A la station d’autobus de Malaga, il aurait pu passer sans problème pour un gitan avec ses cheveux noirs surmontés d’une longue mèche teinte en blond. C’est le déguisement qu’il a choisi, non sans succès. Un gitan SDF, sans bagage, avec de vieux habits et un besoin évident d’un bain. Sa technique pour ne pas se faire repérer est de se mêler constamment à la foule, ne jamais paraître solitaire.
Omar, 17 ans, est cependant vite trahi par le mauvais espagnol avec lequel il pose une question sur le bus qui va vers Alicante. Par chance, c’est à une algérienne qu’il s’est adressé et qui lui demande s’il n’est pas maghrébin. « Oui, je suis algérien, du coté de Sidi Bel Abbès ».
Un arrangement se fait, rapidement, entre la dame et le jeune Omar: il s’occupe de son bagage jusqu’à l’arrivée du bus. Cela lui permet de bouger dans la station et même d’aller s’offrir un café au lait. Sur le long trajet entre Malaga et Alicante, il raconte son histoire de harrag. La dame est effarée d’apprendre qu’il n’a que 17 ans et qu’il en est à sa troisième harga vers l’Espagne via Melilla.
« Laisse tomber, vois du coté de l’Ansej »
Sa première tentative, il l’avait faite alors qu’il n’avait que quinze ans. « J’étais naïf, je suis parvenu à Melilla et la-bas j’ai fait l’erreur de leur donner mon vrai âge. Ils m’ont renvoyé immédiatement vers l’Algérie ». Il a repris le chemin du Maroc, clandestinement bien entendu, six mois plus tard. Il arrive à passer à Melila où il reste dans un camp de rétention pendant six mois.
« Il y avait toutes les nationalités, de tous les pays d’Afrique. C’est là qu’on apprend les ficelles et un chouiya d’espagnol en attendant une opportunité ». Il est parvenu à se glisser dans un camion au prix de manœuvres compliquées. Il s’est retrouvé à Barcelone. Seul. Trop seul. Il est rapidement arrêté et mis dans un bateau algérien à Almeria.
Il a été très bien traité dans le bateau. A Ghazaouet, des policiers algériens l’ont accueilli en rigolant: « Mais, tu vas où ya si Omar, Win ghadi, wine ». Il lui ont épargné la procédure judiciaire et les « machakels » (problèmes) avec la justice. Un policier lui a dit: « laisse tomber, va chercher du travail, vois du coté de l’Ansej, débrouille-toi ici ».
Mais Omar n’a pas laisse tombé. Il ne s’est pas rendu chez lui. « Tu ne t’entends pas avec ta famille? » demande la dame. Non, il n’a aucun problème avec sa famille, mais il ne veut pas retourner au village. « Maken walou la-bas ». Il a donc repris le chemin de la frontière. Un gendarme l’a bien renvoyé mais il s’est contenté de changer de zone de passage. Il est de nouveau passé en Espagne après des mois et mois d’attente.
Là, il se rend à Alicante où il connait quelqu’un qui va l’aider. Lui donner de nouveau habits et prendre un bain avant de reprendre la route. « Vers où? ». La France, la Belgique ou la Grande Bretagne. « L’Espagne, c’est pas un pays où l’on peut rester, c’est le tiers-monde de l’Europe, pas de travail, rien… Et les espagnols mangent trop de porc, tu te rends compte! ».
« Tu ne peux pas comprendre »
La dame secoue la tête. « Si j »étais ta mère, je te donnerais une tannée. Cela n’a pas de sens. Tu ne vivras jamais mieux qu’en Algérie… ». Au tour de Omar de secouer la tête: « tu ne comprends pas, tu ne peux pas comprendre. Je veux vivre ma vie… ». C’était censé clore la discussion.
A Alicante, ils prennent un café à la station d’autobus. L’ami de Omar n’est pas là. Il passe la moitié de la journée avec la dame. Il la dissuade de mettre son bagage en consigne. En début d’après-midi, ils se séparent à l’arrêt du bus. Elle se rend à l’aéroport. Elle lui donne 20 euros qu’il accepte sans faire semblant de refuser.
Elle lui dit: « tu peux vivre ta vie en Algérie ». Il sourit. Hoche la tête. L’air de dire une fois de plus: « tu ne peux pas comprendre ».