L’explosion de la bombe atomique française du nom de Gerboise bleue, trois fois plus puissante que celle larguée par les Américains sur Hiroshima, a entraîné ce jour-là des pluies noires au Portugal… En tout, la France a procédé chez nous à 4 essais aériens et 13 autres souterrains dont le dernier en février 1966. D’autres expériences ont eu lieu clandestinement, au moins une quarantaine, sur le site de Hamoudia près de Reggane.
Aujourd’hui, ces lieux sont ouverts aux quatre vents, traversés par des nomades, et les équipements enfouis sous les lieux ont réapparu au gré de l’érosion. Ils constituent de nouvelles sources de radiation importantes. Dans le Sahara, votre lourd héritage du nucléaire est toujours d’actualité. Au total, ce sont officiellement 17 expériences qui ont été effectuées par la France coloniale sur nos territoires du Sud, dont quatre explosions de bombes atomiques à la surface du sol à Reggane.
La plus puissante était celle de 117/127 KT en février 1965.
Cinquante et un an après, explosions et essais nucléaires continuent à faire des victimes dans notre grand Sud algérien, parmi elles les populations juvéniles qui souffrent de deux problèmes : les conséquences de la radioactivité avec l’apparition de la leucémie depuis 1984 et dans votre indifférence totale, alors que votre responsabilité est pleinement engagée.
Habitant une maisonnette en toub, dans le ksar Taarabt, le ksar qui a le plus souffert des répercussions de la radioactivité induite par ces explosions et ces essais nucléaires (distant de 2 km de Reggane qui est située à 60 km de Hamoudia, lieu du premier essai le 13 février 1960), la famille Abella constitue un exemple vivant des effets néfastes de cette hécatombe appelée “Gerboise bleue”.
Trois de leurs filles sont sourdes-muettes. Zohra, la plus jeune, les conséquences sont non seulement visibles mais choquantes : un énorme angiome lui mange le visage. D’autres enfants de ksar Taarabt, qui constitue un véritable laboratoire à ciel ouvert des répercussions des explosions et essais nucléaires sur les êtres humains, sont nés avec des malformations.
Un membre du ksar garde jalousement le dosimètre de son père, mort d’un cancer en 1968 et qui a travaillé dans le centre militaire de Hamoudia. Le père avait révélé à son fils que cet appareil lui avait été donné en 1959 par le contremaître français pour relever la radioactivité qu’il allait recevoir ! Ce fut un cobaye humain qui ignorait son statut de cobaye. Pour le fils, qui sait ce qu’est le nucléaire, la transformation de son père en cobaye est la preuve de l’ignominie coloniale. Il milite dans une association qui exige des dédommagements, la prise en charge des victimes et le nettoyage de la radioactivité qui continue à sévir dans sa région de Reggane.
Paris refuse toujours d’ouvrir ses archives militaires concernant ce contentieux, sous prétexte d’un prétendu “secret défense” ou en évoquant ses engagements vis-à-vis du TNP. Pourtant, ces essais nucléaires ont eu de graves conséquences sanitaires et écologiques dans le sud du pays, d’où cette exigence d’ouverture des archives de l’armée française en vue de connaître la vérité.
Les essais nucléaires aériens ou souterrains effectués au Sahara ont produit de grandes quantités de déchets, enfouis seulement à quelques centimètres de profondeur, et fait beaucoup de victimes.
Leur nombre augmente inexorablement, souvent dans l’anonymat.
à ce jour, aucune liste n’est établie. L’absence de dépistage et d’archives sanitaires occulte les innombrables maladies comme le cancer et les décès entraînés par les radiations. Les victimes ne sont pas seulement les habitants des zones où les expériences ont eu lieu, mais même ceux se trouvant loin de cette zone.
La France coloniale a effectué son premier essai en Algérie le 13 février 1960 à Reggane sous le code “Gerboise bleue”. Selon des chercheurs algériens, 17 essais nucléaires au total ont été menés par la France au Sahara, dont 4 à Reggane, entre 1960 et le retrait définitif de l’armée française de cette région en 1967.
Les victimes algériennes sont estimées à au moins 30 000.
Le dossier des essais nucléaires français en Algérie a été ouvert en 1996. Mais depuis cette date, rien ou presque n’est fait pour se débarrasser de ce legs empoisonné.
La France devait pourtant prendre sa responsabilité juridique. Outre l’aide technique qu’elle est en devoir de fournir en matière de décontamination, elle doit ouvrir ses archives, mettre des noms sur tous les lieux secrets où les bombes avaient explosé. Repentance, version nucléaire. La France de Nicolas Sarkozy et de ses prédécesseurs ne veut pas en entendre parler comme des autres crimes de sa colonisation.
Or il s’agit bien d’un héritage de la colonisation française, puisque les deux sites de Reggane et d’In Eker ont été construits avant l’indépendance du pays. Les six premiers tests, dont quatre dans l’atmosphère, ont eu lieu à l’époque de l’Algérie française. Les autres plus nombreux l’ont été après 1962 en vertu d’annexes non publiées des accords d’évian mettant fin à la guerre d’Algérie, le 18 mars 1962. Le FLN a accepté, dans le cadre de ces annexes secrètes, que la France puisse utiliser des sites sahariens pour des essais nucléaires, chimiques et balistiques pendant cinq années supplémentaires.
