, à son entrée à l’école primaire. Rebelle précoce, le jeune Nelson commence sa vie par deux ruptures : étudiant, il est exclu de l’université de Fort Hare (sud) après un conflit avec la direction. Peu après, il fuit sa famille, à 22 ans, pour échapper à un mariage arrangé. Et débarque, plein d’espoir, à Johannesburg la tumultueuse. C’est là, dans cette gigantesque, dangereuse mais excitante métropole minière, que le bouillant jeune homme prend la pleine mesure de la ségrégation raciale qui segmente sa société. C’est là aussi qu’il rencontre Walter Sisulu, qui va devenir son mentor et plus proche ami et qui va lui ouvrir la porte de l’ANC. Peu à peu se forgent une conscience politique et un goût pour le militantisme qui vont l’éloigner de sa première épouse, Evelyn, et le jeter dans les bras d’une pétillante infirmière de 21 ans : Winnie.
«Je ne suis pas un Saint»
Ses actes, magnifiés par de semblables hommages, ont fini par créer autour de Mandela une sorte de culte qu’il n’a jamais souhaité. «L’un des problèmes qui m’inquiétaient profondément en prison, concernait la fausse image que j’avais – sans le vouloir – projetée dans le monde», dit-il lui-même un jour à un journaliste : «On me considérait comme un saint. Je ne l’ai jamais été.» «Sauf si vous pensez», ajouta-t-il non sans malice, «qu’un saint est un pécheur qui essaie de s’améliorer».
Ni Lénine ni Gandhi
Ni Lénine ni Gandhi, Mandela ne s’est jamais enfermé non plus dans une ascèse révolutionnaire. Jeune homme, il aimait le sport (il fut boxeur amateur), les costumes bien taillés et entretenait joyeusement une réputation de séducteur. «Loin d’assumer un rôle divin, Mandela est au contraire pleinement et absolument humain : l’essence de l’être humain dans tout ce que ce mot devrait, pourrait signifier», écrivit à son propos sa compatriote Nadine Gordimer, Prix Nobel de littérature. «Il a souffert et végété en prison pendant plus d’un tiers de sa vie, pour en sortir sans un mot de vengeance», dit Gordimer. Et d’ajouter : «Il a supporté tout cela, c’est évident, non seulement parce que la liberté de son peuple est son souffle vital, mais parce qu’il est l’un de ces rares êtres pour qui la famille humaine est sa propre famille.»