Loin du festival, le Fespaco, Ouagadougou s’offre d’autres spectacles… dramatiques, loin des coulisses cinématographiques. Ils se jouent réellement, dans la zone Sahel relevant du gouvernorat de Bori. À quatre heures de vol d’Alger, plongée dans ses grosses averses, Ouagadougou est sous un radieux et mordant soleil de fin de l’été. En effet, deux partitions, imposées par la conjoncture régionale, se jouent au Burkina Faso.
À Ouagadougou, les va-t-en-guerre ont remisé, contexte oblige, la raideur de leur position pour donner une chance à la paix. Le président Blaise Compaoré a réussi à réunir à la même table les deux frères targuis, le MNLA et Ansar Edine.
Plus dramatique, la scène se joue au Nord. Dans les camps des réfugiés maliens. Ils font l’attention et l’objet de la mission du Croissant-Rouge algérien. Des produits alimentaires, des médicaments et des kits scolaires pour les enfants qui ont fui avec leurs parents les affres des affrontements au Nord et les craintes d’une offensive militaire de la Cédéao.
La délégation quitte Ouaga, ses bruits de moteurs, ses processions de diplomates et hommes d’affaires et surtout ses innombrables motos et s’engouffre dans l’aventure. Destination le Nord, la région Sahel au nom révélateur. Pour sa charge et son enjeu politiques. La région commence par le chef-lieu du gouvernorat, Bori. Résumé du contenu de la mission. Humanitaire.
Le gouverneur exige l’association du Haut-Commissariat aux réfugiés, le HCR. Cette organisation onusienne semble avoir la cote de ce côté du Burkina. Le gouverneur convie la délégation à rester pour la nuit et à une réunion avec la représentante du HCR. Entouré de tout le staff administratif et sécuritaire de la région, le gouverneur revient à la charge pour le HCR. Le représentant du CRA, le docteur Ghebouli, est contraint à la mise au point et l’explication. La mission du CRA n’est pas de distribuer les dons, mais de les acheminer. Il coordonne avec la société nationale qui est la Croix-Rouge burkinabée. Cette action, explique l’humanitaire algérien recadrant le débat, rentre dans le cadre du mécanisme humanitaire des pays du champ mis en place à Alger lors d’une rencontre en juin dernier à Alger. Les autres organisations et autres ONG peuvent apporter leur soutien et leur contribution à la société nationale qui est la CR burkinabée.
La représentante du HCR rappelle les actions menées sur le terrain, donne les chiffres, le recensement des réfugiés maliens et insiste sur l’obligation de soumettre les médicaments à l’analyse. C’est une exigence de Médecins sans frontières. Mais personne ne contrôle les médicaments de MSF. L’organisation s’est déjà opposée à un don de médicaments achetés localement dans un organisme public. Une anecdote qui dénote du poids et de l’influence de MSF. Enfin tombe l’accord. Le CRA donne la cargaison à la CR qui se chargera de la distribution selon le recensement du HCR.
Férerio… camp de la longue attente
La nuit, la délégation se démène pour trouver un toit. La nuit sera courte. Le convoi reprend son chemin. Un chemin qui sent la chaleur torride, l’humidité en raison des multiples lacs et mares et surtout la poussière que dégage la piste sablonneuse. Le trajet se fait long. Lent. Le parcours ressemble à un grand détour. Il ne se compte pas en kilomètres mais en heures. Aux abords des lacs et mares, on trouve des villages avec des commerces et des cases restaurants où l’on sert du poisson grillé. Ce sont les femmes qui se chargent de cette activité. Mais dans cette brousse connue, selon les dires, pour sa faune sauvage, on ne croisera pas un seul fauve. Sur place, on nous parle de la présence de caïmans dans certains lacs.
Mais pas le temps de fouiller la question. L’urgence est d’atteindre le côté jardin de la scène dramatique malienne qui se joue dans cette région. L’antichambre du chaos militaro-politique du Mali. Après des heures de route, s’annonce enfin le camp des réfugiés Férerio. Il est le plus vaste et comprend plus de 9 000 réfugiés, selon le décompte du HCR. Les occupants parlent de plus de 12 000. Sur une vaste plate-forme sont érigées plusieurs tentes occupant l’étendue du camp. Ce sont, en tout, 38 grandes familles prises en charge. Sans compter les nouveaux arrivants. Depuis l’annonce du déploiement d’une force de la Cédéao, le flux s’est accéléré, nous a indiqué un réfugié. Alassane Ag Azizane évoque la situation des nouveaux réfugiés qui seraient 1 200 et de la volonté des autorités burkinabées de délocaliser le camp. Ce que les réfugiés refusent.
Il a affirmé que ces autorités ont menacé de ne plus approvisionner le camp s’ils persistent à refuser de descendre dans un camp plus bas, loin de la frontière.