Onze essais se sont ainsi déroulés après l’indépendance du 5 juillet 1962, et ce, jusqu’en février 1966. En 1967, ces sites ont été rendus aux autorités algériennes, après “démontage des installations techniques, nettoyage et obturation des galeries”, a assuré le ministère de la Défense français. Des visites mi-novembre 2009, de groupes de militants antinucléaires français sur les sites de vos expériences nucléaires, ont montré que non seulement les lieux étaient libres d’accès et restaient truffés de débris métalliques.
Pour Bruno Barrillot, responsable du Centre de recherche sur la paix et les conflits, “les installations n’ont pas été démantelées dans les règles”. L’armée algérienne a aussitôt entamé des travaux d’installation de clôtures, selon les normes de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) qui a inspecté les sites en 1999. L’agence avait conclu à la faiblesse des risques, sauf dans quatre zones qui ont été interdites d’accès.
C’est grâce au Sahara algérien que la France est entrée dans le club fermé des puissances nucléaires
Alors qu’en France les vétérans des essais sont écoutés et commencent à obtenir leurs droits devant les tribunaux, qu’en Polynésie un mouvement identique prend forme, pour nos populations, cinquante après, c’est toujours une fin de non-recevoir de la part des autorités françaises.
Pour vous rafraîchir la mémoire, c’est grâce au Sahara que la France était entrée dans le club fermé des possesseurs de la bombe A, qu’elle a obtenu le statut de puissance mondiale aux côtés des USA, de l’Angleterre et de l’ex-URSS.
Ce fut de Gaulle qui pris la décision en 1957 de faire exploser votre première bombe nucléaire à Reggane. On peut même vous rappeler que l’installation de la base des essais atomiques a été confiée à la 2e compagnie de l’armée française qui a dressé son PC à Hamoudia, une localité située à 65 km au sud de Reggane. D’autres détails en voici : l’opération a mobilisé 6500 Français, entre chercheurs, savants, ingénieurs et soldats, ainsi que 3500 Algériens, de simples ouvriers, avec une majorité de détenus.
La première, de 70 kilotonnes, a explosé le 13 février 1960 à Hamoudia. Celle inférieure à 20 kilotonnes, le 1er et le 4 avril 1960. Et une autre supérieure à 20 kilotonnes, le 25 avril 1961. Et puis 13 autres explosions, mais souterraines cette fois-ci, au Sud-Est algérien, à In Eker dans la région de Tamanrasset), du 7 novembre 1961 au 16 février 1966. Les expériences d’In Eker ont contaminé de vastes zones entre l’Algérie et le Tchad, selon des publications scientifiques, et ont laissé des traces indélébiles sur la nature et les humains.
On peut même vous relater l’“accident” d’In Eker du 1er mai 1962, deux mois avant notre indépendance.
Ce jour-là, vous deviez réaliser un essai nucléaire souterrain. Le tir fut effectué dans une galerie creusée dans une montagne, en forme de spirale, bouchée par du béton armé. Lors de l’explosion, le système d’obturation céda sous la pression, provoquant l’écroulement de la montagne et libérant un nuage radioactif dans l’atmosphère.
Celui-ci atteignit 2600 m d’altitude et fut suivi sur une distance d’au moins 600 km. Parmi ses victimes, la France a répertorié 17 morts de leucémie. Le tir suivant, le 18 mars 1963, libère également de la radioactivité dans l’air.
Ces opérations étant secrètes, aucun avertissement n’a été donné à la population locale pour se prémunir des effets de la radioactivité.
Au contraire, selon des nombreux témoignages, ces militaires ont poussé la barbarie à l’extrême en exposant 150 prisonniers algériens, des résistants pour la plupart, à environ un km de l’épicentre. L’objectif “scientifique” étant de voir les effets des radiations sur ces cobayes humains. La France officielle a toujours nié ce fait.
Il y eut rejet de matériaux radioactifs, gaz et des poussières radioactives, à l’extérieur puisque deux ministres français présents furent irradiés : Pierre Messmer, ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche, qui mourut d’une leucémie.
La Gerboise bleue, 4 fois supérieure à la bombe d’Hiroshima
On revient sur Gerboise bleue, le premier essai nucléaire français mené dans le Sahara algérien. Il a lieu le 13 février 1960, à Reggane. Le tir est aérien, sa puissance est quatre fois supérieure à la bombe d’Hiroshima.
Trois autres tirs, intitulés Gerboise “blanche”, “rouge” et “verte”, suivront rapidement. Nous versons dans le dossier le film du réalisateur Djamel Ouahab qui remet en mémoire vos essais moins pour sonder un épisode du colonialisme dont il témoigne que pour évoquer un scandale qui se perpétue: cette zone d’essais, pas aussi inhabitée qu’on voudrait le croire, ne fut pas décontaminée par l’armée française lors de son départ.