La frontière, à partir du camp, est à une dizaine de kilomètres et les autorités évoquent un souci sécuritaire. On accuse également le HCR de ne pas recenser les nouvelles familles avec lesquelles les anciens réfugiés, dans le camp depuis presque une année, doivent partager les dons. Certaines familles ont été obligées de vendre leur cheptel pour pouvoir survivre. Regroupés, les responsables du site ont évoqué leurs cas, leurs besoins et leurs attentes. Surtout l’éducation et la scolarité des enfants. Le vétérinaire Idoual Ag Bala parlera surtout du cas des étudiants. Il a exhorté l’Algérie à offrir, comme elle l’a souvent fait, des bourses pour une dizaine ou une quinzaine d’étudiants présents dans les camps et qui ont déjà raté une année.
Le docteur Ghebouli a expliqué la mission et rassuré les réfugiés que leurs frères dans les autres camps sont bien pris en chargé. “Il s’agit d’une mission d’évaluation avant d’entreprendre des actions ciblées”, a-t-il dit. Il s’agit surtout, comme l’a souligné le médecin du CRA, d’apaiser les souffrances des frères maliens et de rappeler que l’Algérie ne les a jamais oubliés. Et que la mission s’est rendue au Mali, au Niger et en Mauritanie. De bonnes nouvelles des réfugiés dans ces pays.
Le CRA au chevet de tous les réfugiés maliens
On se quitte sur une note d’espoir. Espoir pour les Maliens que la paix revienne dans leur pays. Espoir qui naît aussi que leur appel au soutien des autres pays soit entendu. Ils ont exhorté les pays amis et voisins à faire plus d’efforts afin d’aider à régler la crise.
Le cortège quitte ainsi Férerio pour se rendre à Gandafabou, le second camp légal. Ils sont 3 010, selon le recensement. La rencontre se fait dans une école. Tableau, pupitres, quelques phrases écrites à la craie. En français et en langue locale. Même discours d’apaisement et de soutien du responsable humanitaire algérien. “Nous ne sommes pas parqués comme dans un zoo. Nous sommes libres”, dit d’emblée le responsable du site. Les réfugiés souffrent du manque d’eau. “Une citerne ne suffit pas”, dit-il. Le Burkina et les ONG leur viennent en aide, mais ils n’ont pas suffisamment de moyens, reconnaissent-ils. Un intervenant a révélé que le CR qatari est passé, a promis des aides mais n’est jamais revenu. Il a regretté que l’OCI n’ait pas entrepris une quelconque initiative pour les aider. Ce camp est également concerné par la délocalisation. Comme les autres, ils ne veulent pas partir. Ils disent préférer l’endroit. Parce qu’ils s’y sont habitués et il y a du pâturage pour leur cheptel. Ils rêvent de rentrer chez eux le plus vite possible, lancent-ils à leur tour un appel pour les pays voisins et la communauté internationale pour user de leur poids pour soutenir une solution rapide et durable au Mali.
Entre le marteau du Nord et l’enclume de Bamako
Le soleil commence à décliner laissant derrière lui ses flammes. Il semble jouer les prolongations sur notre souffrance.
Le trajet s’annonce encore plus long. Et la mission doit encore se rendre au dernier camp. Le camp de Goudebou avec ses 819 réfugiés. Dans le camp, les enfants sont venus nombreux assister à la remise symbolique des dons. Du riz, des pâtes, du lait, des médicaments et des trousseaux scolaires. Invité surprise, le maire de Tombouctou qui fait partie des réfugiés. Infounia Ag Aïssa revient, en aparté, sur la situation au Mali, la situation des réfugiés du camp. Son sourire arrive à peine à dissimuler une tristesse que l’on ressent dans sa voix. Il a souhaité que les Maliens s’entendent et trouvent une solution définitive à leur crise.
C’est clair pour lui que les Touareg ont des revendications légitimes ignorées par Bamako. Il a plaidé pour un système démocratique et laïc et a rejeté le terrorisme et l’extrémisme religieux. Son amertume se comprend. Il est l’élu de la ville symbole que les terroristes du Mujao occupent, qu’Anser Edine détruit en commençant par ses monuments millénaires.
La nuit commence à tomber sur les camps alors que la chaleur accompagne l’obscurité. Épuisée, éreintée et sous une forte émotion, la délégation reprend son chemin avec l’impatience de rentrer à Ouagadougou. Le retour se fait dans une atmosphère lourde. À mi-chemin de la capitale, escale dans un village pour gouter en guise de dîner à une spécialité locale : le poulet farci au couscous.
Le lendemain, répétition en mini de l’opération à l’ambassade où est reproduit le geste symbolique du don des produits aux responsables de la Croix-Rouge. L’ambassadeur a rappelé que, contrairement à ce qui a été dit, l’Algérie a dès le début de la crise envoyé des denrées alimentaires pour subvenir aux besoins des réfugiés maliens.
Fin du premier acte. Mais ce n’est pas de la fiction. Il se joue en réel avec son lot de douleur et de souffrance des Maliens à cause d’autres Maliens. Au Nord et à Bamako. Au même moment, se joue, peut-être, l’épilogue, entre Ouagadougou et Alger.