Évidemment qu’il existe encore des victimes de ces expositions aux radiations, qui ne se trouvent pas que chez vos contingents militaires dont les voix sont audibles depuis les années 1995.
Nos populations dont on commence à peine à connaître les retombées et qui ont été soufflées par des vents radioactifs sans protection, on ne les avait même pas averti ni des explosions ni de leurs dangers ! Des crimes prémédités.
Le film s’appuie essentiellement sur le témoignage de deux anciens soldats français: Lucien Parfait et Gaston Morizot. Le premier a été chargé de récupérer un compresseur exposé aux radiations sur le site d’In Ecker, il est aujourd’hui complètement défiguré. Sous l’œil de la caméra, il ôte le pansement qui lui couvre une partie du visage devenu celui d’un “monstre”.
Un énorme trou à la place de l’œil gauche à travers lequel on peut voir sa gorge, un nez complètement détruit et d’énormes ecchymoses sur le visage et sur le cou… Le second, avec un poumon irradié et un vieillissement prématuré de la moelle épinière, vit continuellement sous morphine et antidépresseurs.
Le film s’est également intéressé aux populations autochtones, il montre ainsi de vieux Adraris qui ont perdu la vue à cause de l’intense lumière dégagée par l’explosion et deux fillettes souffrant de malformations congénitales.
Un médecin du secteur sanitaire d’Adrar confirme la “fréquence anormale” de naissances de bébés malformés dans la région. Le réalisateur montre également les dégâts occasionnés à l’environnement de la région.
La plus surprenante déclaration reste incontestablement celle du porte-parole du ministère français de la Défense, qui a affirmé que “toutes les dispositions de sécurité ont été prises avant l’essai atomique” qui s’est déroulé selon lui “dans une région inhabitée”. Il pousse l’indécence jusqu’à expliquer que les essais étaient “sans danger” et qu’il n’y avait “aucun cas de personnes irradiées” et que toute la zone a été “nettoyée”! Et ce mensonge énorme : “Les doses reçues par les participants et les populations ont été faibles, bien en deçà des limites annuelles professionnelles”.
Aux paroles de ces militaires français physiquement brisés et moralement humiliés de n’avoir jamais obtenu réparation de leur gouvernement, s’oppose celle de Jean-François Bureau, porte-parole du ministère de la Défense en 2007, qui faisait état de la difficulté à mettre scientifiquement en corrélation l’exposition aux radiations et l’apparition des maladies ! Que dire alors des 30 000 Algériens exposés à vos expérimentations ? Ce 13 février 1960, à 7 h 04, à 40 km au sud de Reggane, avait lieu le premier tir nucléaire français à Hamoudia, son point zéro.
La France entrait dans le club des puissances nucléaires militaires, saluée par un “hourra !” du général de Gaulle dont l’ego avait violé le moratoire décidé en 1958 par les USA, l’ex-URSS et la Grande-Bretagne interdisant les essais nucléaires atmosphériques, en déclenchant votre première série d’essais atmosphériques chez nous, utilisant des bombes au plutonium et à l’uranium.
La radioactivité du plutonium mettra 24000 ans pour voir ses effets diminuer de moitié
D’autres explosions aériennes ont suivi au même endroit, le 1er avril 1960, le 27 décembre 1960 et le 25 avril 1961. Lors de ce dernier tir, la bombe n’explosa pas conformément aux directives. 195 soldats furent irradiés dont une dizaine mourront contaminés. Mais nos populations, vous avez omis de les compter.
Les effets des essais nucléaires souterrains à Tamanrasset, continuent à se faire ressentir avec des pathologies caractéristiques des radiations. Bien que les décédés n’aient pas été recensés car considérés morts de mort naturelle à l’époque faute d’encadrement sanitaire, les maladies sont évidentes même chez les animaux.
Ainsi, comme démontré par de nombreuses études, les populations d’In Ekker à Tamanrasset comme celles de Reggane ont développé des maladies graves, des cancers notamment et des leucémies qui dépassent de manière sensible la moyenne dans ces régions où l’on constate également des cas de malformations chez les nouveau-nés et une baisse de fertilité des personnes. Les effets dévastateurs de la radioactivité sur l’écosystème de ces régions et même des pays voisins, ne sont pas encore tout à fait cernés.
Nest-il pas reconnu que les essais atmosphériques sont très polluants en irradiant le sol? Chez nous, roches noires et terres brûlées sont là pour en, témoigner. Car les bombes fabriquées avec du plutonium, connu pour être plus toxique que l’uranium, sont un véritable poison pour les humains mais aussi pour l’environnement.
La radioactivité du plutonium utilisé mettra 24 000 ans pour voir ses effets diminuer de moitié, selon vos propres experts. Donc, cinquante ans après vos essais, la persistance de la menace radioactive pèse toujours sur une large portion de notre territoire surtout que la puissance des vents sahariens a dû disperser les éléments radioactifs sur une très grande surface.
D. B.